Chine, Sex and Fun. Episode 1/2

Hasard des découvertes, il suffit souvent de faire quelques pas hors de l’agitation des circuits touristiques balisés pour découvrir une perle rare. Cela a été le cas à Tongli, une ville de 35 000 habitants à 80 kilomètres de Shanghai. Tongli abrite un musée insolite qu’on n’aurait pas imaginé trouver dans une petite ville provinciale du Jiangsu.
En quête de modernité depuis plusieurs décennies, les Chinois redécouvrent concomitamment leur patrimoine historique. Autour de Shanghai, les villes historiques bâties sur les canaux connaissent une nouvelle jeunesse et attirent les foules. À Tongli, on chavire le week-end dans les rues fourmillant de touristes chinois. Venus nombreux se réapproprier leur passé, ils n’hésitent pas à parader en costume d’époque loués – selfies obligent – le long des canaux de cette petite Venise chinoise.

Maisons traditionnelles aux boiseries sculptées, toits aux courbes gracieuses, ponts millénaires en dos d’âne, … la beauté romantique de Tongli est aussi éclatante que ses trésors architecturaux. Les touristes sont urbains, plutôt jeunes et grands consommateurs de babioles-souvenirs dont regorgent les échoppes des rues centrales.

Fuyant la foule consumériste du centre-ville, quelques pas de côté nous mènent dans une rue banale où le manège d’un groupe de touristes chinois nous intrigue. Après avoir passé une tête par un portail entrouvert, ils font aussitôt machine arrière avec de petits rires gênés et le rose aux joues. La curiosité piquée par leur attitude, nous leur emboîtons le pas. Le portail débouche sur un jardin entouré de gracieux pavillons classiques. La grande statue de bronze qui se dresse à l’entrée, a de quoi chatouiller la pruderie chinoise. Elle représente un homme nu et enchaîné pointant son gigantesque phallus en érection – un phallus aussi grand que lui – en direction des visiteurs. Nous sommes au musée de la sexualité, comme nous l’apprend sa gardienne venue encaisser les billets.

Qu’on ne s’y trompe pas, il n’y a rien de graveleux ici. Le fondateur de ce musée l’a conçu comme un outil pédagogique soft apte à décoincer les Chinois pudibonds et éclairer les ingénus sur « L’origine du monde ». La leçon commence dès l’entrée. L’homme enchaîné au phallus hypertrophié est là pour nous montrer qu’on ne peut pas toujours contrôler le corps humain et que certaines libertés ne peuvent être entravées. On peut trouver curieux que ce petit bijou muséal soit venu se terrer à Tongli alors qu’il avait pignon sur rue commerçante à Shanghai où il a été créé en 2000. Curieux aussi qu’il n’en soit fait publicité nulle part à Tongli ni ailleurs en Chine. Les gardiens de la morale publique auraient-ils mis leur veto, le sexe étant encore un sujet tabou dans l’Empire du milieu ?

Premier musée dédié au sexe en Chine, il est l’œuvre d’un érudit, Liu Dalin, né en 1932. Cet ancien officier de l’armée, esprit ouvert et curieux, s’est reconverti en étudiant la sociologie alors balbutiante en Chine. Il est devenu un éminent professeur de sociologie de l’université de Shanghai dont il est retraité aujourd’hui. S’intéressant au comportement sexuel de ses compatriotes, Liu Dalin a écrit un ouvrage de référence dans lequel il explore 4000 ans d’histoire de la sexualité chinoise. Il a été traduit en français sous le très beau titre de « l’Empire du désir » (Editions Laffont, 2008, épuisé).

Et, pour explorer le comportement sexuel de ses compatriotes dans la Chine moderne, Liu Dalin a mené, en 1989- 1990, une grande enquête auprès de 20 000 Chinois des quatre coins du pays. Plaisir, virginité, polygamie, homosexualité, masturbation… pas de tabous dans ce rapport Kinsey de l’Empire du milieu (publié en anglais sous le titre « Sexual Behaviour in Modern China ») qui a fait beaucoup parler de son auteur. L’enquête a montré à Liu Dalin que les mentalités chinoises n’ont pas fait de grand bond en avant vers la modernité. Le sexe est encore souvent considéré comme quelque chose de vulgaire ou d’obscène et de nombreux Chinois sont totalement ignorants en la matière. Mais où est donc passé le raffinement de l’art de l’alcôve de l’époque Tang ? Et l’art de faire monter la marée du Yin pour que la fougueuse « tige de bambou » ouvre l’impériale « porte de jade » en une extase céleste ? Oublié cette science de l’amour développée pendant les siècles passés ?

Liu Dalin a décidé d’ouvrir un musée sur ce thème pour changer l’attitude des Chinois à l’égard de la sexualité en leur montrant combien elle était libre autrefois. Niché dans l’ancien pensionnat de … jeunes-filles de Tongli (on ne l’invente pas), il est formé de quatre gracieux pavillons et d’un jardin.

Le jardin, parsemé de sculptures érotiques (aperçu ci-contre) n’est qu’une mise en appétit de ce qui se trouve à l’intérieur des pavillons. Liu Dalin collectionne depuis des décennies des sextoys anciens, certains antédiluviens, chinés aux puces ou chez des antiquaires. À côté des panneaux didactiques à visée éducative, les pavillons renferment une partie de sa collection privée de 1400 objets suggestifs. Et, si on rit beaucoup devant des godemichés séculaires qui défient l’imagination, on rit jaune dans la section consacrée aux tortures autrefois infligées aux femmes libertines ou au corps des femmes en général.

Pour pénétrer les secrets des pavillons du musée de la sexualité et découvrir les obscurs objets du désir de la collection de Liu Dalin, rendez-vous en janvier sur Les Soirées de Paris. Vous pourrez y lire l’épisode 2 de « Chine, sexe and Fun. Quand l’Empire du désir dévoile ses secrets ».

Lottie Brickert

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8 réponses à Chine, Sex and Fun. Episode 1/2

  1. Raymond dit :

    « Pour que la fougueuse tige de bambou ouvre l’impériale porte de Jade en une extase céleste »: qu’en termes galants ces choses sont dites… J’aime !

  2. Catherine Boccaccio dit :

    j’attends l’épisode 2 avec impatience et je suis d’accord avec Raymond, la phrase est magnifique!

  3. thierry dit :

    je frémis déjà à l’idée du prochain billet. Au pays du Yin et du Yang, le constat sur la place de la sexualité dans la société chinoise me laisse songeur… Merci encore pour ce billet si original (et si agréablement écrit).

  4. Christine dit :

    L’expression : trouver chaussure à son pied serait elle d’origine chinoise ?

  5. Kai dit :

    J en ai deja entendu parlé. Vu dans un reportage télé en France

  6. despinois agnes dit :

    sujet très sympa qui donne une autre image de la chine. J’aime beaucoup pour que la fougueuse tige de bambou……..c’est très imagé et poétique. J’aime beaucoup

  7. Ping : Chine Sex and Fun. Episode 2/2 | Les Soirées de Paris

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