Guillaume Apollinaire en réclame

Un peu parce que l’Algérie est dans l’actualité suite à la remise du rapport Stora au Président de la république, un peu aussi parce que Apollinaire y a séjourné quelques jours entre 1915 et 1916 (1), un peu enfin parce qu’il s’agit d’une édition de 1914 pas si courante, ce guide Joanne sur l’Algérie et la Tunisie vient de passer de l’étal du vendeur à la poche de l’acheteur. Il racontait notamment de quelle façon il était possible de rallier Oran à Tunis en 1914, en voiture, en train, en tramway électrique, en vélo, voire à cheval ou à dos de mulet. Les questions politiques n’y étaient pas abordées, au profit des seuls aspects pratiques comme celui consistant à se munir d’un casque colonial. Paul Joanne y invitait ses lecteurs à lui adresser leurs retours d’expériences, via des pages détachables. L’ouvrage celait néanmoins une image inattendue liée au fondateur des Soirées de Paris.

Le seuil feuilletage du guide est un voyage en soi. Il contient de multiples cartes que son ancien propriétaire a même annotées. Les premières pages sont fleuries de publicités variées comme celle du Grand Hôtel de la Régence à Alger, l’Hôtel du Sahara à Biskra, l’Hôtel Intercontinental d’Oran ou encore une pleine page vantant les bénéfices d’un séjour à la Station thermo-minérale de Hammam-R’Hira. À la toute fin du livre, le volume des publicités est bien plus important qu’au début, s’agissant d’annonces pour des banques, les machines à écrire Corona, le Sanatorium de Boulogne sur Seine et plus intéressant encore, les grands journaux de l’époque. Le Petit Journal, Le Figaro, Le journal des Débats (fondé en 1789), Le Temps (fondé en 1861) ou encore Le Siècle qui se proclamait « doyen de la presse française laïque » combattant « la Monarchie, le Césarisme et la Congrégation ». Chacun y allait de sa petite réclame, tel Le Soleil se vantant d’être « le plus grand des journaux conservateurs ». Il étaient presque tous « le plus » quelque chose comme le Gil Blas, « le plus parisien des journaux, jeune, ardent et indépendant ».

Et parmi tous ces titres en vitrine il y figurait aussi L’Intransigeant lequel modestement, se limitait à se présenter comme un « grand journal parisien du soir ». Fondé en 1880 par Benjamin-Charles-Eugène Mayer, il fit ses débuts à gauche et s’inclina vers la droite en passant par une période pas spécialement favorable à l’officier Dreyfus. Comme il n’était pas aux commandes du « plus » fort, son fondateur avait préféré dans sa démarche promotionnelle, mettre en avant ses plus brillants collaborateurs dont le poète André Salmon en tant que « leader »,  Gustave Bret pour la critique musicale, André Leroy pour la critique théâtrale et… Guillaume Apollinaire pour la critique artistique.

Comme on peut le constater sur l’image ci-contre, le grand poète, écrivain, journaliste, défricheur de tendances qu’était Apollinaire, était mis en avant dans une réclame, comme un élément de prestige à une époque où il pilotait par ailleurs Les Soirées de Paris. D’après une recension de l’université de Paris-Panthéon Sorbonne, il y avait rédigé quelque 286 chroniques (2) comme au hasard « Les Humoristes vernissent. Parisiens et parisiennes viennent sourire à leur art fantaisiste » en 1910 et pour la dernière en mars 1914, « La Vie Artistique. Au Salon des Indépendants ». Ainsi que le racontait Laurence Campa en décembre 2014 dans Le Monde Diplomatique, « au moment de la rupture avec Delaunay, la direction du quotidien cède à la pression et donne congé à son critique pour avoir vanté les sculptures polychromes d’Alexander Archipenko, présentées aux Indépendants ». Et de préciser que Apollinaire s’était retrouvé presque instantanément une rubrique au concurrent Paris-Journal. La guerre quelques mois plus tard devait mettre un terme à cette belle époque journalistique où il suffisait de traverser la rue pour décrocher un nouveau job.

Ce guide Joanne contenait donc une petite découverte qui démontrait que Apollinaire avait atteint en 1914 une notoriété certaine. Tannées par le temps, les pages publicitaires de l’ouvrage comportaient également une annonce pour le Grand Hôtel du Midi et de la Poste (voir commentaire approprié ci-dessous) où l’on pouvait disposer de tout le confort moderne. C’est là faut-il le rappeler, que Apollinaire et son amante Louise de Coligny dite « Lou », vécurent deux semaines d’échanges passionnés comme le rappelle encore une plaque sur le mur. Et c’était en 1914, comme quoi tout est dans tout, y compris dans ce guide Joanne sur l’Algérie et la Tunisie. C’est dire à quel point l’ubiquité posthume d’Apollinaire préserve encore de nos jours quelques jolies surprises.

 

PHB

(1) Relire « L’Algérie d’Apollinaire

(2) La recension de ses chroniques

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4 réponses à Guillaume Apollinaire en réclame

  1. Yves Brocard dit :

    Intéressant et amusant de retrouver ainsi des traces d’Apollinaire, là où on ne s’y attendrait pas. Est-ce que dans les guides ultérieurs sur l’Algérie est évoqué le bref passage du poète à Oran et l’emplacement de la maison de Madeleine?
    Petites coquilles : « Le seuil feuilletage du guide est un voyage en soi. Il contient de multiples cartes que son ancien propriétaire a même annoté. » : Plutôt: « Le seul feuilletage du guide est un voyage en soi. Il contient de multiples cartes que son ancien propriétaire a même annotées. »

  2. Jacques Ibanès dit :

    Je suggère un autre correctif : les « échanges passionnés » à Nîmes entre Lou et Apollinaire ne se déroulèrent pas à l’Hôtel de l’Europe, mais à celui du Midi et de la Poste. Simple détail, l’essentiel étant qu’ils aient eu lieu!

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