C’est un outil précieux pour la recherche, et un objet de curiosité ludique pour le quidam: les Archives de la Ville de Paris viennent de mettre en ligne le fruit de trois recensements captés en 1926, 1931 et 1936. Tapez (1) les nom et prénom d’une aïeule, ou de votre écrivain préféré, et vous aurez accès à un registre portant adresse, date et lieu de naissance, situation familiale, profession, de la personne recherchée. Un petit exploit dû à une collaboration entre CNRS et divers laboratoires universitaires, qui ont mouliné à l’IA 300.000 pages remplies à la main par les recenseurs pendant l’entre-deux-guerres. Le musée Carnavalet le met en scène, à renfort de photos, d’extraits commentés des fameux registres, de films et d’affiches, du 8 octobre au 8 février. Qu’y apprend-on, au-delà de l’anecdotique ? (Laquelle est parfois touchante: en 1931 Edith Gassion, profession “artiste”, vit avec son père Louis au 115 rue de Belleville. En 36, Louis, “acrobate au chômage”, vit désormais seul. Édith Piaf a quitté le nid).
Eh bien l’on constate que le Paris d’avant-guerre ressemble assez au nôtre. Certes la capitale comptait alors plus d’habitants qu’elle n’en a jamais eu, avec un pic à 2,9 millions en 1921 (contre 2,12 millions aujourd’hui). Mais la dénatalité est déjà un sujet (1,26 enfant par femme en 1926), que les autorités s’emploient à combattre, à coup de prix et de primes aux familles nombreuses. Comme aujourd’hui, un gros tiers seulement des habitants sont natifs de Paris, une petite moitié de province. Et quelque 10% sont nés hors de France en 1926, contre 25% selon le dernier recensement, en 2020. Avant-guerre, les résidents nés à l’étranger viennent des colonies, mais on y croise aussi des Russes et des Arméniens, des juifs fuyant les pogroms; en 2020 il y a les plus grandes chances qu’ils viennent du Maghreb. Mais, aux deux dates, la proportion de la population née à l’étranger est beaucoup plus forte dans la capitale que dans le reste de la France. Ce qui ne l’empêchera pas forcément d’être de nationalité française, comme près de la moitié des Parisiens nés à l’étranger.
Aujourd’hui comme avant guerre, la sociologie des quartiers de la ville s’avère nettement différenciée: l’ouest est bourgeois, l’est, le nord et la périphérie plus ouvriers, voire pauvres. À quoi le voit-on? Le nombre de domestiques par ménage est par exemple un bon indicateur, et les 7e, 8e, 16e arrondissements, ainsi que le sud du 17e, en sont riches. Attention les temps changent: le modèle de la bonne unique s’impose peu à peu, même dans la haute société, relève l’étude.
Paris compte davantage de femmes que d’hommes (55 % contre 45 %). Comme de nos jours. De même, la plus grande ville française se distingue par un volant de célibataires bien supérieur au reste du pays (33% en 1926, 41% en 2022). Enfin, à l’instar de ce que l’on constate dans notre 21e siècle, la “modernité” parisienne se lit aussi dans les mœurs. Le taux de divorce y est plus élevé (2 % des hommes et 3 % des femmes en 1926, contre moins de 1 % pour le reste du pays), les comportements nouveaux ou marginaux (naissances hors mariage, relations homosexuelles…) plus fréquents.
Paname sera donc toujours Paname? À vérifier. Avec, de nos jours, le frein de la réglementation française en matière de recueil et de croisement de données, réputée contraignante, sinon sévère, encadrée qu’elle est par à la fois la loi informatique et libertés, le RGPD et la CNIL. Il est vrai que c’est la société elle-même qui, par pudeur sans doute, se méfie des gros plans. Dans le grand recensement de 2025, l’Insee avait introduit trois questions supplémentaires, sur le télétravail, le handicap, et le lieu de naissance des parents. D’actualité, tout cela. Oui, mais la dernière question a fait polémique. Haro sur l’institut! Le biais « ethnique » serait de nature à choquer une partie des répondants, et la démarche s’est attirée la foudre d’une frange d’associations et d’intellectuels. Le résultat, en partie victime de ce boycott, ne sera sans doute guère utile aux curieux de 2125. Dommage.
Jean Cedro