Roubaix expose Picasso intime devant l’objectif de D.D.D.

«Je n’étais pas un artiste ou un historien de l’art. J’étais seulement un type qu’il aimait bien». Recommandé par son ami Robert Capa, le photographe reporter de guerre américain David Douglas Duncan (DDD), se présente un matin de février 1956 à la porte de «La Californie», l’imposante bâtisse des hauteurs de Cannes que Picasso a transformée en atelier.

Le maître prend alors son bain. Entendant l’arrivée du visiteur, il dit à Jacqueline, avec laquelle il partage sa vie, de le faire monter à l’étage. Surprise de DDD : Picasso l’invite tout de go à le photographier dans sa baignoire. « Personne n’a jamais fait cette photo !» ajoute, goguenard, l’artiste andalou.

Pablo Picasso peignant une céramique /Avril 1957, Villa La Californie, Cannes/Coll. particulière /© David Douglas Duncan, 2012

Le baroudeur américain, né à Kansas City en 1916, pénètre ainsi au plus près de l’intimité du plus grand créateur du XXéme siècle, alors âgé de 75 ans. Picasso ne parle pas anglais ; Duncan ne parle pas français. Ils échangeront en espagnol, langue que Duncan pratique un peu. En réalité, c’est en silence, avec la souplesse et la discrétion d’un chat, que le photographe (qui s’est fait fabriquer un Leica spécial encore plus silencieux que les autres) suivra pas à pas, dans la moindre de ses activités, celui qu’il appellera toujours «maestro». Le maître ne refuse rien et n’impose rien à David, qu’il s’obstine à nommer Ismaël. «Maestro, tu ne m’a jamais dit non» lui dit un jour David. «Est ce que tu me demandes comment je dois peindre» ? lui répond le maître. Entre les deux hommes naît une amitié qui ne s’éteindra qu’à la mort de Picasso, en 1973.

Le résultat de ces années de cohabitation ? Des milliers de photos en noir et blanc, (8.400 pour la seule année 1957 !) toujours en lumière naturelle, où l’on pénètre au cœur de la vie quotidienne de La Californie. Picasso s’y montre boute-en-train puis bougon, esquissant des pas de danse avec Jacqueline ou se grimant en paillasse, travaillant ou encore portant avec conviction le chapeau de plumes indien que lui a offert Gary Cooper. Il se déplace au milieu d’un invraisemblable capharnaüm d’objets modestes ou précieux, récupérés ou en cours de fabrication*.

Cent-cinquante sept de ses photos font l’objet d’une passionnante exposition actuellement présentée au musée de La Piscine à Roubaix, après avoir été montée au musée Picasso de Malaga (Espagne), la ville natale de Picasso, et au Kunstmuseum Pablo Picasso de Münster (Allemagne). Des photos choisies parmi un corpus énorme, toutes significatives mais qui, malgré leur indéniable proximité, préservent le secret de la création. « Je l’ai photographié près de 25.000 fois, dit DDD. A chaque fois, il paraissait tout à fait normal, semblable à n’importe qui, excepté son regard. Il riait et était attentif à ce que vous disiez. Mais lorsque j’étais avec lui, je n’arrivais jamais à savoir à quoi il pensait».

Gjon MILI (1904-1984) /Picasso posant avec Duncan .Septembre 1960, Villa La Californie, Cannes/ /Coll. particulière /© DR

 A 96 ans, David Douglas Duncan a tenu à être présent à Roubaix pour le vernissage de l’exposition. L’ouïe est devenue faiblarde («L’explosion d’une bombe au Vietnam» explique- t-il), la marche est un peu hésitante, mais les souvenirs de La Californie sont toujours bien présents. Il évoque souvent la «générosité» de Picasso et se prête de bonne grâce aux interviews. S’il a été présent sur tous les fronts, si des magazines comme Life ou National Geographic lui ont apporté une notoriété mondiale, sa rencontre photographique et humaine avec Picasso (après Man Ray, Brassaï,Dora Maar…) a certainement constitué pour lui la plus fascinante des aventures.

L’exposition de Roubaix, où les documents photographiques sont fort opportunément confrontés à une centaine d’oeuvres de l’artiste malaguègne (peintures, oeuvres sur papier, céramiques, sculptures…) permettra aussi aux nouveaux visiteurs de découvrir un bâtiment exceptionnel. La piscine de Roubaix, construite dans les années 1930, fut le lieu de rendez-vous préférés des habitants lorsque la ville était encore considérée comme la capitale mondiale du textile. Devenue musée en 2001, l’étonnant bâtiment a gardé non seulement son style art déco, mais aussi l’ambiance très particulière de sa fonction initiale (avec même le son et les cris des bassins de natation !). Depuis son ouverture, le musée a accueilli plus de deux millions de visiteurs. Le dynamisme de l’équipe menée par le conservateur Bruno Gaudichon a certainement permis au musée de jouer pour la ville, victime d’un déclin économique particulièrement violent, un rôle un peu comparable à celui du Guggenheim pour la ville basque de Bilbao.

Picasso peignant la série Pepe Illo à l'aquatinte /1957, Villa La Californie, Cannes /Coll. Particulière/© David Douglas Duncan, 2012

* Comment ne pas penser à la critique de Georges Duhamel parue en 1913 dans le Mercure de France, à propos d’Alcools que venait de publier Apollinaire, l’ami intime de Picasso dès son arrivée en France : «Rien ne fait plus penser à une boutique de brocanteur que ce recueil de vers publié par M. Guillaume Apollinaire» …?

La Piscine, Musée d’art et d’industrie André Diligent, 24 rue de l’Espérance, 59100 Roubaix.

De 11 h à 18 h (le week-end de 13 h à 18 h). Fermé  le lundi. Jusqu’au 20 mai 2012

Tél. 03 20 69 23 60. Sur place : Restaurant salon de thé Meert.

www.roubaix-lapiscine.com.

De Paris: TGV Lille-Paris (une heure) puis métro (vingt minutes).

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