Il est bien rare qu’une actualité surgisse à proximité de la tombe du Douanier Rousseau sise au jardin de la Perrine, à Laval, département de la Mayenne. Henri Rousseau (1844-1910), dit aussi le Douanier Rousseau, a été enterré ici après une étape au cimetière de Bagneux (Hauts-de-Seine). Sur sa tombe figure (mal calligraphié) un message de Guillaume Apollinaire (1). Peintre dit naïf, totalement à la marge parmi ses pairs, il a côtoyé malgré tout les plus grands noms de l’Art moderne et de la poésie qui l’aimèrent (légères moqueries comprises) au point de lui organiser un banquet. Homme quelque peu étrange, joueur de violon à l’occasion, il n’avait pas eu de chance avec les femmes, la dernière ne s’étant rendue ni à son chevet de mourant ni à son enterrement. Ce qui fait qu’en 1983, il y eut comme une ironie de l’histoire lorsque la ville de Laval installa, juste en face de la tombe, une belle sculpture de Psyché, pas non plus gagnante côté cœur. Laquelle doit quitter fin juin le joli jardin de la Perrine pour être enfin restaurée. Depuis un moment elle était entourée d’un échafaudage, lui-même entouré d’un voile de protection (ci-dessus): prémices textiles d’une cure de soins intensifs.
Car, exhibée en 1870 au salon de la sculpture, elle avait été achetée par l’État puis offerte à la ville de Laval. Cette commune l’avait installée sur une promenade nouvellement créée à Changé, le bourg voisin. Las, la nudité de Psyché avait déplu à certains habitants qui n’avaient reconnu dans cette statue, ni sa beauté légendaire aux ailes de papillon, ni le personnage d’un roman d’Apulée (124 après J.C). Au terme d’une épopée amoureuse comme il ne pouvait en exister qu’en ces temps-là, elle avait en effet gagné ses ailes grâce à Zeus, dieu suprême de la Grèce antique, lequel l’avait épaulée de façon à ce que la malheureuse en amour (en dépit de sa beauté) puisse enfin épouser Éros.
Selon les informations détaillées contenues dans une notice administrative des Pays de Loire et les explications succinctes fournies aux promeneurs, la statue fut plusieurs fois vandalisée par des pudibonds mal élevés, actes au cours desquels elle fut décapitée, perdit un sein et ses ailes. Jusqu’après la Seconde Guerre mondiale précise la notice, Psyché fut cachée derrière un grand tableau noir « dissimulant ainsi sa nudité aux regards des élèves », ceux du musée-école de la Perrine. Le descriptif indique qu’elle « tient dans sa main droite une petite boîte et dans l’autre une pièce de tissu qu’elle presse contre sa cuisse » et qu’elle est représentée « punie de n’avoir pas respecté sa promesse (…) en revenant des enfers d’où elle ramène un coffre de parfum ou un flacon de jouvence ».
Le fait est qu’il s’agit d’une belle sculpture. Comme on en voit tant dans les parcs désormais. Comme aux Tuileries où la nudité, féminine ou masculine, si elle choque encore les benêts, n’enclenche plus des actions de vandalisme. Encore que dans ce domaine, rien n’est jamais gagné.
En tout cas, le journal Ouest-France pouvait annoncer en mai de cette année, que via le concours de mécènes locaux, la sculpture partirait à Amboise (Indre-et-Loire) se refaire une beauté grâce à l’artiste Paul Verdier. Psyché retrouvera enfin ses ailes de papillon, lesquelles seront réalisées à Carrare en Italie. Et reviendra derechef, d’ici à la fin de l’année en cours, dans l’axe de la tombe du Douanier Rousseau.
L’autre personnage qui sortira satisfait de cette affaire depuis le tiers-lieu céleste où il se trouve, c’est Hubert Lavigne (1818-1882) l’auteur de la sculpture en question. Il était temps de le mentionner. Un homme qui décéda des suites de ses blessures lors d’une collision ferroviaire du côté de Charenton, impliquant en 1881, un rapide et deux omnibus. Tout cela fait beaucoup de monde concerné dans cette petite ville traversée par la placide Mayenne, à deux heures environ de Paris en voiture, plus lentement à vol de papillon.
PHB
Merci pour ce bel article qui nous fait voyager dans le temps, dans l’espace, et les arts. En voyant cette sculpture en triste état, je me demandais si c’est la bonne idée de la restaurer pour la remettre en place, soumise aux cycles de la nature et à la violence des hommes. Ne devrait-on pas plutôt la remplacer par une copie en matériau, artificiel certes, mais plus résistant aux intempéries.
A Versailles, où j’habite, les sculptures en marbre (très nombreuses) du parc sont peu a peu remplacées pas des copies. Les originaux sont remisés dans la Galerie des Sculptures et des Moulages installée dans l’une des écuries. La visite en vaut la peine, et là, on les voit de près !
Bonne journée