Compagnon de la lune rousse, je lui souhaite bonne nuit, une nuit longue et belle comme il savait le faire quand il avait la «niaque ». Higelin c’était le doute, une carrière faite de creux et de bosses. On croit entendre le musicien et on découvre le poète. «Pars, surtout ne te retourne pas, /Pars, fait ce que tu dois faire sans moi / Quoiqu’il arrive je serais toujours avec toi, / Alors pars et surtout ne te retourne pas». Jacques Higelin l’inclassable, marquait son époque d’une tache de notes et de mots qui nous renvoient à nos propres souvenirs.
Dans les appartements délabrés du vieux Tours qui sentaient un peu la pisse et le café, il y avait toujours une couette ou un matelas pour le révolutionnaire de passage, nous étions encore dans les années soixante-dix. Quand les yeux commençaient à piquer de trop courtes nuits et de trop de tabac, on se taisait, un instant, la chaîne hifi nous berçait des voix de Fontaine et d’Higelin «… mais l’enfant, /L’enfant il est là, il est avec moi /C’est drôle quand il joue il est comme toi, /Impatient, il a du cœur, il aime la vie/ Et la mort ne lui fais pas peur.»
C’est un peu comme Ferré, mais un Ferré qui se serait aimé. Et puis il y eut la période noire pour la chanson française ; Jacques Debronckart, Henri Tachan, Jean-Roger Caussimon, Bernard Dimey… Sic transit. Pourtant en cette fin des années soixante , on aurait pu penser que les musiques avaient besoin de mots. Penser à quoi, arrête de penser, les jeunes avaient envie de mots, oui, de musique aussi pour mener leur révolte en musique. Elle s’appelait Rolling Stone ou Doors ou Janis Joplin. Sauf qu’en France, on ne trouvait pas des paroles françaises pour de la musique américaine. A l’époque, Higelin a failli en crever. Tiens je me rappelle, je ne sais plus si c’était en route vers le Larzac, un pote tenait le long de la route, un stand chauffé par le bitume, qui vendait des fruits de mer. On lui en prend, gratuitement, de quoi remplir les poubelles du parking d’un trop plein de coquillages même pas ouverts. La cassette de l’autoradio jouait : « Paris – New-York, New-York – Paris, /Comme un pauvre con tout seul à Orly, /J`attends ma p`tite Suzy qu`arrive par le Boeing de 15h33 /Tout droit du Minesota. /V`la que l`idée me prend d’aller traîner mes godasses/sur l’dépotoir de l’aérogare qu’est juste en face. /Et là, vautré sur la banquette d’un Jumbo-Jet déglingué, /Je rêve tout éveillé à Paris – New-York, New-York – Paris /Comme si vous y étiez, comme si tu y es ».
Higelin avait trouvé sa musique et son public. Paris-New York devient le rendez vous de ses concerts. Le Trianon à Paris joue à guichet fermé, le théâtre des rues ou les futurs chantiers des centrales nucléaires feront du bruit ailleurs. «Champagne et caviar pour tout le Monde» « La nuit promet d’être belle,/Car voici qu’au fond du ciel /Apparaît la lune rousse, /Saisi d’une sainte frousse/Tout le commun des mortels /Croit voir le diable à ses trousses./Valets volages et vulgaires/Ouvrez mon sarcophage/ Et vous pages pervers/Courrez au cimetière /Prévenez de ma part/Mes amis nécrophages/Que ce soir nous sommes attendus dans les marécages ».
Il est grand temps pour Jacques Higelin de rendre au père de la chanson française, ce qu’elle lui doit, c’est-à-dire tout. Charles Trenet avait aussi été emporté par le maelstrom. Je l’avais vu, assis sur l’herbe, nous étions une centaine de personnes à la fête de l’Huma. Jacques Higelin l’emmena au Printemps de Bourges , il fit un triomphe. Higelin aussi quand il donna son «Higelin chante Trenet», j’irai le voir deux fois. Et puis tout le reste, sa manière de sauter pour s’asseoir sur son piano, de se moquer de son percussionniste Dominique Mahut, et après un rappel à en oublier le métro de donner la scène à une boule d’énergie, Izïa Higelin. Il est mort ?
Bruno Sillard
Voir sur Youtube:
https://www.youtube.com/watch? v=AkOVU6P_AKE
https://www.youtube.com/watch? v=mD3bh3wWaSQ
Il y a presque cinquante ans, « Remember »
https://www.youtube.com/watch?v=t5h2s1qj9lc
Bébert et l’omnibus… Elle court, elle court la banlieue… Un homme à la mer…
Higelin aurait pu être un acteur populaire, sympa, marrant, anticipant Dewaere…