Prégardien junior révolutionne le lied

Pour les barytons ou les ténors, le Graal des lieder est le « Winterreise » (ou « Voyage d’hiver ») de Schubert, un ensemble de 24 mélodies pour piano et voix, composé par Franz Schubert en 1827, un an avant sa mort, à trente ans donc. Illustrant des poèmes de Wilhelm Müller (« Bonne nuit », « La girouette », « Larmes de gel », « L’image figée », « Le tilleul », « Torrent », etc. jusqu’au dernier « Le veilleur »), sans rapport les uns avec les autres, le musicien évoque l’odyssée décousue d’un homme désespéré quittant la ville où il a trouvé puis perdu l’amour, s’enfonçant dans la nuit hivernale.
On suit notre voyageur dans sa fuite sans but, en proie au vent, à la neige, aux eaux glacées, chassé par les chiens à l’entrée des villages, parfois saisi par le souvenir cruel du bonheur passé : « Je n’ai pourtant rien fait de mal Pour fuir la vue de mes semblables ; Quel est ce désir insensé Qui m’entraîne vers les déserts ?» (« Le poteau indicateur »). De la poésie pure, mais ce qui en fait un tel chef d’œuvre est l’harmonie inouïe entre le chant et le piano : nous accompagnons le voyageur comme si nous étions à ses côtés. Quelques minutes à peine, parfois juste une, suffisent à Schubert pour nous faire entrer ses mélodies dans le cœur, leur poésie et leur mystère. Continuer la lecture

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Mise à jour du soleil levant

À l’invitation du musée Marmottan de dialoguer in situ avec Monet, Caillebotte ou Pissarro, Gérard Fromanger (1939-) a répondu positivement. Sa réplique au « Soleil levant » de Monet (réalisé durant l’hiver 1872/1873) est spectaculaire. Sur le détail ci-contre, on voit bien que Fromanger a voulu dépasser l’aimable marine normande connue pour avoir lancé l’impressionnisme.
Le résultat est le fruit d’une réflexion personnelle sur l’exploration du cosmos, de Youri Gagarine (le premier homme dans l’espace) à Thomas Pesquet (l’un des derniers en date). S’y est ajouté le fait que la Terre tourne à 30 kilomètres par seconde autour du soleil et que nous, simples piétons, ignorons effectuer à ce rythme une distance annuelle invraisemblable. « C’est extravagant de penser tout cela dit-il« . De son point de vue,  la Terre est à la fois une sorte de « station spatiale, une fusée, un satellite« . D’où cette toile exubérante composée de plusieurs planètes, avec des cercles concentriques,  laissant penser à une expérience hypnotique où se perd une cohorte d’humains. Continuer la lecture

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Mort pour de faux

La correspondance entre Paul Léautaud et André Billy, publiée en 1968, contient une amusante anecdote. Les deux sont écrivains. Le premier est né en 1872, le second en 1882. Ils ont chacun connu Guillaume Apollinaire mais, pour une fois, là n’est pas le propos. Dans une lettre du 1er juin 1941, Paul Léautaud informe son « cher Billy » que le 27 mai alors qu’il se trouvait à la rédaction du Mercure, un certain Gaëtan Sanvoisin est venu lui apporter la nouvelle de sa propre mort. Elle a été diffusée en zone libre, via notamment les antennes de Radio Paris (ci-contre). Plusieurs articles nécrologiques sont alors parus sur cette pseudo disparition, dont un signé d’André Billy qui se trouvait alors à Lyon, à la rédaction déplacée du Figaro. Continuer la lecture

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Le gang des cancéreuses

La libraire avait prévenu : « Attention, c’est très différent de ce qu’il écrit d’habitude », sans pour autant préciser si la surprise était bonne ou mauvaise.
Pour les amateurs et habitués de Sorj Chalandon, écrivain et journaliste au Canard Enchaîné, « Une joie féroce » affiche une certaine continuité avec ses précédents romans : une écriture précise et directe ; des personnages en colère ; un virage de dernière minute dans le scénario qui permet de prolonger la tension que l’auteur a su habilement distiller pour mieux nous surprendre. Continuer la lecture

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Constanze, épouse Mozart

Peu après la mort de Mozart, en 1791, sa veuve reçoit la visite de Casanova. L’aventurier vénitien est si courbatu qu’il admet ne pas pouvoir se pencher suffisamment pour baiser les mains de Constanze. Il est venu avec sa chienne Finette très heureuse de faire la connaissance approfondie du chien (un fox) des Mozart. Si bien que quelque temps plus tard, Casanova apprendra à la jeune femme que Finette a mis bas et que l’on spécule déjà sur les chiots concernés vu leur filiation avec le musicien prodige. Cette amusante anecdote figure dans un livre intitulé « La redoutable veuve Mozart » à paraître le 5 septembre. Il a été écrit par Isabelle Duquesnoy, spécialiste du sujet au point qu’au début de son ouvrage, figure un compliment de Geneviève Geffray,  ex-conservateur en chef de la Fondation internationale Mozarteum de Salzbourg. Un certification inédite qui découle de la « profonde culture » de l’auteur est-il écrit. Continuer la lecture

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Gengenbach, un drôle de paroissien

Oui vraiment un drôle de paroissien, cet Ernest de Gengenbach. Et un bien curieux bonhomme, dont la personnalité hors du commun intéressa les surréalistes, André Breton en premier lieu. La réédition inattendue d’un de ses ouvrages publié à compte d’auteur en 1949 et pratiquement jamais diffusé, réjouira tous ceux qui s’intéressent à ce personnage pittoresque, constamment tiraillé entre Lucifer et sainte Thérèse. Le titre de ses ouvrages témoigne amplement de sa propension à la démonologie et aux sciences non académiques: « Satan à Paris » (1927, préface d’André  Breton), « La Papesse du diable » (1949), « L’Expérience démoniaque » (1949), « Adieu à Satan » (1952)… Continuer la lecture

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Paris était si moche qu’il fallût l’embellir

place de l'Europe-Simone Veil. Photo: PHB/LSDPEt c’est dans ce cadre, par cette ambition, qu’un projet a été retenu visant à modifier l’aspect de la place de l’Europe-Simone Veil. Avec ses vastes perspectives, elle reste un endroit pas désagréable à traverser. Et seul un œil exercé peut identifier l’embellissement dont elle a fait l’objet en son centre. Voyez (en plissant les yeux) le très discret liseré qui souligne le cercle central. Le peintre Caillebotte et plus tard le photographe Henri Cartier Bresson avaient de ce lieu, fait le substrat de leur inspiration sans qu’ils eussent pourtant dénoncé son absence de charme. La place de l’Europe (pas encore Simone Veil), située juste au-dessus des voies de la gare Saint-Lazare, était juste un lieu bien dans son époque, un symbole de modernité notamment matérialisé par les transports, la vitesse, la liberté de se déplacer à toute vapeur. Continuer la lecture

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« Once Upon a time in… Hollywood »: si Hollywood m’était conté

Dans le hall du Pathé de Boulogne-Billancourt, tout en haut de l’une des affiches du film, on peut lire : « Le 9ème film de Quentin Tarantino».  Étonnant, culotté, et très révélateur ! Qui a osé, avant lui, mettre en haut de l’affiche qu’il en est à son énième opus, comme si le monde entier retenait son souffle ? Il faut dire que Tarantino a déjà annoncé qu’il s’en tiendrait à dix films, la dizaine sacrée, comme cinéaste, définissant lui-même à l’avance le cœur même de son œuvre, et qui l’empêchera ensuite d’en réaliser d’autres ?
Il faut dire également que ses films constituent un univers bien particulier, qu’on aime ou qui vous révulse, et que ce petit dernier se présente comme un aboutissement de vingt-sept années passées à définir cet univers que l’on retrouve de film en film. Continuer la lecture

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Jules Adler, peintre humain, trop humain ?

« Je me suis penché avec une sympathie cordiale sur les humbles et sur les simples, trouvant auprès d’eux l’écho de mes pensées. J’ai vécu de leurs vies, dans les mines, dans les ports. J’ai de magnifiques histoires simplement humaines de chemineaux rencontrés sur la grand route. J’en ai employés. J’en ai hébergés, Je les ai découverts. Et si je les aimés, ils me l’ont bien rendu. »
Le peintre Jules Adler (exposé jusqu’au 22 septembre à Roubaix) a 59 ans quand il prononce ce discours, à Bruxelles, en 1924, résumant sans doute ce que fut l’essentiel de son art : un hymne aux petits, aux sans grade, un hommage rendu aux ouvriers, aux mineurs, aux chemineaux, au “petit peuple“ de la capitale ou de la campagne. Né en 1865 en Franche-Comté (Luxeuil les Bains), il s’installe à Paris à l’âge de 17 ans et y suit les cours de peinture. Continuer la lecture

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Sally Mann, artiste de la dégradation

À l’écran d’une vidéo on peut voir Sally Mann secouer doucement un flacon de collodion. Le liquide épais a un aspect orangé. La photographe américaine a utilisé ce produit découvert au 19e siècle lequel permettait, dans le domaine de la photographie, de limiter les temps de pose à moins d’une minute. Pendant qu’elle enduit de cette substance une plaque photographique, elle montre à la caméra quelques points de poussière qui viennent souiller la surface. Et c’est précisément ce qu’elle recherche, la dégradation du résultat final là où d’autres s’obsèdent de la netteté. En cherchant l’imperfection et mieux encore en l’exploitant, c’est ainsi qu’elle obtient de remarquables tirages qui font actuellement l’objet et jusqu’au 22 septembre, d’une exposition au Musée du Jeu de Paume. Continuer la lecture

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