Le traquenard fut superbement agencé, en prévision de la rentrée scolaire 2012. Tout s’emboîtait comme poupées russes. Un travail d’orfèvre machiavélique. Enseignant les Lettres classiques au Lycée Chaptal, Loys Bonod s’infiltra comme contributeur sur Wikipedia, rubrique littérature. Une fois accrédité par quelques apports utiles, selon la règle en usage dans cette encyclopédie collaborative, il ajouta un détail dans la biographie de Charles de Vion d’Alibray, obscur poète baroque, copain de bistrot de Benserade. Il lui inventa une liaison passagère avec une certaine Anne de Beaunais, (chez qui le lecteur attentif trouverait « bonnet d’âne »). Puis il s’en alla sur divers forums, posant d’une main des questions maladroites sur ces personnages, auxquelles, de l’autre, il répondait, en des termes alambiqués, par des considérations ineptes. Poussant le bouchon encore plus loin, sous le synonyme de Lucas Ciarlatano (chez qui le lecteur attentif trouverait « charlatan »),il se fit recruter comme auteur sur deux sites spécialisés dans le commerce de « documents académiques sur mesure » (expression que le lecteur attentif traduirait par « devoirs tout faits »). À qui il finit par fourguer une rédaction concernant Charles de Vion d’Alibray, truffée de balivernes, mais néanmoins validée par leur comité de lecture. Enfin, il posta, de ci de là, sur Google des liens rabattant vers ses créations. Le piège à cons était armé.
Vint septembre, et la rencontre avec ses nouveaux élèves de 1ère. Empreint, on l’imagine, d’une belle jouissance interne, il leur proposa une réflexion personnelle, à rédiger « à la maison », sur le retentissement de ses amours malheureuses dans l’œuvre du susnommé Charles de Vion d’Alibray. Puis il ramassa les copies.
Le résultat va s’avérer conforme à ses attentes. 51 des 65 potaches que l’Éducation Nationale lui avait confiés avaient recopié ses balivernes patiemment semées. De la façon la plus servile, sans vérification ni recoupement, en l’absence de toute réflexion personnelle. Pire, beaucoup s’étaient contentés d’un simple copier-coller. Il leur donna, bien sûr, une explication des gravures, espérant que la leçon leur servirait pour le futur. La presse rendit compte de cette expérimentation objective, réalisée sur un petit effectif. Avec un consternant constat: la grande majorité des élèves pompent sur Internet.
Sans vouloir minimiser l’apport de l’excellent professeur à la sociologie éducative, sa démonstration s’apparente à l’invention du bidon de deux litres. À l’ère des ordinateurs portables, au lieu d’aller s’enfermer dans les bibliothèques devenues désertes, les étudiants s’en vont baguenauder sur le web, tapent quelques mots-clés, copient-collent, ajoutent les transitions, et le tour est joué. Les plus prudents s’appliquent à utiliser des pseudonymes, changer de place tel adjectif, transformer des points en virgules, pratiquer la paraphrase. Ce qui nécessite déjà un certain travail d’écriture, dénommé « plagiat-mosaïque » par les spécialistes. Les moins scrupuleux convoquent directement Chat GPT (1), qui leur composera, à la demande, dissertation, rapport, synthèse, mémoire, essai, thèse …. gratis pro Deo. Astuce relevant également de la contrefaçon, fait de présenter comme sa composition un texte venu d’ailleurs. Il existe, certes, des détecteurs anti-plagiats dans toute université, mais ils ne détectent que les trucages les plus grossiers.
Au reste, pourquoi l’étudiant moyen se gênerait-il ? Ainsi pratiquent également bon nombre de personnalités du monde des Lettres, des Sciences, de la Politique. Certaines, prises la main dans le sac (2), commenceront par des dénégations outrées avant de s’emberlificoter en de piteuses excuses. Mais, ainsi qu’a pu le préciser Michel Houellebecq, en connaisseur: « Ça fait partie des méthodes de la littérature depuis longtemps ! »
Le mauvais tour joué à ses élèves par l’honorable monsieur Bonod montre toutefois les limites de tels systèmes. N’importe quel blogueur pouvant y faire passer n’importe quoi, le web ne fournit pas les réponses les plus fiables, mais des réponses disponibles. Ne pas vérifier les sources ni croiser les références exposent au risque de « confabulation », consistant à prendre pour certaine une réponse erronée.
À la fin du siècle précédent, l’irruption des surgelés dans les foyers français poussa un journaliste à consulter Raymond Oliver, le premier cuisinier exerçant son art devant les caméras de télévision. Que fallait-il penser des qualités gustatives de tels produits?
Après quelques considérations benoîtes, le maître décocha sa flèche, en conclusion: « car, voyez- vous, quand on congèle de la merde, on décongèle de la merde ! »
Jean-Paul Demarez
Belle démonstration, riche d enseignements. Merci de cet article qui doit beaucoup plus à l’intelligence naturelle qu’artificielle. Il est possible que dans quelque temps on qualifie respectueusement ce genre de papier de … »vintage » !
Vous mentionnez « les bibliothèques devenues désertes ». Ce n’est pas l’expérience que j’ai. Je fréquente souvent la bibliothèque Sainte-Geneviève, place du Panthéon, et la bibliothèque de l’INHA (Institut national d’histoire de l’art) qui occupe les locaux délaissés par la BNF rue de Richelieu. Pour pouvoir y entrer il faut une carte et un justificatif, choisir son jour et faire la queue, car toutes les places sont prises d’assaut ! Et ce malgré un nombre de place élevé dans les deux majestueuses salles édifiées par l’architecte Labrousse. Petit bémol, à Sainte Geneviève ainsi qu’à la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou (qui est fermé pour cinq ans et transférée dans le 12e arrondissement) très peu de « lecteurs » y lisent des livres. Ils semblent venir là pour le confort, l’accès à internet, les copains. Ils ont les yeux rivés sur leurs ordinateurs, casques sur les oreilles et regardent souvent des films… ou dorment !
Bonne journée
Il s’agit de l’architecte LabrousTe , et non LabrousSe: peut-être un un glissement inconscient vers Larousse?
Vertigineux. l’écolier du moment dispose de moyens mirobolants bien plus performants que les ressources mises à la disposition des plus dégourdis espions de ma jeunesse. La tricherie scolaire est de tous les temps. Franz Toussaint ami de Jean Giraudoux raconte : son lycée avait présenté son « excellent élève « pour le représenter aux épreuves du concours général de Français et de Latin . Giraudoux remporta le prix de Français,ce que tout le monde trouva « normal « mais aussi un prix de Latin ,ce qui étonna car Giraudoux ne brillait pas dans cette matière. Toussaint marqua sa surprise. Giraudoux lui donna la raison de ce résultat inattendu : mon voisin m’a filé la traduction je l’ai mise en Français.