De quel bois se chauffait Gustave Moreau

Afin de maintenir une bonne température ambiante dans la maison familiale, Gustave Moreau et sa famille n’avaient pas lésiné sur les investissements. D’immenses radiateurs, de volumineux poêles garnis d’un œil de cyclope, avaient en effet été installés dans les pièces du haut, notamment celles qui lui servaient d’atelier. Né en 1826, disparu en 1898, Gustave Moreau voulait laisser une trace de son passage sur Terre en indiquant, par voie testamentaire, sa volonté de transformer son domicile en musée personnel. En matière de gloire posthume, il n’est rien de tel que d’en maîtriser soi-même l’organisation. Cette préoccupation n’était pas chez lui une lubie de dernière minute. Dès 1862 il écrivait  en effet qu’il pensait à sa mort et « au sort » de ses « pauvres petits travaux ». Faux modeste sans doute puisque cette aimable maison nichée dans le neuvième arrondissement a vu par la suite, ses murs entièrement recouverts de ses œuvres à dominante symboliste. Ce musée fait en principe partie, de par sa taille, des établissements culturels qui seront autorisés à rouvrir au mois de mai.

Encore que ce ne sera pas si simple vu l’étroitesse des pièces du rez-de-chaussée et du premier étage. Les visiteurs (dûment masqués), devront sans doute patienter afin par exemple, de découvrir le minuscule boudoir qu’il réservait à ses entretiens avec son amoureuse Alexandrine.

Cet intrigant musée fascina ou inspira plus tard des noms comme Marcel Proust, André Breton, Max Ernst ou Salvador Dali. L’ensemble n’est pas tout à fait dans son état d’origine. Mais il permet quand même de se faire une idée de la vision et de l’usage qu’en avait le maître de maison. Comme aurait pu le dire Jacques de La Palice, plus on monte, plus on s’élève et surtout, dans le cas qui nous occupe, plus l’espace dévolu aux arts s’accroît. C’est en 1895, après la mort de ses parents et de son amie Alexandrine Dureux, qu’il confie à l’architecte Albert Lafon de transformer le logis familial en musée lequel ouvrira en 1903. Ce sont ses parents, Louis et Pauline, qui avaient acheté la maison en 1852 avec comme dessein d’y aménager un atelier pour leur fils.

Sur les deux derniers étages en effet, reliés par un extraordinaire escalier en spirale signalé dans les guides touristiques étrangers, l’espace règne. L’artiste pouvait donner sa pleine mesure. Ses milliers d’œuvres sont disséminées partout où c’est possible au point que le regard fatigue lorsque l’on cherche à en isoler une pour tenter d’en extraire le sens. S’y ajoutent de nombreux dessins que l’on peut consulter accroupis, via de curieux panneaux pivotants incrustés dans les parois. Son style mélangeant le mysticisme, le symbolisme, l’orientalisme parfois, n’est pas forcément aisé à apprécier. Paradoxalement, ses œuvres inachevées ou qui semblent l’être sont davantage accessibles et, d’une certaine façon plus modernes, précisément parce qu’elles ont l’air d’avoir été abandonnées en route. Il n’en reste pas moins que son tableau de « Saint Georges terrassant le dragon », d’inspiration italienne, force l’intérêt sauf que là où il est perché il faudrait presque des lunettes de théâtre afin de capter toutes les finesses d’arrière-plan.

En fait ce petit musée tout en hauteur et adulé des visiteurs japonais vaut autant par son contenu (y compris le système de chauffage) que par son contenant. Il concentre et conserve en ses murs la vie d’un homme dont le trajet artistique a été soutenu par ses parents ce qui n’est pas courant. Comme le Musée de la Vie romantique très proche, il permet d’enjamber deux siècles à rebours avec une ambiance à la tranquillité provinciale. Si tout va bien à partir du 11 mai, l’on pourra aussi franchir les portes d’établissements de ce genre comme au hasard, le musée Zadkine ou l’atelier d’Antoine Bourdelle, restés étanches eux aussi aux errements bien contrariants de la vie moderne. Et nous irons le cœur plus léger puisque nous serons enfin débarrassés de ces sauf-conduits bien davantage désobligeants que dérogatoires.

PHB

 

Musée national Gustave Moreau
14, rue de La Rochefoucauld
75009 Paris

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4 réponses à De quel bois se chauffait Gustave Moreau

  1. jacques ibanès dit :

    Et en attendant la visite, on peut aller faire un tour dans le roman « À rebours » de Huysmans où deux tableaux (si je me souviens bien) de Gustave Moreau font l’objet d’extraordinaires descriptions…

  2. Carole Guinard dit :

    Un endroit plein de charme qui mérite la visite, à la fois maison d’artiste, atelier et musée. On est plongé dans l’univers de Gustave Moreau, son style pictural symboliste qui rend hommage à ses maîtres de la Renaissance, ses sujets oniriques qui portent à la rêverie, ses dessins de belle facture, mais aussi la conception « cocon » de la demeure, où le peintre aimait se confiner, loin des bruits du monde… Un musée en miniature – cela ne m’étonne pas qu’il plaise aux Japonais – au coeur de Paris, une jolie escale entre deux grandes expositions au Louvre ou au Grand Palais.

  3. tilly dit :

    merci ! parmi les fascinés-inspirés, il y a aussi Henri Calet qui a donné un compte rendu de visite inénarrable… (août 1947, Combat, puis repris dans « De ma lucarne »)
    [et autres textes sur ses (ou ces) petits musées plus ou moins disparus : Assistance Publique, Police Judiciaire, musée de Montparnasse, musée de l’Asperge…]

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