« Encore une chance qu’il soit aimable le monsieur »

Ainsi s’exprimait l’inspecteur de police Esperanza face au reporter Bastien Grimaldi. lequel accueillait à contre-cœur les deux filles du premier chez lui. C’est drôle quand on y repense puisque l’inspecteur en question était joué (face à Lino Ventura) par Jean-Pierre Bacri disparu hier à 69 ans. Cet acteur dont chaque article nécrologique paru lundi soulignait immanquablement son côté bougon. « Encore une chance qu’il soit aimable le monsieur » proférait donc Bacri dans « La septième cible », le film de Claude Pinoteau sorti en 1984. Bacri n’y détenait qu’un second rôle parmi d’autres mais déjà pointaient toutes ses qualités d’acteur. L’inspecteur Esperanza commençait par ailleurs certaines tirades par « pensant bien faire » (pour excuser une bêtise), amenant un Ventura exaspéré par un contrôle fiscal imminent, à lui répliquer: « arrêtez de commencer vos phrases, par pensant bien faire, Esperanza ». Le tout entre deux as du savoir-faire qui depuis se sont fait la paire.

Sa disparition suit de peu celle de Wladimir Yordanoff, dont la mort a été presque passée sous silence au mois d’octobre. Un grand acteur lui aussi (quoique toujours au second plan) et qui avait eu l’occasion de partager avec Bacri le casting d’un « Air de famille » en 1996 et du « Goût des autres » réalisé en 2000 par sa compagne Agnès Jaoui. Dans ces deux longs métrages où il intervient dans l’écriture scénaristique, l’acteur Bacri donne toute la force d’un talent devenu rapidement marque de fabrique et fonds de commerce, que ce soit en campant un patron de bistrot ou un PDG de province confronté au monde de la culture. Deux réussites qui le consacrèrent parmi les grands du cinéma français. C’était prévisible. Déjà en 1987, aux côtés de Jacques Villeret, Pauline Lafont, Jean Bouise et Guy Marchand dans « L’été en pente douce », il avait fait la démonstration qu’il pouvait porter haut la main un premier rôle. Il y figurait un employé de supermarché évidemment mal embouché qui tentait d’échapper à l’inertie d’un petit village du sud plombé par le soleil, les cancans et les misérables histoires de clocher. Bacri y dominait cette histoire violente de la tête et des épaules.

Ce côté pondéral, cette justesse dans le placement du corps comme des répliques, vont manquer à un cinéma français déjà bien affecté par la crise sanitaire et la dérive irrésistible des séries. Soixante-neuf ans c’est un peu court, mais secrètement il faut bien l’admettre, on l’aurait mal vu se ratatiner dans le naufrage de la vieillesse. Tout comme Lino Ventura d’ailleurs que la vie a quitté à peu près au même âge. La comparaison s’avère pertinente entre ces deux acteurs qui ne savaient pas jouer faux quitte à limiter leur registre. « J’ai fait ce métier parce que je ne voulais pas me raser tous les jours. Je n’ai pas de bagnole, pas de maison. J’aime la liberté. Et ma liberté, c’est de dire oui à un scénario qui me plaît et seulement s’il me plaît. Un beau rôle dans un scénario merdique, je ne peux pas… » citait hier la Cinémathèque sur son compte Twitter.

Il était né en 1951 à Castiglione (Algérie) d’une famille modeste. Pour arrondir les fins de mois, son père était ouvreur le week-end au cinéma. Bacri fera la même chose comme placeur à l’Olympia pour gagner sa vie tout en suivant une formation d’acteur (par hasard, dira-t-il)  au Cours Simon. Il se fera connaître comme proxénète dans « Le grand pardon », le film d’Alexandre Arcady sorti en 1982. Il y joue le rôle d’un méchant ce qui peut s’entendre sans peine, bien éloigné de ses rôles futurs. À cette époque le scénariste était encore dans les limbes. Sur le DVD du film « Parlez-moi de la pluie », il y a justement un « bonus » qui le montre avec Agnès Jaoui en train de co-écrire le scénario. Ces quelques minutes montrent à quel niveau d’implication les deux complices, situaient le labeur scénaristique. Sans lequel toute inspiration serait vaine.

Cette époque à bien des égards malsaine, contribuait sûrement à entretenir chez lui le profil devenu ineffaçable d’un personnage mal luné. Funeste période, laquelle convenons-en, n’est certes pas une bonne raison de mourir. Mais en échapper peut apparaître comme une compensation. Bacri a ainsi mis les voiles.

PHB

Photo d’ouverture: Bacri d’après une capture d’écran dans « Le sens de la fête »

 

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8 réponses à « Encore une chance qu’il soit aimable le monsieur »

  1. Esquirou dit :

    Bravo ! Et merci pour ce savoureux portrait qui réveille le matin….:) Ils vont bien se marrer ceux qu’il a rejoints là haut. A bientôt ?!

  2. ISABELLE FAUVEL dit :

    Un portrait comme il aurait sans doute apprécié. Merci, Philippe. Il va nous manquer, ce cher Bacri…

  3. Marie-Christine Biraud dit :

    Très bel article qu’il aurait certainement aimé …., c’est vrai qu’il va nous manquer !

  4. philippe person dit :

    C’était un très grand acteur. Je ne me lasse pas de le revoir dans une comédie improbable, Didier, où il compose le maître d’un chien qui devient Alain Chabat et dont il fait un avant-centre du PSG !
    Il avait la mauvaise humeur chaleureuse.
    Dommage qu’il n’ait pas tourné avec Mocky et Chabrol..

  5. Bernard Garrette dit :

    Bacri ne jouait pas le garagiste dans l’été en pente douce. Son personnage travaille d’abord dans un supermarché (où il vole un lapin qu’il échangera contre la femme jouée par Pauline Lafont) puis il veut ouvrir un bar-restaurant. Ce sont Guy Marchand et Jean Bouise qui jouent les garagistes. J’aime bien ce film.

  6. Capelle Gérard dit :

    « Pour arrondir les fins de moi » joli lapsus.

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