Le clin d’œil de Turing

Tout le monde connaît le clin d’œil d’Alan Turing. Ou plutôt celui né de l’imagination (féconde) de Benoît Solès, auteur et acteur de la pièce « La Machine de Turing ». Actuellement à l’affiche du somptueux Théâtre du Palais-Royal. Une pièce, rappelons-le d’emblée, puisque c’est mérité, multi-moliérisée : auteur francophone vivant et comédien pour le sus-cité, metteur en scène théâtre privé pour Tristan Petitgirard, et, last but not least, meilleur spectacle théâtre privé. Certes, l’auteur s’est aidé de la pièce « Breaking the code » de Hugh Whitemore et du livre Alan Turing : « The Enigma » d’Andrew Hodges. Avec ces deux titres en version originale et celui de la version française, on peut décrypter une part de l’argument. Oui, Alan Turing fut un brillant mathématicien, il a pendant la Seconde Guerre Mondiale vaincu Enigma, la messagerie cryptée allemande. C’est un héros. Sauf que …

La pièce nous entraîne donc dans les coulisses de la grande Histoire, pas celle au grand jour puisque tout cela est affaire de discrétion, de secret même. Le secret d’un génie incompris, un secret trop lourd à porter, un destin brisé par la raison d’État sous le prétexte d’homosexualité. Pas de grand spectacle pétaradant ici, donc, pas de «grand spectacle» tourbillonnant, la pièce est intimiste, pis, ou mieux, elle nous dévoile en réalité ce qui grouillait dans la tête d’un homme. Un pauvre homme tourmenté, seul au monde.

Benoît Solès côté interprète est très convaincant, dans les mimiques de son personnage, son bégaiement, ses interrogations, quand parfois même il interpelle le public. Son comparse sur scène, Grégory Benchenafi ce soir-là, est tout aussi impeccable. Il interprète plusieurs personnages secondaires, amant, champion d’échecs ou policier. La mise en scène est dans le bon ton, la bonne mesure, d’ombre et de lumière tamisée, sans omettre une intéressante projection vidéo en fond de scène. Tout est sobre, au service d’un récit pas haletant mais captivant, de la jeunesse d’Alan Turing à aujourd’hui en délicats allers-retours, avec l’année 1952 pour camp de base. Parfait si on veut bien se passer de sensations fortes pour céder au long fleuve pas si tranquille d’une vie gâchée. Ce qui n’empêche pas les comédiens de nous faire rire parfois. La vie, quoi … celle d’un conflit mondial et de l’immédiat après-guerre, celle d’une époque révolue. En partie … car on souffre toujours d’être différent.

Cette pièce sans esbroufe se glisse à merveille dans la salle du Palais-Royal, ce respectable théâtre classique à l’italienne tout de dorures et de velours. Bientôt pourtant « La Machine de Turing » devra faire un peu de place pour le retour d’Edmond d’Alexis, le récit par Alexis Michalik de la création de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand. Là ça pétarade, ça envoie du comédien de tous côtés, ivresse du miroir du théâtre dans le théâtre. On a hâte de retrouver ce génie de Michalik avec Les Producteurs en décembre.

D’ici là, Alan Turing, ce père putatif de l’informatique et de l’intelligence artificielle, continuera d’enchanter le public rue de Montpensier. Calmement mais implacablement, cette pièce vous happera. Mais, non, le fameux logo d’une fameuse marque à la pomme ne doit rien à Alan Turing. Ni donc à Blanche-Neige. Mais ça, c’est une autre histoire. Enchantée …

Byam

« La Machine de Turing » au théâtre du Palais-Royal

 

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3 réponses à Le clin d’œil de Turing

  1. Yves Brocard dit :

    J’avais eu le plaisir de découvrir « La Machine de Turing » en janvier 2019, au Théâtre Michel, avant qu’il soit multi-moliérisé. Un très beau souvenir.
    Vous dites que le logo d’Apple ne doit rien à Turing. Je croyais que c’était en son hommage, évoquant la pomme (empoisonnée) que croqua Turing pour se suicider… ?
    Je profite ici pour signaler que la pièce de Pirandello « Comme tu me veux », mise en scène par Stéphane Braunschweig au théâtre de l’Odéon (dont j’avais parlé ici le 4 février dernier) y est présentée du 10 septembre au 9 octobre. Avis aux amateurs.
    Belle journée

  2. Yves Brocard dit :

    Concernant la pomme, le logo d’Apple fut créé en 1976, alors que l’histoire de Turing ne fut révélée qu’en 1983 par la biographie d’Andrew Hodges. En plus certains disent que Turing ne se serait pas suicidé, que ce serait un accident, et qu’il n’y avait pas de pomme… Mais, si la pomme croquée n’est pas une référence à Turing, c’est une belle histoire, et n’est-ce pas cela qu’il faut retenir ?

    • Byam dit :

      Bonjour et merci Yves de vos commentaires … une belle histoire en effet, c’est bien … pomme ou pas pomme …

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