Contes de fées en analyse

Bien avant qu’Onkel Sigmund et Mélanie Klein ne s’aventurent à décrypter l’inconscient enfantin, les folklores régionaux y avaient greffé des archétypes fort pertinents, s’exprimant dans les contes. Bruno Bettelheim rencontrera le succès en effectuant le chemin inverse, tentant de rapprocher ces archétypes avec les métaphores des théories psycho-analytiques (« Psychanalyse des contes de fées », Laffont 1976). Succès semble t il immérité, car il aurait pompé sans vergogne sur les travaux d’un confrère, Julius Heuscher, les éléments de son bouquin. À côté de cette référence incontournable, il existe des catalogues (notamment celui de Aarne et Thompson) recensant les récits, en fonction de la catégorie, du motif type, et des variantes rencontrées. Car d’un pays à l’autre, à thèmes communs, des habits différents. Avec, éventuellement, à l’exemple de Charles Perrault, l’ajout d’une morale lénitive.

Le conte de fées se construit sur une trame narrative linéaire, un texte court, mêlant le naturel et le surnaturel, au contenu anxiogène, jusqu’à la fin ou, la plupart du temps
(mais pas toujours), le personnage principal accomplit avec succès son parcours initiatique, après avoir affronté un environnement hostile et un ennemi redoutable.
Les acteurs n’ont pas d’identité propre. Ils sont désigné par une dénomination résultant d’une particularité (Petit Poucet, Chaperon Rouge, Cendrillon, Chat Botté), une fonction sociale ( le Roi, la Princesse, le chasseur, le cordonnier), une place dans la famille (père, mère, frères et sœurs ou demi- l’un ou l’autre). En ces temps anciens, l’importante mortalité des femmes au moment de l’accouchement axait la recomposition des familles sur le veuvage et le remariage du père. D’où le rôle essentiel de la marâtre, entrant en compétition narcissique avec l’adolescente d’un «premier lit» (Blanche Neige), ou faisant passer ses enfants avant ceux du père (Cendrillon).

Pour la magie, les fées marraines, bienfaisantes, et leur contraire, la sorcière aux dents vertes , les objets enchantés, favorisants (bottes de sept lieues) ou accusateurs (clef souillée de sang chez Barbe Bleue). D’ailleurs, le conte est, en soi, un miroir magique. Sa narration n’est pas une distraction vespérale, mais un élément structurant pour l’enfant.
Point n’est besoin d’avoir fait six années de divan en séances hebdomadaires pour percevoir l’inceste chez « Peau d’Âne », le prédateur pédophile en forme d’ogre ou de loup, le pucelage perdu sous la rose coupée et les phallus dressés que sont les arbres de la forêt menaçante.

Le jeune auditeur peut s’identifier au héros, se placer entre le bien et le mal, affronter le danger ou braver l’interdit, être tour à tour victime ou bourreau, et ressentir en douce les pulsions cruelles découlant de sa perversité latente (Lacan). Par-dessus tout, il tentera d’apprivoiser l’angoisse propre à son immaturité, élément central du conte, que désamorcera l’heureuse issue libératrice. Dans les contes classiques, comme dans ceux que les films de Walt Disney ont exploité, le but est d’autant mieux atteint que le méchant l’est davantage.

La Disney company a bien compris le filon que recélaient certains contes. En prenant au besoin quelques libertés avec le récit orthodoxe. Et d’ailleurs, de Perrault aux frères Grimm, quel est le récit orthodoxe ? Si l’on retient l’exemple de la « Belle au Bois Dormant », pour Perrault (contes de ma mère l’Oye 1697), le Prince « se mit à genoux auprès d’elle. Alors, comme la fin de l’enchantement était venue, la Princesse s’éveilla ». Donc pas de baiser façon Disney.

Chez les frères Grimm, au contraire, ( contes de l’enfance et du foyer 1892), «le Prince se pencha sur elle et lui donna un baiser. Alors, la Belle au Bois Dormant ouvrit les yeux et le regarda en souriant». La Disney company a retenu la version du baiser du Prince, plus cinégénique, dans son dessin animé de 1959. Elle avait déjà fait le coup à la fin de Blanche Neige et les Sept nains, en 1937,en dépit du fait que la rédaction Grimm n’en faisait nulle part mention. Compte tenu du résultat qu’il entraîne, on pourrait assimiler le baiser du Prince au «geste qui sauve», enseigné par les dames de la Croix Rouge. Mais, la formule finale, «ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants» indique que l’intervention princière n’est pas dépourvue d’arrière-pensées lascives. Le professeur Douglas Brode, de la Syracuse University, l’avait formellement identifiée comme «une forme de victimisation sexuelle de la femme par un homme obsédé par sa beauté physique au détriment de sa personnalité» (Multi culturalism and the mouse- race and sex in Disney entertainment 2005 univ. of Texas press) .

Rénovant une attraction, sur son site californien d’Anaheim, la firme de Mickey vient de récidiver, en replaçant le baiser du Prince sous l’intitulé «le baiser du véritable amour». En ce moment de vigilance extrême s’agissant des rapports homme-femme, cela fait désordre. Mauvais exemple pour la jeunesse. Deux journalistes de passage l’ont bien relevé ( Katie Dowd et Julie Tremaine , San Francisco Chronicle, 1 mai 2021) : «n’avons-nous pas déjà convenu que le consentement, dans les films de Disney, était un problème majeur?» Il convient, dès lors, «d’apprendre aux enfants qu’embrasser, quand il n’a pas été établi que les deux parties ont la volontéde s’engager, n’est pas OK».

Le risque est, ici, de voir ces chèr.e.s bambin.e.s prendre les contes de fées au premier degré. À ce propos, dans une démarche pédagogique voisine, l’American Veterinary Association rappela, en 2010, «qu’une manipulation inappropriée d’un amphibien, notamment un baiser, peut donner une grave maladie plutôt qu’un Prince». En outre, rappelons aux jeunes filles que, dans la vraie vie, on s’endort parfois avec un Prince, pour se réveiller à coté d’un crapaud.

 

Jean-Paul Demarez

Illustration: ©PHB

 

 

 

 

 

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4 réponses à Contes de fées en analyse

  1. Yves Brocard dit :

    Pour ma part je n’ai jamais compris cet engouement pour les contes de fées, qui sont plus des contes d’horreur, que l’on lit ou fait lire aux enfants en bas âge. En plus au moment de dormir. Peut-être pour qu’ils s’endorment plus vite, se disant qu’il vaut mieux s’échapper dans ses rêves plutôt que de rester éveillé dans ce monde terrifiant. Je n’en ai pas lu à mes enfants.
    Cela donne ensuite tous ces films d’horreur qui saturent les écrans, petits et grands.
    Mais c’est vrai que le baiser du Prince sur la pauvre Belle au Bois Dormant, non consenti (par un sms, il faut bien des preuves), est plus horrible et condamnable que les tueries et tortures très réalistes, mêmes surréalistes, de ces films*.
    * Pour éviter tout quiproquo : mon propos ici est au deuxième degré… comme les contes de fées.
    Bonne journée

    • philippe person dit :

      Je ne vois pas bien la liaison entre « Contes de fées » et « Films d’horreur »…
      Sans doute pensez-vous aussi qu’en fumant du cannabis on se prépare à fumer du crack ou qu’en regardant les différentes épisodes de la 7e Compagnie on finit par justifier la bombe d’Hiroshima…
      Je pense effectivement qu’il est temps de déconstruire l’idéologie de ce Monsieur Disney qui a viré des animateurs, genre Tex Avery, pour une question de nombre de doigts aux gants blancs de Mickey. Car, Disney en était sûr : les souris ont toujours quatre doigts, surtout quand elles promènent leurs chiens… comme tout bonne souris américaine anticommuniste…

  2. FAUVEL dit :

    Parlant de contes de fées, la photographe Sarah Moon a réalisé de très jolis films inspirés de célèbres contes pour enfants que l’on peut actuellement voir au Musée d’art moderne dans l’exposition qui lui est consacrée.

  3. philippe person dit :

    Sur Bettelheim, lire la biographie de Richard Pollack, « BB ou la Fabrication d’un mythe » (2003). C’est un cas d’imposture magnifique.
    Plagiaire, sans compétence, il a trompé son monde (psychanalytique) pendant des décennies. Il ne s’appellerait même pas Bettelheim.

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