L’invasion de la bâche folle

Ne l’appelez plus Théâtre du Châtelet mais disons l’enceinte iPhone X. Ce sera linguistiquement plus cohérent avec le spectacle qui s’y joue en ce moment: « Singing in the rain » (1). Bonne mère, bonne fille mais pas bonne poire, la pub sait jouer du manque d’argent des caisses publiques pour envelopper au bénéfice des marques, tous les édifices parisiens ayant besoin d’un coup de propre à moindre frais. Avec des bâches gigantesques à côté desquelles les affiches du métro font figure de timbre poste. Et tout indique que cela va s’amplifier, vu l’origine du mal.

Les dernières digues lâcheront quand les gestionnaires de résidences privées réaliseront qu’elles pourront éviter un coûteux ravalement en échange d’une concession publicitaire de longue durée sur la façade. Un peu plus de 30 milliards d’euros se baladent chaque année en France (500 dans le monde)  pour faire de la réclame qui sur les écrans de télé, qui sur internet, qui dans des journaux. Mais aucun de ses « supports » ne peut offrir la surface inégalable (deux cents, trois cents mètres carrés voire davantage), d’une belle bâche inratable dans un endroit des plus fréquentés comme la place du Châtelet ou encore une aile de l’Institut de France actuellement « occupée » par Ralph Lauren, label ayant lui-même succédé à Dior.

Les couloirs du métro ont cédé peu après 1910 et l’histoire montre que tout retour était exclu. Les « pros » appellent cela le « wait-marketing », ce qui signifie que l’on profite du temps où l’usager attend le métro pour lui soumettre des offres tout à fait intéressantes et distinguées comme « adopte un mec.com » au hasard. S’il baisse les yeux cependant, c’est en général sur son téléphone où là aussi l’intelligence artificielle des robots de la pub le suivent à la trace. C’est la traque.

C’est pour cette raison qu’en surface, dans des rues déjà bien garnies en panneaux publicitaires, il ne serait pas superflu d’éviter de neutraliser des vues indiscutablement historiques -comme ces temps derniers l’hôtel de la Marine place de la Concorde avec un téléphone Samsung- afin de se reposer un peu le regard et surtout retrouver nos repères habituels. Gageons que ce n’est pas terminé. La pub s’infiltre partout y compris chez soi sauf à se priver de télé ou de radio. L’invasion de la pub dans la rue est exponentielle, directement indexée sur l’incurie de ceux qui dépensent sans compter l’argent public et qui empruntent à tour de bras quand il n’est plus possible de lever des impôts. Rares sont les villes à avoir éradiqué la publicité en leur sein comme Grenoble en France ou São Paulo au Brésil.

Si la publicité va en même temps où l’argent manque et où les gens sont, alors oui parions qu’elle va bientôt faire son apparition à l’hôpital, dans les bois, les jardins et les cimetières pourquoi pas. Le temps d’un bon deuil, d’une bonne inhumation, il doit y avoir moyen de placer discrètement quelque chose, sur les parois du convoi par exemple. Quand un particulier débourse 6000 euros pour enterrer son vieux père, il y aura toujours quelqu’un pour lui susurrer que cela pourrait être moins cher avec l’aide d’un sponsor bienveillant.

En attendant on peut se demander quel sentiment éprouverait le salarié d’Apple -ou un ouvrier chinois sous-traitant de la marque- qui se serait payé un séjour à Paris en rêvant de ses belles pierres. Pour se retrouver finalement prisonnier d’une boucle qui aurait fusionné point de départ et point d’arrivée.

PHB

(1) En raison des travaux, le spectacle « Singing in the rain » est donné au Grand Palais

 

Publicité à proximité de l’Institut de France, décembre 2017

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3 réponses à L’invasion de la bâche folle

  1. Philippe Person dit :

    Bien vu, Philippe !
    Et sur Saint-Augustin ? À chaque ravalement (constant, car la pierre de l’église souffre de la circulation maximum du boulevard Haussmann), les bâches se préoccupent de moins en moins de la « sainteté » du lieu !
    Il y a, moi, une chose qui me choque : ce sont les grandes pubs permises (à vérifier !) sur les pharmacies. J’ai près de chez moi une grande pharmacie qui a des « affiches » géantes ou pire des vidéos… ça donne du cachet à Paris !
    Ah ! un dernier point : l’habitude de faire des expos photos sur les grilles des parcs et jardins me paraît une fausse bonne idée… J’ai peur qu’on passe bientôt à la pub…. Chut… « ils » nous lisent peut-être
    Encore merci pour cet emportement matinal !

  2. EH oui Philippe,

    c’est devenu la plaie de Paris, mais une des associations qui a soutenu notre action depuis 7 ans pour tenter de sauver les Serres d’Auteuil lutte contre ces bâches folles, et l’on peut lui apporter son soutien.
    Il s’agit de la société SITES ET MONUMENTS, ex SPPEF, association nationale reconnue d’utilité publique, présidée par le très efficace Alexandre Gady, professeur
    d’histoire moderne à la Sorbonne, qui vient d’obtenir la disparition programmée de cette grande roue place de la Concorde qui défigure la plus belle perspective parisienne depuis vingt ans.. J ‘avais relayé leur pétition auprès de mes pétitionnaires, voici leur site:
    http://www.sppef.fr/
    Leurs combats plairont aux lecteurs des Soirées!
    LBM

  3. Christine Nedelec dit :

    Merci pour cet excellent article que nous nous empressons de relayer sur notre page.

    SOS Paris était auditionnée comme la SPPEF la semaine dernière pour dire tout le mal à penser des dérogations de la loi Olympique notamment sur la publicité dans les sites classés qui s’apprête à dérouler pour 7 ans le tapis rouge aux annonceurs du CIO . Espérons que cette question soit âprement discutée entre les députés…

    Je vous envoie notre article à venir dans notre prochain bulletin d’information

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