Pas vraiment à bout de souffle

On ne sait pas si Jean-Luc Godard ferait preuve de la même modestie que le musicien qu’il avait recruté pour son film « À bout de souffle » (1960). Alors que la musique de Martial Solal, composée pour l’occasion, nous apparaît à nous spectateurs comme indissociable du symbole cinématographique de la nouvelle vague. Martial Solal, qui aura 93 ans le 23 août, disait en 2002 à l’occasion de la parution d’une collection de musiques de films créée par la marque Universal, que si « À bout de souffle » n’avait pas existé, la musique imaginée pour accompagner Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo à l’écran, n’aurait pas rencontré « d’intérêt particulier ». Voire. Quand on l’écoute en faisant mentalement abstraction du film, elle se suffit à elle-même. C’est du bon, du très bon jazz qui a su s’affranchir de l’époque qu’il caractérisait.

Dans le petit livret qui accompagne ce disque sorti en 2002 (et qui contient une version musicale inédite du film de Godard), Martial Solal raconte son enfance à Alger et ses premiers pas dans l’apprentissage du piano classique. C’est là-bas qu’il découvre le cinéma américain, des musiciens de jazz comme Glenn Miller. Là-bas également qu’il décide de sa vocation de pianiste de jazz avant de débarquer à Paris en 1950.

Le cinéma va lui donner un nom. C’est d’abord Jean-Pierre Melville en 1958 qui lui commande quelques minutes de musique pour son film « Deux hommes dans Manhattan ». C’est le début selon lui, d’une « réaction en chaîne ». Grâce à l’entremise de Melville, Godard l’appelle et lui propose de collaborer avant de le convier à une projection de « À bout de souffle ». Il dit avoir travaillé « dans l’urgence, à un mois du mixage », et donc chronomètre en mains avec « des points de repères précis, des minutages bien définis ». Il conçoit l’orchestration complexe des séquences, avant de terminer au piano solo pour la scène de fin où meurt Belmondo. Sa mélodie ultime, aérienne, crève alors l’écran. Martial Solal devient par la suite un artiste recherché par d’autres réalisateurs. L’avenir et le succès lui sont promis sans limites, ce qui ne va pas se vérifier. Personne ne sait jamais quand va commencer et se terminer une parenthèse enchantée. La sienne durera cinq ans. La musique pop débarque et l’effet nouvelle vague, le goût du jazz décroissent. Il faudra attendre quarante ans avec « Les acteurs » de Bertrand Blier, pour qu’il soit de nouveau sollicité. Soit douze films en tout et pour tout, ce qui n’est pas si mal mais court.

Amateur de jazz passionné, Daniel Filipacchi le classait parmi les grands. Il ne l’avait pas omis en 1990 quand il décida en 1990 de publier un album des « incontournables » en la matière. Martial Solal y figurait en bonne place à côté de figures majeures comme Duke Ellington, Miles Davis, Charlie Parker, Oscar Peterson, Cab Calloway, Erroll Garner, Thelonious Monk et et bien d’autres géants du genre. Accompagné d’une photo de Guy Le Querrec (ci-contre), le texte de Pascal Anquetil évoque un pianiste bourré d’humour, aimant le risque, détestant « la monotonie confortable de la ligne droite ».
Il parle de Martial Solal comme d’un homme recherchant au contraire  « la surprise des angles, le piège des virages imprévus, les contrepieds de la fantaisie, les brisures du rythme ». Avec lui dit-il, « on bascule éperdument dans l’espace sans fond de tous les possibles ». Même si cela est vrai pour d’autres, la remarque est sans aucun doute fondée.

Cette liberté qu’il chérit et pratique n’oublie pas cependant les règles fondamentales, et Martial Solal n’aimait pas ce qu’il était convenu d’appeler le free jazz. Dans un documentaire réalisé en 1970 et visible dans les archives de l’INA (1), on le voit jouer un morceau sarcastiquement intitulé « Jazz frit » où il déploie à la fois toute sa rigueur, sa modernité et sa remarquable inspiration. Comme il le dit lui-même, Martial Solal est un « entêté chronique » cherchant toujours la nouveauté. Jamais à bout de souffle finalement, c’est un beau survivant au même tire que Belmondo ou Godard. Conclusion écrite en croisant les doigts pour déjouer le mauvais sort, ce qui n’est pas si facile sur un clavier, fût-ce sur un ordinateur ou un piano.

PHB

(1) Écouter « Jazz frit »

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Une réponse à Pas vraiment à bout de souffle

  1. philippe person dit :

    A quand l’interdiction d’A Bout de Souffle !
    C’est l’apologie d’un petit voyou tueur de flic – sans aucun remords pour le pauvre fonctionnaire assassiné. Il harcèle une petite étudiante américaine qui finit par lui céder et qui prise, elle, de remords d’avoir couché avec un assassin le dénonce. C’est donc elle qui a le mauvais rôle. Logiquement ce macho de Godard la traite de « dégueulasse ».
    C’est un film où l’on croise Parvulesco, interprété par Melville. Barbouze roumain d’extrême-droite ami de Rohmer (qu’il faudrait aussi interdire). Dans le film, l’opérateur est Coutard, pro Indochine française. Belmondo est inspiré du personnage de Gégauff, bien connu pour ses sympathies très droitières (et qui finira étranglé dans un bordel hollandais, si je me souviens bien).
    Bref, écoutons Martial Solal et interdisons Godard

    (Cette chronique est évidemment un clin d’oeil ironique aux sécateurs actuels qui ont provoqué la mort d’Olivia de Haviland, quand elle a appris qu’Autant en emporte le vent était un film ignoble)

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