Des pâtes!

Il semble y avoir environ 160.000 restaurants traditionnels en France, dont 20.000 se réclament de l’Italie. On y sert habituellement des pizzas, sous des appellations diverses(1), et des spécialités de pâtes, dont immanquablement  « alla carbonara ». Souvent maltraitées. Celles-ci font l’objet, depuis 2016, d’une fête particulière dans leur pays d’origine, le Carbonara Day, correspondant au 6 avril. Afin de célébrer comme il se doit la gastronomie italienne, en général, et ce plat emblématique, en particulier. Une tradition lui trouve ses racines au XIXe siècle chez les carbonari, ouvriers fabriquant le charbon de bois dans les forêts des Appenins. Mais des esprits rationnalistes objectent que leurs conditions économiques précaires les exposaient davantage à la polenta qu’à des produits issus de la semoule de blé dur. Un certain Francesco Palma atteste cependant, dans un ouvrage culinaire de 1881, l’existence d’un « plat de pauvres », les maccheroni con cacio e uova, garnis de saindoux. Ce qui n’a qu’un rapport lointain avec la préparation.

Son origine serait, en fait, beaucoup plus récente. Avec de notables variations quant au récit historique. Fin 1943,les troupes américaines s’installent à Naples. Parcourant les rues de la ville, les GI’s découvrent la cuisine locale, des pâtes saupoudrées de fromage râpé un peu sinistre, l’agrémentent en y ajoutant du bacon et de la poudre d’œuf que leur fournit l’intendance militaire….

Mais objection, votre Honneur !!! Ce n’est pas à Naples, mais à Rome, fin 1944, que tout s’est passé. Marco Guarnaschelli Gotti le rapporte, dans son Encyclopédie de la Gastronomie (2008): « Quand Rome fut libérée, la pénurie alimentaire était extrême. Une des rares ressources (de la population) était les rations militaires distribuées par les troupes alliées. Celles-ci comportaient des œufs en poudre, du bacon et de la crème fraîche. Quelqu’un eu l’idée de mélanger tout ça en sauce, pour les pâtes ». Et là, un léger bémol… Les troupes américaines étaient dotées de rations de combat, dites ration K, leur permettant de s’alimenter en opérations. Elles contenaient certes de la poudre d’œuf, du jambon, entre autres choses. Toutefois, pas de crème. Imagine-t-on les US marines partant à l’assaut, munis, dans leur fourniment, de 30 décilitres de crème fraîche?

Le « quelqu’un » pourrait bien avoir un nom. Il s’est identifié dans une autre version, où il s’autoproclama le créateur. Il s’agit d’un cuisinier originaire de Bologne, Renato Gualandi. L’état-major allié s’était installé à Riccione, au bord de l’Adriatique. Le garçon, alors jeune cuisinier, fut réquisitionné pour préparer un banquet réunissant des officiers de la 8ème British Army et de la 5ème US Army. Il racontera par la suite: « les américains avaient du bacon fantastique, de la crème fraîche excellente, du fromage et du jaune d’œuf en poudre. J’ai mis tous les ingrédients ensemble… Au dernier moment, j’ai décidé de mettre du poivre noir, ce qui a donné un goût très parfumé… »

L’appellation carbonara serait venue plus tard, non des charbonniers, mais du marché noir sévissant, après la guerre, aux alentours des bases américaines, dans toute l’Europe occidentale. Le militaire de base tapait volontiers dans les stocks pour commercer avec les populations locales.

La recette est mentionnée pour la première fois en 1952, dans un manuel de Patricia Bronté, « Vittles and vice ». Elle y vantait les mérites du restaurant Armando’s, installé à…. Chicago. Le plat avait franchi l’Atlantique. Ce n’est qu’en 1954 qu’il en est question en Italie. Félix Dassi le mentionne dans « La signora in cucina ». Il faut encore attendre 1960, le livre de Luigi Carnacina, « La grande cucina », pour trouver enfin la recette devenue canonique. Disparaissent les fanfreluches comme crème, lardons, bacon, gruyère, vin blanc, ail et persil. La sauce des pâtes alla carbonara ne comporte désormais que cinq ingrédients : pecorino rapé, guanciale, bouillon de cuisson, jaunes d’œuf, poivre noir. Le pecorino est un fromage de brebis originaire du Latium ou de Toscane, le guanciale, de la joue de porc séchée non fumée, venant, également, du Latium. Les jaunes d’œuf servent de liant, dès lors qu’ils sont utilisés à la température idoine, sous peine de coaguler. Et le poivre vient d’où vous voulez, à condition que ce soit du moulin.

Le club della carbonara, sorte de Conseil constitutionnel de la recette, admet, par défaut, trois variations, le parmesan rapé, en évitant la sciure vendue sous ce nom dans les hyper-marchés, la pancetta, à base de poitrine de porc, les œufs entiers. Tout autre ingrédient est sacrilège. Dans sa « Cuisine réussie », Alain Senderens, d’ordinaire mieux inspiré, ajoutait un dem- litre de crème fraîche pour 500 grammes de spaghettis. Et pourquoi pas du concentré de tomates.

Jean-Paul Demarez

 

(1) Dont la classique Margherita, aux couleurs du drapeau italien, rouge de la tomate, blanc de la mozzarella, vert du basilic. Elle devrait son nom à la visite à Naples, du roi Umberto 1er, le 21 mai 1889, accompagné de son épouse, Marguerite de Savoie (Margherita di Savoia)
Photo: ©PHB
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