Cromwell ressuscité

Les Anglais viennent de prouver, one more time, qu’ils sont les rois de la série historique. Après la savoureuse série « Downton Abbey » (2011-2015), après l’opulente série « The Crown » (2016-2023), voilà « Wolf Hall », adaptée des best sellers de la romancière Hilary Mantel. Une trilogie publiée entre 2009 et 2020 ayant reçu le Booker Price et autres récompenses. Trois épais volumes traduits chez Sonatine en France entre 2013 et 2022. Une somme évoquant the rise and fall of Cromwell, l’ascension et la chute de Thomas Cromwell, très puissant conseiller du très capricieux roi Henri VIII. L’histoire commence en 1527, lorsque le second souverain Tudor, exaspéré de ne pas avoir d’héritier mâle, veut obtenir du pape l’annulation de ses dix-huit années de mariage avec Catherine d’Aragon.

Si le nom de Thomas Cromwell est encore connu, le personnage est toujours demeuré une énigme. Une situation propice à laisser l’imagination de l’écrivaine s’enflammer. Les documents historiques étant quasi inexistants, elle s’est beaucoup interrogée, par exemple: est-ce que le conseiller a pu ou non trahir son mentor bien-aimé le cardinal Wolsey? Est-ce que Cromwell a vraiment souffert de la mort prématurée de sa femme et de ses deux fillettes ? Le scénariste Peter Straughan a sauté sur l’occasion d’en faire des scènes particulièrement puissantes et émouvantes, telle la vision récurrente de la petite Grace aux ailes d’ange, la plus jeune enfant de Cromwell, tenant une bougie allumée, la veille de sa mort. Recomposant entièrement les ouvrages mais fidèle à la romancière, Straughan s’est plongé dans la psyché des personnages, aussi complexe et contemporaine que celle des tout-puissants d’aujourd’hui.

La BBC a présenté les deux saisons réalisées par Peter Kominsky avec neuf ans d’écart, en 2015 et 2024. Et grâce à Arte.tv, nous pouvons enfin les voir à la suite l’une de l’autre, s’achevant et commençant par la même scène de décapitation à l’épée de Queen Anne Boleyn. Il faut avoir vu la première saison, et s’être longuement délecté des tours et détours des affrontements entre le roi Henri VIII et son conseiller, entre le conseiller et les grands de l’Église qui l’abominent puisqu’il veut détruire l’église catholique, ou encore avec les nobles de la Cour qui détestent, méprisent et offensent sans cesse ce fils de roturier. « Je vous emploie parce que vous êtes sournois, lui dit le roi dans un murmure. Ne soyez pas perfide… ». Et après s’être emporté violemment contre lui lors d’une scène mémorable, le roi l’entraînera dans les jardins le lendemain, en tête-à- tête, pour lui dire en souriant: « C’est vrai que vous êtes mon bras droit ! »

Toujours sur une dangereuse ligne de crête, entouré d’ennemis de tous côtés, « Master Cromwell » ou « Crumb » (miette), comme on l’appelle non sans dérision, y compris le roi, peut tout perdre du jour au lendemain. Comment fait-il pour tenir dans ses mains tous ces fils, toutes ces intrigues? Travaille-t-il pour l’Angleterre ou pour lui-même? Ce qu’il fait vraiment, pense vraiment, ce qu’il est vraiment, nous ne le saurons jamais, ce qui nous laisse dans une perpétuelle attente. Les créateurs nous tenant en haleine à l’aide de courtes scènes où s’échangent de brillantes et énigmatiques réparties ne résolvant jamais rien. Sauf lorsque Thomas More, tenant des Catholiques contre la volonté du roi et de Cromwell, pose sa tête sur le billot, ou que Anne Boleyn, la seconde épouse n’ayant pas pu donner un héritier au roi, est décapitée sous nos yeux et ceux de Cromwell. Lui qui a favorisé la nouvelle lubie amoureuse du souverain à l’égard de la blonde dame de compagnie Jane Seymour. Ménageant notamment, au moment crucial, un séjour du roi à « Wolf Hall », la demeure des Seymour…

Lorsque s’ouvre la deuxième saison l’impénétrable, l’impassible conseiller de l’ombre est visiblement hanté par ce violent coup d’épée faisant rouler la jeune tête royale. Nous revoilà dans ces sombres pièces éclairées à la bougie, à Westminster comme chez Cromwell. Les comédiens ont vieilli de dix ans, et nous allons repérer les anciens et les nouveaux, tous revêtus de costumes éclatants de fourrure et de joyaux. Tous parmi la crème de la crème de la scène et du cinéma anglais du moment, toutes et tous rompus à Shakespeare. Nous n’oublierons pas la vindicative Lady Anne Boleyn, alias Claire Foy, dont la classe nous a été révélée dans « The Crown ».

Nous retrouverons avec joie Damian Lewis, le poil aussi roux que celui d’Henri VIII, encore plus épais, s’aidant d’une canne, le regard bleu toujours aussi perfide. Et avant tout Master Cromwell himself. Comment un comédien peut-il dominer à ce point des heures et des heures de gros plans traquant le moindre de son regard, la moindre de son expression, alors que son jeu est tout d’intériorité? Parce qu’il s’agit de Sir Mark Rylance, tout simplement. Il a pris quelques rides, et ses quatre dernières années le renverront sans cesse au passé, en notre compagnie.

Lise Bloch-Morhange

Arte.tv
– « Wolf Hall  Dans l’ombre des Tudors », Saison 1, 6 épisodes de 60 mn
–  « Wolf Hall Le miroir et la lumière », Saison 2, 6 épisodes de 60 mn
https://www.arte.tv/fr/videos/RC-026929/wolf-hall/
Visible jusqu’au 20/2/2026
Images: © Nick Briggs / Playground Television UK
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4 réponses à Cromwell ressuscité

  1. Alain S dit :

    Merci de vos chroniques toujours passionnantes.
    Une petite erreur s’est glissée dans votre texte (sans doute une machination des fantômes de Riche et Gardiner) : au 3 eme paragraphe, la queen décapitée n’est pas Jane Seymour mais Ann Boleyn.
    Vous pouvez supprimer ce commentaire après correction, bien évidement

    • Lise Bloch-Morhange dit :

      Merci à vous! Il y a en effet beaucoup de fantômes dans cette histoire… La décapitée est bien Anne Boleyn (en 1536), puisque Jane Seymour mourra quelques jours après la naissance de son fils Edouard VI (en 1537).

  2. Joël Gayraud dit :

    Mais il faudrait rectifier aussi dans le 4e paragraphe !

    • Lise Bloch-Morhange dit :

      C’est sûrement inconscient: je ne veux pas qu’Anne Boleyn soit décapitée! Quand on voit la scène et l’interprétation de Claire Foy, on comprend pourquoi…
      Crowmwell himself sera hanté par cette scène…prémonitoire…

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