Soustraction faite du son

S’intéresser aux oiseaux est une façon comme une autre de tourner le dos, le temps d’une pause, aux fracas qui nous assourdissent. Chez les Japonais qui pratiquaient l’estampe, la représentation des volatiles appartenait au monde de l’ukiyo-e, c’est à dire les « images du flottant ». En l’occurrence, dans ce plaisant livre qui vient de paraître aux éditions Hazan, il s’agirait plutôt d’un monde volant mais, comme nous l’explique en liminaire la spécialiste de cet art si particulier Anne Sefrioui, le terme ukiyo-e, évoquait tout d’abord « l’impermanence des choses terrestres », avant d’évoluer vers l’hédonisme, « la jouissance du moment présent » et les « plaisirs de la vie ». Notamment versées dans cette thématique qu’est l’estampe japonaise à travers les siècles, les édtions Hazan nous invitent une fois de plus à faire un pas de côté, façon de démontrer que nous lecteurs, ne sommes pas à la disposition soumise des événements.

Tout comme « Les cents vues du mont Fuji », ouvrage récemment chroniqué dans Les Soirées de Paris (1), cet album consacré aux oiseaux se présente en accordéon, merveille d’édition qui en fait d’emblée un élément hautement chérissable par les collectionneurs. Il réunit des maîtres de l’estampe japonaise sur une époque courant entre le 18e siècle et jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale en passant par les ères  Meiji (1868-1912) et Taishô (1912-1926). Anne Sefrioui nous précise que c’est vers la fin du 18e siècle que se développe l’art spécifique du kacho-ga, terme qui signifie « images de fleurs et d’oiseaux ». Plus globalement elle évoque l’Edo, soit l’époque concernée par ces pages délicates. Au début, précise-t-elle aux ignorants que nous sommes et ravis de s’instruire, la réalisation d’une estampe devait réunir quatre métiers. Celui du dessinateur, celui du graveur « qui sculpte les planches de bois », celui de l’imprimeur « qui encre les planches et presse les feuilles de papier » et celui de l’éditeur qui coordonne le tout.

Nous apprenons aussi que c’est à partir du moment où l’estampe tend à disparaître que l’occident commence à s’y intéresser, jusqu’à influencer les impressionnistes et plus largement l’Art nouveau. Un jeune marchand d’art japonais repère cet engouement. Shõzaburõ Watanabe (1885-1952), équivalent de celui que fut Clovis Sagot pour la peinture moderne en France, se lance sur ce marché en 1905 en pratiquant des réimpressions et en ouvrant un atelier en 1907 dans l’idée de faire appel à des artistes contemporains de son pays. Ce renouveau sera baptisé Shin hanga, ce qui voulait dire « estampe nouvelle ».

Anne Sefrioui nous parle de tous ces artistes majeurs mais inconnus des non-spécialistes comme Utagawa Hiroshige (1797-1858) et aussi de Kubota Shunman (1757-1820) à qui l’on doit notamment une admirable chouette sur une branche de magnolia (détail ci-contre).

Au fur et à mesure qu’il tourne les pages, allant littéralement de branche en branche, le lecteur (ailé, voire gréé) se laisse facilement happer par cet enchantement si simple de l’estampe japonaise. Ce livre qui ne peut techniquement se feuilleter puisque les 48 pages, on l’a dit, sont liées entre elles, nous fait comprendre par les images ce qu’est véritablement l’ukiyo-e, ce monde « flottant ». Soustraction faite du son, on s’y sent comme dans une nacelle bougeant à peine, planant dans l’univers apaisé de cet univers ornithologique, nous apaisant un métabolisme qu’une actualité sous tension, additionnée des habituels petits tracas du quotidien, s’acharne à perturber. Un petit moment de vacances en bref, que l’on peut à loisir ou en urgence pour se recadrer l’humeur, extraire de sa bibliothèque.

PHB

 

« Les oiseaux par les grands maîtres de l’estampe japonaise », coffret plus un livret. 22,95 euros

(1) La chronique des « Cent vues du Mont Fuji »

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Une réponse à Soustraction faite du son

  1. Merci pour cette merveilleuse chouette!

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