La couleur des mots de Miró

À quoi pouvait bien songer Emmanuel Macron devant cette toile de Miró intitulée « Silence » et réalisée en mai 1968. Lui qui s’exprime déjà tout le temps entre discours moralisateurs et écarts variés. Formons le vœu qu’il aura pris note du message délivré par le peintre espagnol tandis qu’il déambulait cette semaine en compagnie du roi d’Espagne au milieu du Grand Palais. Ou peut-être spéculait-il sur le coût pharamineux (1) de la rénovation des lieux, soit déjà plus de 500 millions d’euros, avec un impératif de terminaison en 2024 pour les jeux olympiques. Mais plus probablement était-il tout à son bonheur de savourer une parenthèse artistique alors que son quinquennat à peine commencé patauge déjà dans l’impopularité.

Felipe VI, de son côté, a peut-être perçu un amusant parallèle. Car cette rétrospective qui s’achèvera en février accueille un peintre né en 1893 à Barcelone, alors que la France exporte en sens inverse et au même moment un ancien premier ministre, lui aussi né à Barcelone, dans un inédit exercice de recyclage politique. En admettant qu’il ait pensé à faire une remarque sur le sujet, sans doute s’est-il abstenu.

L’exposition Miró est certes l’occasion de se demander en quoi l’édifice qui l’abrite nécessite autant de dépenses mais elle nous offre surtout le plaisir de découvrir un artiste qui avait choisi d’enjamber le cubisme florissant pour épanouir son art dans le dadaïsme et le surréalisme. En août 1968, Joan Miró confiait justement aux Nouvelles Littéraires que le surréalisme lui avait permis de « dépasser de loin la recherche plastique » pour le « mener au cœur de la poésie » et même au « cœur de la joie« . Celle qui consistait à jouir du « sens et du titre d’un tableau » enfin achevé.

Choisissons le parti de préférer Miró quand précisément il inclut du texte -empruntant à certains cubistes- dans ses réalisations. Il y a notamment cette œuvre emblématique (détail ci-contre), tout à fait convaincante par son esthétisme et sa simplicité. En haut à gauche figure le mot « photo » et en bas à droite, à côté d’un joli tourbillon bleu, le peintre a ajouté « ceci est la couleur de mes rêves« . Rien que pour ça, rien que pour le « Silence » aussi, on s’abstiendra de critiquer d’autres déclinaisons de son style propre dont la profusion peut donner envie de quelque chose de plus affirmé, de davantage « parlant ». C’est en ce sens que les quelques mots choisis dans certaines de ses réalisations contribuent à notre satisfaction.

Joan Miró était aussi l’ami des poètes (Pierre Reverdy, Max Jacob, Tristan Tzara, Jacques Dupin, Paul Eluard, René Char, André Masson, Robert Desnos, André Breton…) en faveur desquels il apportait parfois son concours d’illustrateur et cette rétrospective en donne un aperçu. Cette riche fréquentation lui ouvre les perspectives pertinentes de l’amalgame des matières. Comme le dit assez justement le commissaire Jean-Louis Prat: « Miró a su créer un alphabet qu’on ne connaissait pas en peinture. C’est un langage dont nous avons besoin aujourd’hui, qui n’est ni figuratif ni abstrait et qui invente quelque chose en relation avec l’esprit, un univers ouvert au monde« .

Miró n’était pas qu’un peintre, pas qu’un sculpteur, pas qu’un illustrateur ou un céramiste. Tout comme son compatriote Picasso il aimait à embrasser dans ses plus grandes largeurs l’espace créatif. Il confrontait les éléments glanés à l’extérieur avec son substrat intérieur. De la réaction chimique ainsi provoquée résultait ensuite une transposition qu’il dilatait en différentes dimensions sur un support ad hoc. Les codes si personnels dont il usait pour ce faire, si variés, si éclairés, si inspirés, si libres surtout, font que cette rétrospective regroupant 150 œuvres sur 70 ans de création, nous apporte un intérêt pas forcément attendu. Et nous interroge enfin sur la couleur de nos propres rêves.

PHB

 

 

Miró au Grand Palais, du 3 octobre 2018 au 4 février 2019

(1) Pharamineux s’écrit aussi faramineux, le « ph » semble un peu daté, vérification faite après une interrogation de lectrice

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5 réponses à La couleur des mots de Miró

  1. Complètement miro sans doute, je ne partage en rien votre point de vue : cet « artiste » n’arrive même pas à m’amuser un brin ! Il fait même partie de ces « artistes » qui me font dire que l’Histoire de l’art est à refaire: combien de vrais talents hélas passés à la trappe de cette même Histoire de l’art pour un Miro indiscutable selon les canons officiels de la modernité ???

    • Jacques Ibanès dit :

      Connaissez-vous le tableau intitulé « La Ferme » dont Hemingway avait fait l’acquisition dans son jeune temps et qu’il conserva précieusement durant toute son existence? M’est avis qu’il pourrait vous intéresser …

      • Oui, il est d’ailleurs à l’expo

        • LOMBARD André dit :

          Je livre mon point de vue en fonction du grand nombre de Miro que j’ai vu reproduits et qui ne m’ont jamais convaincu.
          Un seul tableau réussi ne saurait suffire à convaincre, bien que je ne doute donc pas de sa qualité. Mais tout le reste ? Une œuvre qui mérite admiration et respect, c’est tout autre chose !

          • Mais votre avis est lui aussi tout à fait respectable cher ami lecteur. Comme je le laisse entendre tout n’est pas bon à prendre chez Miro et la bonne surprise est notamment venue de ses peintures avec inclusion de texte. Merci de nous livrer votre point de vue en tout cas. PHB

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