Le Percot de Quinze Grammes localisé

Évidemment lorsque l’on meurt à 23 ans, la postérité ne retient pas grand-chose de la personne disparue. Du poète Jean Roger Bernard Arbousset, dit « Quinze Grammes », tué d’une balle à la guerre le 9 juin 1918, il ne subsistait qu’un ouvrage de poésie intitulé « Le livre de quinze grammes, caporal ». Il devait succéder à ce livre un autre recueil et un roman jamais retrouvés. Lorsque Éric Dussert publie en 2013 (aux éditions Obsidiane) un livre sur ce très jeune auteur, il mentionne également qu’aucun exemplaire du journal des tranchées, « Le Percot de Quinze Grammes », n’a  jamais été retrouvé. La BnF conserve 130 journaux de ce type, dont le « Case d’Armons » d’Apollinaire, mais pas celui-là. Or il se trouve qu’il y en a un, le numéro quatre, que la Bibliothèque de Besançon a numérisé. De surcroît il est consultable en ligne (1) et c’est une découverte.

Ce précieux exemplaire est due au collectionneur Charles Joseph Clerc qui « dans son testament en date du 14 avril 1945, a légué toutes ses collections à la Ville de
Besançon », ainsi que nous l’a précisé le conservateur de la bibliothèque Marie-Claire Waille. Son patrimoine comptait 232 titres de journaux de guerre pour la
période 1914-1919 dont le précieux « Percot ».

À la guerre, il fallait bien tromper l’ennui, la peur et même l’effroi. Ce pourquoi Jean Arbousset s’était lancé comme d’autres dans la publication d’un journal du front, dont la devise était «La ligne de feu va de la première patate à la dernière marmite». C’est dire que l’humour était potache voire un brin dadaïste. Voilà d’ailleurs ce que racontait entre autres, le mince éditorial de la page de couverture: « Cuisiné à l’arrière, il (Le Percot) publie, dans des articles qui ne manquent pas de sel, de fausses nouvelles et des calomnies, déclarant que notre cycliste a été retrouvé dans sa chambre à air, ou que l’aspirant, ayant perdu son biberon Robert, s’alimente avec des toles sous prétexte que «les toles ont du lait», etc. etc. » L’humour plus ou moins vaseux (mais excessivement pardonnable du journal) était partout. En page cinq (sur huit en tout), l’un des distingués collaborateurs de la publication recommandait par exemple de « ne pas laisser de ponts sans culée » (la culée est la partie d’un pont qui soutient le tablier depuis la rive ndlr). Il fallait bien rire et rire bien fort pour faire baisser le niveau de la trouille. Le camarade d’Apollinaire, René Dalize, tué à l’ennemi lui aussi, avait publié son propre journal dont le titre était « Les Imberbes, paraissant de temps à autre et longtemps s’il plaît à M.M les Allemands » avec entre autres une jolie « Ballade des tibias rompus ». Il y avait une foisonnante créativité quant à l’élaboration des titres. Dans son ouvrage, Éric Dussert rappelle que le mot « percot » désignait une information fantaisiste dans l’argot des poilus. En 1940, on parlera davantage de « bouteillon », puisque les fausses nouvelles arrivaient avec la marmite de nourriture ainsi nommée.

Selon différents témoignages, Quinze Grammes avait paraît-il un gai tempérament bien exprimé par le regard, mais il fut tué « devant Saint-Maur (Oise ndlr) à la tête de sa section laquelle avec toute la compagnie, tentait d’arrêter le boche dans cette dernière poussée des barbares, sur le Paris de leur hantise » selon un texte de Louis Dubreuil-Chambardel notamment repris dans le livre de Éric Dussert.

Dans son unique recueil de poèmes, Arbousset baptisé Quinze Grammes par ses camarades, a rédigé un texte sur les journaux du front. Il l’a dédié à Jean Bastia, chansonnier montmartrois dont on retrouve du reste la signature dans « Le percot de Quinze Grammes ». Sa poésie bien faite, écrite à la guerre nous touche au cœur. Ainsi lorsqu’il écrivait: « La lune éclaire/au loin perdus/les trous d’obus/emplis d’eau claire. /Au fond d’un trou/une chaussure/bâille et murmure/avec dégoût », on voit bien les images que ces mots suscitent.

On gagnera à se procurer une édition de son unique livre « Le livre de quinze grammes, caporal » dont les poèmes toisent la mort et rendent hommage à tous ces hommes flingués par un conflit dont les tenants et aboutissants leur passaient bien au-dessus de la tête. Pas comme les balles et les obus qui eux, allaient droit au but.

PHB

Accéder à la version numérisée du « Percot de Quinze Grammes »

À propos de Quinze grammes on peut lire l’article très bien renseigné de Gérard Goutierre paru en 2013 dans Les Soirées de Paris.

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5 réponses à Le Percot de Quinze Grammes localisé

  1. É.-A. Hubert dit :

    Chers amis,
    je lis « perlot » (terme resté longtemps en usage) et non pas « percot ».
    Bien cordialement.

    • Cher Etienne-Alain Hubert, c’est vrai que le titre ainsi calligraphié pourrait laisser croire à un « L ». Mais lorsque l’on examine les pages suivantes, 2&3 notamment, l’usage de la lettre « C » ne fait pas de doute. Ce qui n’empêche que « percot » pouvait également se dire « perlot ». Bien à vous. PHB

  2. philippe person dit :

    Percot = « information farfelue »… C’est comme ça qu’on devrait appeler les « fake news » puisqu’on ne veut pas de « bobard » qui serait plus francophone (mais ça réduit la « dangerosité supposée des fausses nouvelles »)… Et en même temps, on rendrait vraiment hommage aux poilus, c’est-à-dire à des hommes qui n’étaient pas des militaires mais des citoyens embobinés dans une guerre que Georges Louis, le frère de Pierre Louys, a dénoncé comme étant la volonté d’une joyeuse équipe de va-t-en-guerre (Barthou, Paléologue, Poincaré) au moment où les Allemands étaient près à négocier sur l’Alsace-Lorraine… On a « fêté » les cent ans de 14-18 sans rééditer toute une littérature qui a combattu les causes officielles de la Grande Guerre… Ces ouvrages hélas ne propageaient pas les percots dominants…

  3. jmc dit :

    Merci pour cette touchante découverte.

  4. BM Flourez dit :

    Grand merci pour cet article.
    Cette année, j’ai donné comme fil rouge d’écriture à des étudiants le thème suivant : « quoi de plus neuf que l’ancien ? » alors que le monde numérisé-connecté subit une peste moyenâgeuse avec ses peurs, sa police et ses débandades. Je leur parlerai des Percot qui sont finalement de vrais journaux, et non pas des stories nombrilistes. Contrairement aux réseaux sociaux, il y a un plaisir du faux, une complicité parce que l’on vit ensemble, et non isolés, sans rien savoir de l’autre.

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