Derniers échos d’une vie blessée

L’année de ses 13 ans, juste avant la deuxième guerre, la petite Wally Danzig découvre pour la première fois la mer sur une plage du Calvados. Elle respire l’air iodé, éprouve le plaisir de porter un maillot de bain deux pièces, ressent la joie d’observer les mouettes qui parcourent le ciel marin. Aujourd’hui qu’elle est sur ses 94 ans, elle avoue conserver peu de souvenirs de ces vacances en famille. Et puis Wally était juive et en 1939 tout allait se détraquer. Son insouciance courait à la ruine avec les tracas de l’exil, de la clandestinité, les affres du manque de nouvelles familiales. La première partie de son histoire est en noir et blanc. Elle est racontée par Valérie Villieu et mise en images à l’aquarelle par Antoine Houcke, dans une bande dessinée à paraître en mai aux éditions La boîte à bulles.

À quoi bon publier une histoire tragique parmi des milliers d’autres? Mais parce que la source des témoins vivants, des survivants, commence à se tarir. Et que l’amnésie collective sur le sens de la paix et des libertés continue sans se lasser son travail de sape. Et puis tout le monde ne s’appelle pas Simone Veil. Tout le monde n’a pas forcément un éditeur à ses pieds. Mais Wally sur ses vieux jours, avait rencontré une femme à qui parler.

Il a donc fallu au départ, l’écoute d’une infirmière à domicile. Une parisienne originaire de Chamalières (Puy-de-Dôme) qui n’en était pas à son premier coup. Elle avait déjà, en 2012, publié « Little Joséphine », le prénom de l’une ses patientes souffrant d’Alzheimer et qu’elle avait lentement apprivoisée. Afin de raconter la vie d’une dame perdue. Laquelle avait presque tout oublié. Et que presque tout le monde avait également oubliée.
Plus tard, Valérie Villieu s’est occupée de Wally qui, elle, disposait encore de toutes ses facultés. Ce qui fait que Wally Danzig lui a tout délivré, lentement, au fur et à mesure que ses souvenirs refaisaient surface. Valérie Villieu l’a même associée à la publication de la BD jusqu’à l’impliquer dans le choix du dessinateur. Un travail patient qui a duré six ans.

L’album commence donc en noir et blanc par songe récent dans lequel Wally reçoit la visite de ses deux sœurs disparues. Et puis les pages suivantes, c’est la naissance en Pologne dans la ville de Brody « haut lieu du judaïsme ». Son frère Beno, ses deux sœurs Marie-Erna et Bella sont ses aînés par ordre chronologique. Wally est née le 20 mars 1926 et lorsqu’elle arrive en France, elle n’a que six mois. Les débuts de la petite famille frôlent tout d’abord l’indigence avant de s’améliorer progressivement. « Sans doute par souci d’intégration » ses parents francisent les prénoms de leurs enfants. Wally devient Valentine.

Et bien sûr la catastrophe ne tarde pas, juste après les fameuses vacances à la plage. Les lois anti-juives tombent en France en même temps que les étoiles jaunes. Le pays capitule. Un jour, avant de fuir Paris, Wally ira dans un petit hôtel en aplomb du camp de Drancy. Où elle apercevra pour la dernière fois son frère Beno. Son père organise le franchissement de la ligne de démarcation, notamment pour elle et sa sœur Bella. D’étapes en étapes, elles finissent par gagner Corenc, un un village de montagne non loin de Grenoble. C’est à partir de cet instant que le récit se colorise avec les délicates aquarelles de Antoine Houcke. Au-dessus de la petite maison qui les abrite vit Jules Flandrin, un peintre alors reconnu qui participe avec sa famille à cacher la jeune Wally. C’est la vie à la campagne alors que l’on sait quand même que les menaces, les dénonciations, sont si proches. L’atmosphère est à la fois paisible et intranquille. C’est là-bas aussi que Wally découvre l’amour car rien n’arrête l’amour lorsqu’il se présente. Et puis il y a la fin de la guerre, le retour et ces disparitions auxquelles on se refuse de croire jusqu’à la plus extrême limite. C’est la vie cisaillée des persécutés.

En ce drôle de printemps 2020 à Paris, la vie de Wally recadre quelque peu nos difficultés actuelles. Toutes ces histoires de guerre, d’occupation, de déportation, de terreurs, nous semblent bien lointaines. Et pourtant le cœur de celle qui a confié son histoire à l’infirmière bat encore à l’heure où nous écrivons ces lignes. Le cœur c’est bien connu, produit comme un sourd bruit de tambour. Un son qui vient de loin et que l’on pourrait presque entendre en pressant, comme un coquillage, cette précieuse BD contre l’oreille. Il n’y aura jamais trop de témoignages et toujours trop de silences, toujours trop d’oublis.

PHB

 

« Deux hivers, un été ». Valérie Villieu, Antoine Houcke. Éditions La boîte à Bulles. Sortie en mai. 24 euros

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2 réponses à Derniers échos d’une vie blessée

  1. Beau témoignage, Philippe, vous avez raison, les témoins de l’époque sont devenus très rares, et il ne faut pas perdre leurs…derniers témoignanges.

  2. Stephen Wood dit :

    Wally is my great Aunt and Bella is my Grandmother. I am incredibly excited to finally get to see this all in print. It is bringing tears of both sorrow and joy to my eyes….

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