Jules Verne en long et en large (ou presque)

L’étroitesse du lit n’avait manqué de surprendre, en 1896, le journaliste italien Edmondo de Amicis. La pièce elle-même, perchée tout en haut de la maison d’Amiens, était bien exiguë. C’est là que Jules Verne (1828-1905) néanmoins, tous les matins entre cinq et onze heures, avait abattu une bonne trentaine de romans. Dans la pièce plus large qui y mène, on peut aussi voir son globe terrestre, lequel lui permettait d’organiser les voyages de ses héros ou de s’adonner à des rêves plus personnels. Il avait choisi cette maison, dans laquelle il fut locataire dix ans, pour deux raisons. D’une part parce que la ville d’Amiens était moins chère qu’à Paris et qu’il était possible d’aller facilement à la capitale en train. D’autre part parce qu’il avait jugé que la tour surmontant son domicile était visible de la gare et que de ce fait, il serait plus aisé pour les nombreux journalistes qui venaient lui rendre visite, de le repérer. Si l’on n’est pas spécialiste de Jules Verne, le parcours des aîtres fait naître nombre de questions. Comme la vie est bien faite, un livre intitulé « Tout sur Jules Verne (ou presque) » vient opportunément de paraître. Une somme de surprises, pour les quelques profanes que nous sommes.

Jean-Patrice Roux est professeur de lettres à Amiens et amateur d’Apollinaire. C’est peut-être pour cette raison d’ailleurs, que dans son chapitre consacré au style de Verne, lequel avait ses admirateurs et ses contempteurs, l’auteur cite Apollinaire qui s’était prononcé en ces termes au sujet de l’écrivain amiénois: « Quel style! Rien que des substantifs! »

Ce livre fourmille d’anecdotes épatantes. Comme celle concernant le Capitaine Nemo, héros de « Vingt-mille lieues sous les mers », puisque le personnage a donné son nom au « point d’inaccessibilité maritime ». Le point Nemo désigne en effet le lieu le plus éloigné d’une terre émergée. C’est toujours bon à savoir si l’on veut inviter quelqu’un à aller voir ailleurs si nous y sommes avec un bon espoir qu’il ne revienne jamais.

Cet incroyable bonhomme taquinait en outre la rime nous apprend-on au fil des pages et il a même commis, un poème érotique crûment intitulé « Lamentations d’un poil de cul de femme », chose que la revue Le Nouveau Parnasse satyrique a jugé bon de publier en 1881. Ce sont donc les à-côtés de son œuvre, sa vie professionnelle et privée, qui nous surprennent. Il a eu par exemple, vers 1850, une activité de critique d’art, découverte seulement en 2006. Il nous est raconté par Jean-Patrice Roux qu’en 1857, il avait ainsi parcouru « au pas de charge » le Salon des Indépendants, donnant son avis « sur plus de deux cents tableaux ». Enthousiaste à l’égard de Jean-François Millet, il s’était montré pour le moins difficile devant les « Demoiselles des bords de Seine » par Courbet (visible au Petit Palais, ndlr). « Voilà donc ce qu’il expose en public, s’exclamait-il, des demoiselles qui ont profité de leur jeudi pour aller se vautrer sur l’herbe. Nous ajouterons que le dessin de ce tableau est grossier et incorrect, que la couleur est d’un jaune désagréable et que d’après les règlements de police, ce tableau ne devrait être visible que de huit à onze heures du soir. » L’œuvre en question est pourtant très sage. La critique est donc bien peu amène surtout de la part de cet homme, lequel, régulièrement éconduit dans sa jeunesse par les jeunes filles qu’il rêvait de conquérir, allait soulager son dépit dans des lieux faits pour ça.

Il est bien vrai que Jean-Patrice Roux, nous raconte presque tout, notamment sur Michel, le fils de Jules que nous avons eu l’occasion l’année dernière, d’évoquer dans Les Soirées de Paris (1). Nous ne savions pas en revanche, que le Michel en question avait eu bien du mal à vivre à l’ombre de son père et que sa réputation au Crotoy (port de pêche et station balnéaire proche d’Amiens) était celle d’un mauvais garnement. Au point que le père l’avait envoyé dans une colonie pénitentiaire où l’on redressait à la dure les gamins dissipés. Ce qui n’avait pas empêché le fils de devenir journaliste au Figaro et de co-écrire avec son géniteur, un roman d’anticipation sur cette profession quelque peu maudite de nos jours, « La journée d’un journaliste américain en 2890 ».

L’homme aux soixante-deux romans a eu incontestablement une vie bien remplie, des bateaux, il a effectué des vrais voyages (aux États-Unis, en Afrique du Nord…), pratiqué une activité politique, côtoyé des amis intéressants comme le géographe et anarchiste Élisée Reclus (2), ayant de l’humour et même un certain sens du faste. En 1877 en effet, puis en 1885, il avait organisé deux bals géants à Amiens. Intitulé « De la Terre à la Lune », le premier était costumé et avait rassemblé pas moins de trois cent cinquante personnes. Pour le second, « La Grrrande Auberge du Tour du Monde », Verne avait reçu ses invités déguisés comme « pour une noce de village » en grand tablier, et il nous est précisé que que ce graphomane avait aussi « paraît-il, un appétit d’ogre ».

En fait, il aurait mieux valu lire ce livre avant de grimper dans les étages où l’on découvre les fameuses couvertures de son éditeur Hetzel (un chapitre lui est consacré), de même que les maquettes des machines qu’il avait imaginées, non sans se documenter quelque peu. Jules Vernes prédisait d’ailleurs qu’à force d’inventer des machines (le chemin de fer était en plein essor), elles finiraient par dévorer l’humanité. L’avertissement reste assez frais, si l’on y réfléchit moins de deux minutes.

PHB

 

« Tout sur Jules Verne (ou presque) », Jean-Patrice Roux, éditions Cours Toujours, 20 euros

(1) À propos d’un « journaliste en 2890 »
(2) À propos de Élisée Reclus

Photos: ©PHB

 

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Une réponse à Jules Verne en long et en large (ou presque)

  1. Yves Brocard dit :

    Je ne sais si Jean-Patrice Roux, qui dit « tout sur Jules Verne » dans son livre, ou s’il l’a esquivé dans le « ou presque », a cité in-extenso le poème coquin que vous mentionnez, aussi ma curiosité m’a pousser à aller plus loin, si je puis dire. On peut le trouver ici : https://www.audiocite.net/livres-audio-gratuits-charme/jules-verne-lamentations-dun-poil-de-cul-de-femme.html. C’est fort bien écrit, mais attention, ce n’est pas à mettre devant tous les yeux (moins de 30 ans s’abstenir), même si Apollinaire a écrit des choses encore plus crues.
    Bonne journée

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