Les fourberies du faquin

Il faut croire que les faquins avaient disparu. Selon le Robert, cette dénomination prévalait surtout au 17e siècle pour désigner des gens sans valeur et de surcroît impertinents. Dans son poème « Pantomime », Verlaine (1844-1896), évoque bien un faquin d’Arlequin méditant l’enlèvement de Colombine mais c’est pour dire, depuis le temps, toute la désuétude dont le terme est frappé. Dans son édition de 1931, le Petit Larousse avait même décidé de faire court en définissant sobrement le faquin en « homme de rien », une façon à peine codée d’annoncer, telle une bonne nouvelle, l’obsolescence quasi achevée du mot. Et pourtant, ils sont de retour, tout comme les olibrius, cousins par alliance. Tellement nombreux qu’ils sont occultés par leur propre masse. Et pour cause, on leur a donné le micro et, quand ce n’était pas le cas, ils ont su s’en saisir. De surcroît, comme le faquin est un humain, on le détecte moins facilement que s’il s’agit d’un dinosaure. Il est comme tout le monde et tout le monde en vu un: comme tout un faquin.

Dans « Les fourberies de Scapin », Molière (1622-1673), cite un « maraud fieffé », et même « ce faquin d’Argante », ce qui au passage, nous montre qu’il n’est pas de faquin féminin. On pourrait en dire tout autant du butor, du mufle ou encore du cuistre, mots aux origines culinaires, ayant dérivé vers la pédanterie incarnée. Le « Monsieur vous êtes un cuistre » a de quoi décontenancer un interlocuteur peu au fait de cette locution. Mais on ne peut l’utiliser là encore qu’en direction des mâles et, c’est une satisfaction pour les mères, dont la mention alourdit tout type d’insulte. Une femme et singulièrement une mère ne peut être cuistre ou faquin, voilà un domaine réservé pour lequel elles ne devraient point se battre.

Mais revenons à nos faquins purs et durs. Il y en a trois catégories. Celui du coin de la rue dont le rayon d’action ne dépasse pas le prochain carrefour. C’est le plus inoffensif, car il suffit de hâter le pas pour ne plus l’entendre débiter ses âneries. Il reste cantonné à son bistrot du moins quand il y en a encore et dont on mésestimera toujours le rôle salvateur au même titre que le confessionnal. Mais le genre faquin a évolué avec son époque.

Le second, comme nous l’avions évoqué plus haut, prospère au milieu de cette sphère si bruyante des réseaux sociaux. C’est là que les frustrations se libèrent et que les relents des haines cuites et recuites composent un drôle de fumet. S’empaillant les uns avec les autres, soutenus ou pourfendus par la sous-catégorie des suiveurs, ils auraient tendance à se neutraliser entre eux, comme dans une gigantesque bataille d’atomes. La remarque liée à la physique est pertinente, car lors des collisions entre faquins, il se crée des molécules engendrant de nouveaux types de faquins avec des facultés inédites. S’ajoute à cela que leur empreinte carbone due aux réseaux est malheureusement quantifiable, plus de 1% du total des émissions.

Le troisième spécimen fait les titres des journaux et constitue la matière première des plateaux télés, eux-mêmes bien pourvus. Étourdissant concert où l’on ne peut décompter, tellement ils sont nombreux, les diplômés, issus de la fac, des sciences-politiques et autres grandes écoles. C’est le propre du super-faquin que d’avoir accompli des études, que l’on soit un vice-président sorti de Yale, ou de bien d’autres endroits censés former les élites. Ils ont ce point commun de savoir tout sur ce tout, de remplacer le beurre de la tartine par la crème du mépris de l’autre. Super-faquin porte une cape, un masque noir et survole les villes ou roule plus prosaïquement en taxi d’un média à l’autre.

Au bout du compte, cela en fait des vauriens, ne cessant de nous cerner comme des drones, zinzinulant à nos oreilles comme un moteur deux-temps de vieille mobylette. Les gens ordinaires, ceux qui finissent par se compter comme lors des enterrements, guettent le changement d’ère comme le paysan attend la pluie. Ils attendent la figure éclairante qui apaisera les débats, dira des choses sensées et qui ne sachant rien à l’occasion, saura se taire pour cette bonne raison.

Dans la définition du mot faquin, les dictionnaires écrivent qu’il est « vieilli » ou « peu usité ». Pas tant que ça amis linguistes, pas tant que ça.

PHB

Illustration: ©PHB

 

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3 réponses à Les fourberies du faquin

  1. Gilles Bridier dit :

    Le faquin malin n’est-il point un coquin? Il en est plein dans ce zinzin…

  2. Alain S dit :

    Comme souvent, cher Philippe, vous nous régalez avec actualité fort morose, grâce à l’œilleton de votre merveilleuse lunette astronomique à remonter le temps. Et pendant quelques minutes, on oublie l’inanité du présent et on se laisse bercer par la poésie de vos révélations !
    Merci, encore

  3. jmc dit :

    Il y en a une sous-espèce particulièrement prolifique sur les réseaux mais aussi les grandes émissions du petit écran, hélas : les cuistres. Boileau, qui semble avoir connu les chaînes d’info, les décrit bien, ces « cuistres à mines de prélats,
    qui font les entendus et parlent de combats. »

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