Attention gallinacés

L’arrêt de la cour d’appel de Riom (7 septembre 1995) est resté fameux dans la sphère juridique, en décrivant ainsi la poule: « animal anodin et stupide, au point que nul n’est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois; que son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d’un œuf) au serein (dégustation d’un ver de terre) en passant par l’affolé (vue d’un renard); que ce paisible voisinage n’a jamais incommodé que ceux qui, pour d’autres motifs, nourrissent du courroux à l’égard des propriétaires. » À l’origine de ce commentaire, un conflit de proximité. Le sieur Rougier estimait trop bruyant et malodorant le poulailler de ses voisins. Le tribunal de Clermont-Ferrand lui avait donné raison, en ordonnant la destruction. Jugement, par conséquent, annulé en appel. Arrêt cependant contesté en cassation, la cour estimant trop générales les considérations relatives aux volailles, et, par ailleurs, « étrangères aux faits de l’espèce« , étant souligné que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage », le dossier évoquant également des écoulements de purin très désagréables.

Le trouble anormal de voisinage est un principe dégagé par la Cour de Cassation, à partir de l’arrêt Derosne, du 27 novembre 1844. Il est admis qu’il limite le droit de propriété. Les mécontents doivent démontrer que le trouble qu’ils relèvent est « anormal », par sa nature, son intensité, sa fréquence. La situation reprochée peut résulter d’une activité licite, non fautive, et dépourvue de toute intention de nuire. Le juge l’évaluera en fonction du contexte. Le but vise à faciliter l’harmonie entre les citoyens.

Le trouble anormal de voisinage constitue le moyen le plus souvent revendiqué par les néo-ruraux. Les sociologues dénomment ainsi les citadins transportant leurs pénates dans un petit village idéalisé. Le mouvement a pris naissance au mitan des années 1970. Sont, dès lors, apparus, devant les tribunaux, des contentieux mettant en cause des animaux, coupables de manifester leur existence d’une façon jugée intempestive par ces ex-urbains. Ce bestiaire regroupe, selon les cas, vaches, volailles, abeilles, chiens, grenouilles… bref, tout ce qui vit sous la main d’un propriétaire.

Des instances représentatives ont publié, à cet égard, des « chartes du bien vivre ensemble », exposant les caractéristiques des activités agricoles au rythme des saisons. Des maires ont apposé, à l’entrée de leur bourgade, des « avertissements aux touristes et aux vacanciers ». Tout ceci traduit, de la part des populations locales, le sentiment « d’être négligées, méprisées, incomprises ». Ce d’autant qu’il y a parfois passage à l’acte. Ainsi, cet abruti, condamné par le tribunal de Privas (7 décembre 2020) pour avoir trucidé à la carabine le coq Marcel qui l’importunait.

La question a pris un tour nouveau durant l’été 2019. Demeurant à Saint-Pierre d’Oléron, madame Fesseau possédait un coq, plaisamment dénommé Maurice. Mais ses vocalises n’étaient pas du goût de nouveaux voisins, lesquels s’en furent l’exprimer devant le tribunal de Rochefort. L’histoire va tourner en leur défaveur. Le volatile devient « héraut de la ruralité », soutenu par les représentants du peuple et des associations de défense. La presse, nationale, puis internationale, la télévision vont le rendre célèbre. Constat d’huissier en main, le juge relève « qu’il n’est pas contesté qu’un coq chante… que tel est généralement le propre du coq », mais qu’il ne se manifeste, discrètement, que de 6h30 à 7h, dans une commune de nature rurale. « Le trouble établi ne saurait être qualifié d’excessif. »

Afin de mettre fin à de telles chicaneries, Pierre Morel-à-l’Huissier, avocat et député de la Lozère, a entrepris d’enrichir le « Patrimoine commun de la Nation » (art. L11061 Code de l’environnement) en y ajoutant les sons (1) et les odeurs propres à la vie paysanne. La loi n°2021-85 du 29 janvier 2021 contrecarre ces procédures, en définissant le « patrimoine sensoriel des campagnes françaises » qu’il convient de protéger. Dont on est prié de s’accommoder lorsque l’on vient de la ville.

La loi n°2024-316 du 15 avril 2024 complètera ce dispositif en précisant que « la responsabilité (de l’émetteur) n’est pas engagée lorsque le trouble anormal procède d’activités….. existant antérieurement », dès lors « qu’il ne s’agit pas de son aggravation »
Ce détail a visiblement échappé à Francois Avet, habitant de Sallenoves. À son élevage de volailles, il ajoute le coq Caruso. Les voisins trouvent que la bestiole chante trop tôt et trop fort.. Le conciliateur de justice a tranché: ils étaient là avant.. donc, exit le beau Caruso….
Ainsi va la vie, dans nos vertes vallées….

Jean-Paul Demarez

(1) La question des sonneries de cloches est réglée, elle, par la loi du 9décembre 1905 de séparation des Églises et de L’État. Un arrêté municipal pris en concertation avec l’association cultuelle en définit la fréquence. En cas de désaccord, le préfet tranche.
Photos: ©PHB ©JP Demarez
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4 réponses à Attention gallinacés

  1. Jacques PAILLARD dit :

    Vive la France et ses 73 codes officiels en vigueur consolidés ; sans oublier les lois, décrets-lois, ordonnances, divers décrets et arrêtés … ainsi que les innombrables circulaires (LEGI data.gouv.fr) ! On pourrait donc sauter du coq à l’âne qui fait aussi braire certains surtout la nuit, comme on dit dans ch’Nord.

  2. Tristan Felix dit :

    Ayant souventes fois et longuement discuté et chanté avec des gelines, je puis affirmer qu’elles ne sont ni anodines ni stupides, quel que soit la délicatesse de l’arrêt de la cour d’appel de Riom. Elles sont simplement gelines sans plus de dents. Celles qu’on n’entend pas sont en batteries irradiées de lumière, sans le fameux coq dont la mission est, entre autres, de les protéger. Certains néo exigent le silence dans « leur » campagne, où ils comptent bien importer leur ville. Grand merci, Jean-Paul Demarez, de nous entretenir avec finesse des vices incurables de l’humain. Il faudrait peut-être créer un emploi aidé ou un CDI de chef d’orchestre animal avec concours et festival pour apaiser les prédateurs territoriaux. Kirikikiiiii !

  3. Annie T dit :

    Dans le village que j’habite, et dans les villages que je traverse en promenade, ce sont les chiens qui empoisonnent les oreilles.
    En arrivant, le premier chien qui vous entend passer sur la route, et souvent ne vous voit même pas, tant il y a de murs et de barrières pleines (mais motorisées), donne l’alerte, alerte qui est reprise par aussitôt par un autre, puis un autre autre.. On ne peut tout de même pas faire moins que le précédent et ainsi jusqu’à ce que vous soyez suffisamment éloigné pour que plus un seul chien ne puisse vous entendre.
    L’attachement aux cloches et autres signaux visibles ou sonores me semblent relever, dans bien des cas, de la détestable idéologie identitaire, la « soupe » à la Stéphane Bern.
    A part ça je n’ai rien contre les vaches, les ânes, et autres lutins familiers.

  4. Philippe PERSON dit :

    Lu quelque part qu’on mange tant de poulets (pauvres bêtes « vivant » pour la plupart dans des élevages « inhumains ») qu’il est à craindre que dans quelques dizaines de millénaires après la troisième extinction (celle de l’homme), les habitants d’alors trouvent tant d’os de poulets dans le sol qu’ils imagineront que ceux qui auront lancé les missiles aient été des cocottes dotées de l’arme nucléaire…

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