Parfum de France et d’agaves

Au début des années cinquante et après avoir quadrillé une bonne partie du Mexique, l’écrivain Albert t’Serstevens  et sa compagne Amandine Doré, débarquent sur la côte atlantique. Une surprise les attend. Ils viennent de quitter la ville de Tecolutla et prolongent leur avantage jusqu’à ce que leur regard bute sur un ensemble de maisons dont le style n’appartient en rien à tout ce qu’ils ont pu rencontrer jusque-là. Leurs tuiles surtout, leur rappellent quelque chose. Amandine y voit quelque chose d’irrésistiblement bourguignon. Ils s’en étonnent en espagnol face à « un grand gaillard », à « ventre confortable sous un gilet à chaîne de montre ». Lequel s’appelle Couturier et leur propose en français et sans plus de façons de tout leur expliquer autour d’un Pernod. Pour le couple dont l’adresse principale se trouve sur l’Île Saint-Louis à Paris, l’étonnement justifiait effectivement une discussion sérieuse autour d’un apéritif anisé. Que l’on pouvait retrouver dans un récit (ci-dessus) publié en 1955 chez Arthaud.

Ni Albert ni Amandine (1), n’avaient manifestement lu le numéro de la Revue trimestrielle de l’Institut national d’études démographiques paru en 1949 (2). Ouvrage dans lequel une certaine Simone Gache signait un bref article intitulé « Une colonie française au Mexique (San Rafaël Jicaltepec) ». D’où il ressortait à peu de choses près ce que Couturier raconta aux deux Français éberlués. Soit un certain monsieur Guénot qui débarqua dans le coin en 1833 après quelques étapes obligées depuis Dijon. Il y acheta quelques milliers d’hectares. Et pour mieux les exploiter, il revint dans sa province d’origine pour y importer en deux fois quelque deux cents personnes à même de pratiquer l’élevage et l’agriculture. Un échantillon d’Alsaciens s’était même joint à l’aventure.

Ce qui fait qu’en plus de la culture de bananes, de la vanille ou du café, avait ainsi (et plus ou moins) prospéré en terre mexicaine, un enclos tricolore où la langue de Voltaire s’était imposée. Ce qui fit que dans les deux principaux bourgs, San Rafael et Jicaltepec, il y régna pendant plus d’un siècle un fort parfum de France, régulièrement consolidé par des mariages entre expatriés. Un instituteur y joua même le rôle de vice-consul afin, sans trop de succès apparent, de ne pas se faire oublier des autorités hexagonales. On y fêtait bien entendu le 14 juillet sans oublier, cela allait de soi, d’entonner la Marseillaise. On ne sait pas bien ce qu’il en reste aujourd’hui sauf un hôtel, au nom de Couturier, qui ne manque pas de souligner sur son site Internet, cette histoire inattendue.

Amandine Doré (1912-2011) s’était chargée grâce à ses talent de dessinatrice (notamment dans le domaine érotique) d’illustrer ce livre titré « Le Mexique à trois étages », son mari (épousé à Papeete en 1947) se chargeant de l’écriture et des photographies. Ils avaient donc parcouru le Mexique de long en large au volant d’une grosse Ford à moteur huit cylindres. En 1955, les voyages n’étaient pas encore popularisés comme de nos jours avant la crise et on peut donc comprendre l’intérêt des éditeurs pour ce genre de récit. Depuis que tout le monde parcourt le monde, un tel livre ne captiverait plus personne mais ce serait dommage de ne pas le découvrir puisque précisément, il offre une vision d’un pays qui n’était pas encore assailli par les tours opérateurs. C’était encore l’époque où il y avait des voyageurs et des sédentaires pour écouter les aventures des premiers. Désormais tout le monde est allé à Bali, en Amérique Latine en passant par les pôles et, pour épater un auditoire, il faut se lever de très bonne heure.

Cependant puisque nous sommes un peu redevenus sédentaires en raison de la pandémie, l’épais livre de Albert t’Serstevens reste bon à parcourir. On aime par exemple que l’auteur nous raconte comment, en 1531, la Vierge s’est présentée en grand manteau, à un homme nommé Juan Diego, un jour qu’il allait se promener sur la colline de Tepeyac au nord de Mexico. Elle lui était même apparue à plusieurs reprises jusqu’à réaliser un miracle. Selon la légende elle avait effectivement demandé à Juan Diego d’aller cueillir des fleurs, de les envelopper dans une cape pour aller les porter à l’évêque de Mexico. Et lorsque l’homme d’église eut déployé le tissu, il vit que le visage de la Vierge s’y était imprimé. Le lieu de la découverte fut nommé Guadalupe. Un Franciscain par trop terre à terre, ne vit quelques années plus tard dans la relique, qu’une vaste supercherie tracée au pinceau. Mais, comme a pu constater Albert t’Serstevens lors de son voyage, la sainte chose était toujours exposée dans le chœur d’une basilique construite au pied de la colline de Tepeyac.

Le moins que l’on puisse dire c’est que l’auteur n’avait pas non plus été convaincu par l’authenticité du tissu sacré. Mais la foi matérielle du voyageur ne vaut pas celle du chrétien mexicain, lequel ne pouvait que flétrir en jurons choisis, toute ironie à l’égard de la mère de Jésus. L’écrivain n’avait pourtant pas l’esprit si terre à terre, puisque flânant dans les environs de San Juan Huyapan au milieu de roches remontant au pléistocène, il avoue avoir secrètement désiré l’apparition d’iguanodons. C’eût été, on en conviendra, encore plus étrange que la rencontre qu’il devait faire un peu plus tard en compagnie d’Amandine, avec ses compatriotes de Dijon.

PHB

(1) L’histoire d’une rencontre fugace avec Amandine Doré

(2) La note de Simone Gache sur la colonie française

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6 réponses à Parfum de France et d’agaves

  1. Jacques Ibanès dit :

    Les récits des voyages de t’Serstevens sont toujours un enchantement! Depuis des années, chaque été, bien à l’ombre dans ma Montagne Noire, je pars pour un nouveau pays en compagnie de ce couple de vadrouilleurs.
    On trouve assez facilement en occasion les nombreux livres publiés chez Arthaud de cet ami de Cendrars qui, lui, se rendait les contrées dont il parlait…

  2. Yves Brocard dit :

    Escapade sympathique dans un temps ou les voyages n’étaient pas ceux des masses de touristes d’avant la pandémie. Celle-ci fera-t-elle évoluer ces habitudes ? J’en doute. Plus important : la préservation du climat, qui devrait passer par l’enchérissement des voyages aériens (il est moins cher depuis Bordeaux d’aller passer un week-end à Venise ou à Dubaï que de venir à Paris en TGV !). Là aussi j’en doute fortement, tant l’économie repose sur ces voyages, et la France est bien placée pour ne pas freiner cela. Sinon qui viendra en Airbus faire ses courses de produits de luxe à la Samaritaine ré-ouverte ?
    Votre rencontre avec Amandine Doré dans son EHPAD – votre papier du 30 octobre 2019 – témoigne qu’il n’est pas toujours facile de prêter l’oreille à ces voix fluettes et parfois un peu confuses, et que l’on regrette, une fois ces voix éteintes, de ne pas avoir su ou pu les entendre. Et les livres dans lesquels les mémoires sont inscrites reprennent alors toute leur valeur.
    Bonne journée

  3. Didier D dit :

    Les Alsaciens se sont joints
    Mais : Une poignée d Alsaciens s’est jointe …

    • Vous avez raison, merci. PHB

    • Yves Brocard dit :

      Pour ma part je ne suis pas d’accord avec cette façon de faire l’accord. Ce n’est pas la poignée (ici en l’occurrence l’échantillon) qui s’est « jointe », mais bien les alsaciens qui se sont joints, qu’il y en ait une poignée, un échantillon ou quarante-deux. C’est une mauvaise façon de conjuguer, que je croyais révolue. C’est comme s’il fallait écrire « mille Alsaciens c’est joint » ou « qu’un millier d’Alsaciens s’est joint ».
      Si on pouvait moderniser la langue, la rendre logique, ce serait un pas vers un français vivant.
      Bien à vous

      • Didier D dit :

        Mille Alsaciens c est joint ??
        Une coquille plutôt qu une faute.
        La langue suit la logique des règles de grammaires . Elles évoluent bien sur.

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