Cordialement vôtre

Le fait est que pour un « Créole crème » la norme est de conclure la préparation du cocktail par une ou deux olives. C’est sur cette question cruciale d’ailleurs que Danny Wilde et Brett Sinclair font un jour connaissance pour les besoins du premier épisode de la série britannique « Amicalement vôtre ». De nos jours on dirait « cordialement » mais cela confirme que depuis 1972 et la fin de l’ORTF pour ce qui est de la version française, de l’eau a coulé sous les ponts. On trouve le premier épisode en diffusion libre sur Youtube (1) et ce serait un péché que de ne pas en profiter pour retrouver le moral ou entretenir son métabolisme. La désuétude de la proposition scénaristique est telle qu’il ne faudrait pas attendre encore beaucoup plus de temps, pour que cette série britannique de 24 épisodes ne frôle le drame surréaliste.

Après avoir flirté avec pas moins de quatre autostoppeuses au volant de son Aston Martin, le chic Brett Sinclair (Roger Moore), débarque un jour au bar de l’hôtel de Paris à Monte Carlo. Et là, en compagnie d’une créature,  il réclame son « Créole Crème » en précisant au barman d’une part, que le meilleur ami de l’homme « après les femmes et les chiens » c’est la substance en question, et d’autre part,  qu’il doit y mettre une olive en guise de conclusion. Danny Wilde (Tony Curtis) qui se trouve juste à côté (également en compagnie d’une créature) intervient pour signifier qu’un bon « Créole Crème » ne se conçoit qu’avec deux olives. De fil en aiguille la conversation dégénère en bagarre  et c’est ainsi que se noue une complicité qui portera la série jusqu’à son terme au détriment de la pègre européenne.

Aujourd’hui, cette savoureuse histoire à visionner en version française pour des besoins de cohérence avec l’enfance, ne peut s’apprécier qu’à travers un second degré augmenté, tant les clichés sexistes -entre autres- fourmillent de façon continue. Les seuls personnages spirituels, détenteurs du monopole des bons mots, ne sont en effet que les deux héros. Les personnages féminins en sont réduits à défiler en bikini et en robe du soir et s’inquiètent au mieux d’avoir égaré leur sac à main. Elles ne sont que des proies faciles que l’on transporte soit dans l’Aston Martin de Brett ou la Dino Ferrari de Danny. Une féministe qui se hasarderait à regarder un seul extrait d’un seul épisode se cyanoserait immédiatement devant le téléviseur Pathé Marconi de ses (grands) parents. Un scénariste qui proposerait quelque chose d’équivalent de nos jours à une chaîne de télévision, briserait sa carrière à jamais. À noter que les personnages français ne s’en sortent guère mieux sur la question du quotient intellectuel.

C’est l’antagonisme entre l’homme issu de la noblesse britannique (Sinclair) et celui provenant d’un américain parvenu (Wilde) qui entretient, épisode après épisode, le lien qui a fait le succès de cette série. C’est ainsi que le premier réfute la suggestion du second en avouant son dégoût teinté de mépris à la seule perspective de deux olives « s’entrechoquant mollement l’une contre l’autre » à la surface d’un bon « Créole Crème ».

De l’autre côté de la Manche, le feuilleton (en France on ne parlait pas encore de séries), avait pris le nom bizarre de « The persuaders », soit littéralement, les « persuasifs ». Une chose n’a cependant pas vieilli dans cette affaire de petit écran, c’est le générique, porté par la musique de John Barry. Laquelle peut encore se trouver en 45 tours (ci-contre). Sur fond de clavecin, l’écran se divise en deux afin de mieux détailler l’origine sociale et les itinéraires des protagonistes. C’est un petit chef-d’œuvre de montage. En revanche l’accoutrement supposé chic de Sinclair vire depuis 2019, au ridicule, tandis que l’accoutrement davantage casual de Wilde passerait encore les comités de vigilance du bon goût. Quant à l’humour anglais (détérioré ou rehaussé selon les points de vue par la version française), il lie le tout à merveille comme un fin filet d’huile d’olive dans un « dry Martini ». À revoir un lundi soir de pluie quand les meilleurs amis sont injoignables.

PHB

Voir enfin le premier épisode

Tony Curtis: 1925-2010
Roger Moore: 1927-2017

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3 réponses à Cordialement vôtre

  1. philippe person dit :

    Cher Philippe,
    si vous regardez attentivement le générique final, vous allez découvrir que le perchman (Sound Recordist) de la série s’appelle Claude Hitchcock (né en 1918 et mort en 2010)… qui a commencé sa longue carrière dans des films d’… Alfred… comme Les 39 marches ou Une femme disparaît… (Voir IMDB)
    Quel rapport entre Alfred et Claude ?
    Je pense qu’il s’agit du fils du frère d’Alfred, William (né en 1890).
    Toutes ces précisions (et ses suppositions) sont inutiles. Mais quand même !
    Qu’il y ait quelque part la patte d’Hitchcock dans The Persuaders, cela méritait d’être dit !!!

    Dire aussi que la série avait pour réalisateurs de grands noms : Basil Dearden, Val Guest, Roy Ward Baker et des distributions riches : avec évidemment Laurence Naismith en Juge Fulton !!! et aussi Bernard Lee (M dans James Bond), Dame Gladys Cooper… et Joan Collins dans l’épisode qui se passe sur la Côte d’Azur (avec son mémorable Tube Citroën !)
    Un mot sur Roy Ward Baker : auteur du Cavalier Noir (The singer not the song)… Un western ouvertement homo (bien avant Brokeback Mountain) où tout habillé de noir Dirk Bogarde s’en donne à coeur joie dans l’ambiguïté pinterienne… Ambiguité qui n’était pas absente de The Persuaders… L’Anglais aristo et la petite frappe américaine (habillé souvent en cuir), c’est un peu Haddock et Tintin…

  2. ibanès jacques dit :

    Bravo et merci au tandem des deux Philippe! Nul n’étant parfait, je n’ai jamais regardé de ma vie une quelconque série et là, je craque …

  3. Je ne crois pas qu’on appellerait aujourd’hui cette série « Cordialement vôtre » mais toujours « Amicalement vôtre », qui est la traduction de l’expression « Friendly yours ». Parfois je regarde un épisode ici et là (but in English please) et le problème est que les scénarios sont faiblards, contrairement à ceux de « Chapeau melon et bottes de cuir »(étrange « traduction » de « The avengers », qui s’apparente d’ailleurs à « The persuaders »).
    Aujourd’hui les bonnes séries, qu’elles soient US (sur Netflix), suédoises (Borgen), anglaises (Pinky Blinders), espagnoles (Hierro), italiennes (Il Miracolo) etc, sont souvent plus inventives que les films. Elles sont devenues une composante de la société, comme on peut le voir par exemple sur Arte, qui en diffuse régulièrement d’excellentes. Alors gloire aux ancêtres Brett et Danny!

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