Boulogne-Billancourt comme un musée à ciel ouvert

Voilà enfin le livre qu’on attendait depuis longtemps, celui qui célèbre le règne de l’Art déco à Boulogne-Billancourt dans toute sa splendeur, toute sa diversité et toute son étendue. Le maire de BB, Pierre-Christophe Baguet, très attaché à ce patrimoine, a raison de parler dans la préface de «musée à ciel ouvert». Il a raison de rappeler la fameuse Exposition internationale des Arts décoratifs de 1925, qui a donné aux arts déco leurs lettres de noblesse, et aux artistes français, dont beaucoup étaient boulonnais ou billancourtois, une aura internationale.
Et il a raison de rappeler que Billancourt fut rattachée à Boulogne par un décret présidentiel cette même année 1925, et que le maire de cette nouvelle et vaste commune, André Morizet, fit acte de visionnaire en commandant en 1934 un hôtel de ville à la mesure de l’évènement à l’architecte Tony Garnier (la Halle de Lyon).

Le fier bâtiment aux pures lignes géométriques, à l’escalier monumental, trône désormais au centre de la ville comme phare de la modernité intemporelle des Années 30. La façade ne laisse pas deviner la splendeur des courbes du grand hall des guichets et de ses trois étages semblables à des coursives de paquebot, soulignés par d’élégants garde-corps en aluminium, le tout étincelant de lumière comme une cathédrale (voir ci-dessous). L’auteur de l’ouvrage, le conservateur en chef du patrimoine Emmanuel Bréon, écrit très justement que cet édifice mérite à lui seul le détour, de nombreuses photos témoignant de la splendeur du lieu. Tels les salons d’honneur et la salle des mariages du premier étage, avec ses impressionnants volumes bordeaux et or.
Sur l’ensemble de la décoration, ferronnerie, métallerie, mobilier, éclairage, sculptures, on retrouve la patte de nombreux tenants de l’UAM (Union des Artistes Modernes), dont de grands noms comme Robert Mallet-Stevens, Jean Prouvé, René Herbat, Joseph Bernard.

En face de l’Hôtel de Ville se dresse la Poste édifiée en 1938 par Charles Giraud dans le même esprit géométrique monumental, la façade rythmée de pilastres, et toujours en activité aujourd’hui.
L’autre bâtiment public complétant ce trio Années 30 se trouve juste à gauche, dos à la mairie, un Centre d’hygiène sociale construit en 1939 par Roger-Léopold Hummel. Très actif dans toute la banlieue, ce dernier a combiné sur la façade comme à l’intérieur à la fois la ligne géométrique et la courbe, flattant l’œil par cette alliance comme par l’alternance de blanc et de bleu.
Ce Centre est demeuré dévolu à l’action sociale, mais on aimerait qu’il soit mieux mis en valeur. On se dit même que ce bâtiment d’époque aurait pu accueillir le Musée Années 30, au lieu de ce bâtiment moderne baptisé Centre Landowski, construit à gauche face à la mairie en 1998 dans un style néo-30.
Deux autres édifices complètent cette section «L’équipement public», mais pas du tout situés dans ce quartier : le Groupe scolaire Ferdinand Buisson construit en 1933 85-87 rue du Point-du-Jour (au sud de la ville), et le Groupe scolaire Jean-Baptiste Clément au 34-36 rue de Sèvres datant de la même année (au nord-ouest).

Quant aux habitations privées, elles se situent dans le fameux «triangle d’or» du nord-est de la ville près du bois de Boulogne, délimité par le Boulevard d’Auteuil, la rue Nungesser-et-Coli, la rue de la Tourelle et la rue des Princes. Intitulée «Les pépites architecturales», cette section nous balade effectivement de merveille en merveille avec une éblouissante diversité : la rue du Belvédère abrite notamment, au numéro 4, une villa signée Raymond Fischer en 1928, alternant courbes et détails géométriques, alors que sa maison de ville sise au 11 allie rigueur des lignes et variété des ouvertures ; un peu plus loin, au numéro 21, la villa-atelier du célèbre Auguste Perret (précurseur du béton, voir la ville du Havre ou le palais d’Iéna et le théâtre des Champs-Elysées à Paris), datant de 1929, combine la rigueur et les détails Art déco.

Cette section, comme toutes les autres, est précédée d’un court texte d’une page d’Emmanuel Bréon, laissant la part belle aux photos.
On peut donc admirer dans toute sa splendeur l’hôtel particulier du 19 bis avenue Robert Schuman édifiée en 1928 par Jean-Léon Courrèges en totale rupture avec ses voisines de la rue du Belvédère ou de l’hôtel particulier situé juste en face, conçu par Louis Faure-Dujarric, autre grand nom de l’époque. Tombé amoureux de la maison Courrèges à la Libération, André Malraux devait l’habiter pendant presque vingt ans (de 1945 à 1962), et son fils adoptif Alain m’a confié qu’André avait mis sur la table dix ans de loyer d’avance !

Parmi d’autres pépites, non loin de là, aux 8, 6 et 4 rue Denfert-Rochereau, trois hôtels-particuliers sont accolés, signés de stars comme Robert Mallet-Stevens, Le Corbusier et Raymond Fischer, tels des illustrations grandeur nature du même style avec variations. Et dans l’allée des Pins voisine, deux superbes villas-ateliers de sculpteurs, datant de 1924, sont également dues au Corbusier.
Tout près, 5 rue Denfert-Rochereau, se dresse le fameux immeuble en proue de navire de Georges-Henri Pingusson (1927 et 1935) si souvent photographié pour personnifier Boulogne Art déco, figurant dans la section «Modernité d’un habitat collectif». Cette section, tout comme les trois autres «L’ornement Art déco», «Industries et commerces», «Édifices religieux», illustrent à la fois la diversité des formes architecturales Années 30 de la ville, et leur répartition sur tout le territoire.

Dans la section «Sports, loisirs et jardins», l’auteur n’a pas résisté à l’idée d’inclure deux photos du splendide vitrail en éventail sorti des mains du maitre-verrier Louis Barillet ornant l’entrée de la piscine Molitor, cet autre paquebot Art déco inauguré en 1929. Certes la piscine Molitor est située à Paris, mais elle figure en sentinelle Années 30 juste à l’entrée de Boulogne. Et certes la piscine Molitor a été détruite à 98% et reconstruite «à l’identique», augmentée sur le toit d’un hôtel moderne en forme de grand rectangle sans grâce, mais elle a pu garder son label de monument historique grâce à ce petit bout de vitrail. Mystère des labels patrimoniaux… Les toutes voisines Serres d’Auteuil n’ont-elles pas été défigurées par un stade de tennis bien que chaque centimètre de leur sol était protégé au titre de monument historique ?
Raisons de plus pour aller contempler ce musée Art déco à ciel ouvert qu’est Boulogne-Billancourt, préservé dans toute sa diversité.

Lise Bloch-Morhange

Photos: LBM

«Boulogne-Billancourt Art Déco» , Emmanuel Bréon et Hubert Cavaniol, photographies de Laurent Thion, éditions Faton

Parcours Années 30, Mairie de Boulogne

On peut aussi lire le remarquable « Paris art déco » par les mêmes auteurs

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3 réponses à Boulogne-Billancourt comme un musée à ciel ouvert

  1. Bréon dit :

    Bravo Lise et merci pour ce beau coup de projecteur, si perspicace.
    Emmanuel Bréon

  2. gerard pancrace dit :

    Vive cet hommage tout en n’oubliant pas que Boulogne a surmonté la disparition des usines de la Régie Nationale des Usines Renault , une entité très symbolique de l’histoire du 20 ème siècle en France….

  3. fardet dit :

    Bel hommage à cette ville si précieuse dans cette architecture des années 30 mise en excellence par l’article passionné de Lise Bloch-Morhange.

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