Pom pom pom pooom

beethoven karajan cd photo: LBMIl ne vous a sans doute pas échappé que l’Europe, voire le monde entier, va célébrer toute l’année le 250ème anniversaire de la naissance de Beethoven, né à Bonn, ville rhénane, en 1770. Quittant à 22 ans sa ville natale qu’il ne reverra jamais, il arrive à Vienne un an avant la mort de Mozart (unique rencontre peu concluante entre ces deux-là). Il y mourra en 1827, à cinquante-sept ans, dans un état de surdité avancée dont les premiers signes remontent, semble-t-il, au début des années 1800. Au fil des années, le mal empirera mais ne ralentira pas sa fièvre créatrice, le poussant vers une sorte de fécond exil intérieur. En Allemagne, la célébration ayant été officiellement lancée dès le 16 décembre 2019, plus de 700 événements sont organisés jusqu’au 17 décembre 2020 autour de celui que l’hebdomadaire Der Spiegel qualifie de « pop-star de 250 ans ». Depuis sa naissance, donc.
On peut dire en effet qu’on lui en fait voir de toutes les couleurs et qu’on le met à toutes les sauces depuis pas mal de temps, en particulier lorsque chez nous les Quatre Barbus, dans les années 1950 et 60, s’en prirent à sa Cinquième symphonie sur l’air de « Pom pom pom pooom… », paroles de Pierre Dac et Francis Blanche : « Lapin, Lapin… La pince à linge fut inventée… » etc.

À partir d’un certain âge, tout le monde a engrangé ses petits CD Beethoven at home, et l’écouter, à la maison comme au concert, nous fait vivre des moments proustiens : vous revient en pleine force l’époque où vous écoutiez en boucle la « symphonie Pastorale », la « Clair de lune » ou « l’Allegretto de la Septième » (rythmant les longues jambes arpentant Nantes d’Anouk Aimée, la « Lola » de Jacques Demy). Ou alors vous revivez votre période Concerto « à l’Empereur » ou Sonate à Kreutzer, and so on.
Ce serait pourtant une erreur de croire tout connaître de Beethoven, et nous aurons cette année l’occasion de redécouvrir un compositeur ayant abordé avec une fécondité et une inventivité inégalées tous les genres musicaux, y compris avec son seul et unique opéra «Fidélio» (première version dite « Léonore ») : symphonies, sonates pour piano et orchestre, sonates pour violon et piano, sonates pour violoncelle et piano, concertos pour piano, triple concerto pour piano, violoncelle et violon, « Fantaisie chorale », « Missa Solemnis », « Messe en ut », etc., ou encore les quatuors.
Ah ces derniers quatuors que certains mélomanes considèrent comme le testament beethovénien ultime et la quintessence même de la musique.
Si bien qu’en cet anniversaire beethovénien planétaire, le Quatuor français Ebène se devait de relever le gant : il a entrepris l’an dernier un « global tour of 21 countries » au cours duquel il a joué l’intégrale des quatuors, tout en enregistrant certains (les fameux derniers) lors de sept de ces étapes autour du monde. Les enregistrements sont disponibles chez Erato.

Quant aux maisons de disque, elles ont déjà sorti leurs « New Complete Edition », mais heureusement, on peut se référer à la revue mensuelle Diapason pour s’y retrouver dans ce maquis (numéro de janvier dernier). Quatre intégrales majeures sont passées au crible : celles de Universal DG (Deutsche Grammophon), Warner, Naxos, et Sony, allant respectivement de 231 euros à 45 euros et de 118 à 25 CD.
And the winner is… la petite dernière, auréolée du Diapason d’or du mois.
Si Sony a fait le pari de se concentrer sur des enregistrements légendaires, il faut dire que les artistes sélectionnés appartiennent essentiellement au passé (Bernstein, Munch, Gould, Francescatti, Richter, entre autres), et que les autres intégrales incluent tout de même des noms plus récents ou contemporains.
Mais Diapason, toujours elle, a fait davantage en éditant ces derniers mois, dans sa série « Les indispensables », disponibles sur catalogue, deux exquis Beethoven : tout d’abord 7 sonates pour violon et piano (2 CD) absolument éblouissantes sous les doigts notamment de Zino Francescatti et Robert Casadessus, Yehudi Menuhin et sa sœur bien aimée Hephzibah, et une Sonate « A Kreutzer » par Jasha Heifetz et Benno Moiseiwitsch.
Ah cette Sonate « A Kreutzer » qui deviendra le titre d’une longue nouvelle de Tolstoï, comme le livret nous le rappelle, citant un passage assez torride où le narrateur se remémore sa femme et son amant écoutant, au cours d’une soirée, le premier presto : « Il y a un lien entre eux, la musique ; tout ce qu’il y a de plus raffiné dans la volupté des sens. Qu’est-ce qui peut le retenir ? Rien. Tout au contraire l’attire. Et elle ? Mais qu’est-ce qu’elle ? Elle fut et reste un mystère. […] Je la connais seulement comme un animal, et un animal rien ne peut et ne doit le retenir. »
Ciel ! Si le premier presto a déjà eu cet effet sur les deux amants, que dire du presto final, auquel nul ne peut résister ?

Autre édition récente des « Indispensables » de Diapason, les trois quatuors dédiés en 1808 au comte Razoumovski. Des œuvres célèbres pour avoir renouvelé le genre du quatuor inventé par « papa Haydn », comme disait Mozart. Des œuvres envoûtantes, subtiles, délicates, dont la revue a retenu trois interprétations, sélectionnant les Calvet, les Paganini et les Budapest pour leur « modernité », alors que les enregistrements remontent aux années 30 et 40 !
Par comparaison, on pourra se reporter à « La Tribune des critiques » diffusée chaque dimanche à 16 heures sur France Musique : le 17 novembre dernier, comparant six interprétations du Razoumovski n°2 (le plus connu), ces messieurs-dames ont élu en numéro un le Quatuor Prazak (enregistrement de l’année 2000), puis en seconde position le Quatuor Hagen (année 2011), et enfin la version 2019 des Français du Quatuor Ebène, enregistrée lors de leur « world Beethoven tour ». Sachant que les Ebène combineront cette année la célébration des 250 ans de la  pop star  de Bonn et les 20 ans de leur propre formation : les deux violonistes mâles avec leur Stradivarius, le violoncelliste avec un Carlo Tononi du dix-huitième siècle, et l’altiste, la touche féminine de la bande des quatre, avec son alto datant de 1625.

Par ailleurs tous les musiciens du monde vont sortir leurs intégrales, des pianistes aux violonistes en passant par nombre de maestros s’attaquant aux symphonies. Comme il est impossible de choisir dans cette avalanche, signalons que Laurence Equilbey, la discrète et merveilleuse cheffe en résidence à la Seine musicale de Boulogne, a pris les devants dès la fin 2019. Avec son ensemble Insula Orchestra et son chœur Accentus, elle a gravé la « Fantaisie Chorale Opus 80 » avec quatre stars françaises : Bertrand Chamayou au piano accompagne la soprano Sandrine Piau, le ténor Stanislas de Barberac et le baryton Florian Sempey.
Puis vient le « Triple Concerto Opus 56 », le très célèbre concerto qui vous plongera dans des réminiscences ultra proustiennes si vous ne l’avez pas entendu depuis longtemps, à en pleurer de bonheur.

Lise Bloch-Morhange

Sélection:

Opéra Royal de Versailles, du 12 au 15 mars, Intégrale des 9 symphonies dirigées par François-Xavier Roth ; 6 juin, Intégrale des dix sonates pour violon et piano, Renaud Capuçon violon, Kit Amstrong piano
www.chateaudeversailles-spectacles.fr

Radio France, Auditorium, du 20 au 22 mars, Intégrale des 32 sonates, François-Frédéric Guy piano entouré de huit jeunes pianistes ; 26 mars Concerto pour piano et orchestre n°2 avec l’Orchestre National de France, Christian Zacharias piano
www.maisondelaradio.fr

Théâtre des Champs-Élysées, 21 mars Sonate « Appassionata » Nikolaï Lugansky piano ; 29 mars Sonate « A Kreutzer », Nemanja Radulovic violon, Laure Favre-Kahn piano ; 5 avril suite de l’intégrale des quatuors à cordes par le Quatuor Belcea ; 22 avril Missa Solemnis dirigée par Jérémy Rhorer ; 7 mai Lieder, Mathias Goerne baryton
www.theatrechampselysees.fr

La Seine Musicale, 23 avril, « Symphonie Héroïque », Laurence Equilbey direction
www.laseinemusicale.com

Philharmonie de Paris, Intégrale des symphonies, 24 et 25 avril, Chamber Orchestra of Europe, Yannick Nézet-Séguin direction
www.philharmoniedeparis.fr

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4 réponses à Pom pom pom pooom

  1. philippe person dit :

    Je ne sais pas s’il tourne encore, mais il ne faut pas oublier le magnifique spectacle que Pascal Amoyel a consacré à Beethoven, « Looking for Beethoven ».
    Quand il le jouait au Ranelagh, il a connu un véritable triomphe (justifié)…

  2. Marc Welschbillig dit :

    Petit épisode vécu en consultation : invité à l’Opéra dans le cadre d’une découverte culturelle, un patient me dit :
    – je suis allé à l’Opéra écouter Beethoven. C’est pas lui qui jouait, mais c’était super bien !
    Un bel hommage, finalement.

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