Plutôt mort que clivant

Jamais autant de monde n’a fendu autant de minéraux dans le sens naturel de leurs couches. Voilà une phrase dont on peut être sûr qu’elle n’a pas été prélevée en douce dans une liste de citations qui font mouche. Car elle correspond en effet à l’action bien rare de « cliver », du moins dans sa définition première. Et pourtant on voit le mot partout. Récemment dans l’actualité on pouvait lire un point de vue dans les colonnes de Paris Turf stipulant que le nouvel hippodrome de Longchamp était « clivant ». C’est ce que les orthophonistes appellent un mot-valise soit un vocable à tout faire pour les personnes ayant des difficultés d’élocution.

Mais à ce point… De mémoire, le dévoiement de ce mot date d’il y a au moins dix ans. Le conseiller d’un homme politique qui se destinait aux plus hautes fonctions de l’État lui recommandait au téléphone et dans l’entre-deux tours de davantage « cliver à droite ». Faute sans doute de bien maîtriser le marteau consistant à fendre la pierre de l’opinion publique, l’ex-candidat rumine depuis son amertume dans un club clivé.

Mais quelle carrière pour un vocable dont l’origine est essentiellement technique. Sur France Inter on évaluait il y a peu le rapport entre  Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon et le « clivage droite-gauche ». Et dans la même maison -ronde-, sur France Culture, un article posait dans le même temps la question de savoir dans quelle mesure la « Gauche européenne » serait « condamnée au clivage Nord-Sud ». Tandis qu’à la mi-mars, le quotidien catholique La Croix estimait que les « questions d’éthique dans le monde protestant » était un motif de « clivage ».

Mais parfois c’est pour de vrai. Ainsi, quand une journaliste du magazine Sciences et Avenir spéculait le 21 mars sur le rôle de la protéine IL-33, elle décrivait un mécanisme se déroulant en deux étapes : « d’abord la libération de la forme d’IL-33 entière peu de temps après l’exposition à l’allergène, suivie rapidement d’un clivage par les protéases des allergènes en formes matures plus courtes induisant la réponse allergique ». On ne saurait trop la féliciter de cet emploi adéquat dans un contexte qui nous est nonobstant un peu obscur.

Mais c’est trop tard. L’opinion et les personnes identifiées comme « relais d’opinion » utilisent désormais sans frein l’ingrédient quand ils ne clivent pas eux-mêmes cinq minutes, pour le pur plaisir du clivage solitaire et gratuit. Les dictionnaires ont dû s’adapter. Et quand le Larousse se penche en 2018 sur le verbe cliver (son participe présent et l’épithète qui va avec) c’est pour explique-t-il , parler de « quelqu’un, de quelque chose qui divise profondément l’opinion ». Voilà au moins une frontière établie face à un usage irréfléchi qui aurait pu aller jusqu’au « clive-moi le sel » ou bien pire encore « j’ai une forte envie de cliver » ce qui peut amener l’interlocuteur à répondre qu’en la matière il y a des endroits pour ça. Pour ceux que ça démange encore, il va falloir imaginer des cures, des patchs ou des séances de groupe qui commenceraient par « je m’appelle Jean et je suis clivant ». Et la petite assemblée de toxicos répondrait avec compassion et solidarité: « Bonjour Jean ».

 

PHB

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5 réponses à Plutôt mort que clivant

  1. Si, dans le genre, vous voulez pleinement vous régaler, lisez donc L’hexagonal tel qu’on le parle de Robert Beauvais !
    André Lombard. 84 Viens

  2. philippe person dit :

    Philippe,
    je dois me confesser : hier, j’ai écrit une critique d’un spectacle qui passait à La Loge, la semaine dernière, « Durée d’exposition »… et j’ai écrit que c’était un spectacle clivant !
    Est-ce grave, docteur Bonnet ?
    merci de reprendre les bonnes habitudes… et vive Les Soirées de Paris !

  3. piluem dit :

    Bonjour,
    Merci pour cette excellente analyse du dévoiement de ce mot.
    En avez vous d’autres à nous proposer ?

  4. BM Flourez dit :

    Mais alors, le plaisir de lire cet article relève-t-il d’un clivage ou d’une fracture (… adjectif(s) au choix, je ne voudrais pas être clivant) ?

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