Commémos

Le 17 janvier 1793, aux environs de sept heures du matin, après une séance de près de 13 heures, le verdict tombe. La Convention Nationale, à une courte majorité, opte pour la mort sans conditions. Louis Capet est condamné à être guillotiné sans délai. Le 15 janvier il a été reconnu coupable d’avoir conspiré contre les libertés publiques, trahi la Nation et fait couler le sang français. L’acte d’accusation comportait trente trois motifs dont ses défenseurs, Tronchet, de Sèze et Malesherbes, ont tenté de le disculper dans une cause perdue d’avance. Des documents compromettants, retrouvés dans un coffre-fort dénoncé par l’artisan même qui l’avait installé, pesaient lourd dans le dossier d’instruction. Le jugement à rendre contre lui ne devait pas être confié à des magistrats, mais aux représentants du peuple. Ceux-ci avaient à se prononcer nominalement, du haut de la tribune de l’assemblée, en présence de la foule se bousculant dans les travées du public.

Il n’y avait que trois possibilités, la mort sans conditions, la mort avec sursis, l’indulgence conduisant à la prison ou au bannissement. L’ordre d’intervention tiré au sort donnait priorité aux députés de la Haute Garonne. Le premier d’entre eux, Jean Baptiste Mailhé (1), va se montrer ambigu, par une proposition restée dans l’Histoire comme l’amendement Mailhé : «je vote la mort, mais je ferai une observation, si la mort a la majorité, je pense qu’il serait digne de la Convention Nationale d’examiner s’il ne serait pas politique et utile de presser ou de retarder le moment de l’exécution». Les Montagnards, dans cette sorte de sursis flairent une manœuvre destinée à sauver l’accusé, Robespierre vilipende son collègue qui est hué par l’assistance. Par une coïncidence, ledit Mailhé, juriste, avait précédemment été chargé par le comité de législation du rapport ayant servi de base légale à la procédure de jugement.

Pendant toute la nuit, dans la fébrilité et la pression populaire, les conventionnels émettent leur position. Sur les 721 députés présents, 361 sont pour la mort immédiate, 70 pour la mort assortie de diverses conditions de sursis (dont 26 reprenant l’amendement Mailhé), 290 évoquent des peines diverses. Cinq s’abstiennent sous les quolibets ou les menaces. Victor Hugo le remarquera : «lorsque le peuple est roi, la populace est reine».
Le 21 janvier, dans la froidure, à 10h22, place de la Révolution (devenue place de la Concorde) le ci-devant roi est décapité.

Tous les ans, à la même date, des messes commémoratives sont célébrées, en mémoire du monarque. Notamment sous le parrainage des deux prétendants à son trône. Deux familles se disputent cette hypothèse, par le truchement de leur représentant : le duc d’Anjou, d’une part, le comte de Paris, de l’autre. Le duc d’Anjou est directement issu de Louis XIV, chef, par conséquent, de la branche aînée, ou légitime de la maison de Bourbon. Le comte de Paris descend, lui de Monsieur, frère de Louis XIV, mari d’Henriette d’Angleterre, fondateur de la branche Orléans, branche cadette. Une tache dans leur dossier, Louis Philippe Joseph d’Orléans, plus tard conventionnel sous le nom de Philippe Égalité, votera la mort de son cousin Louis XVI (avant de passer à son tour, pendant la Terreur, sous le rasoir national). Son fils régnera sous le nom de Louis Philippe 1er. Mais tache dans le dossier adverse, Philippe V, petit fils de Louis XIV, en devenant roi d’Espagne en 1700, aura renoncé au trône de France pour lui et sa descendance.

Le requiem, en présence du duc d’Anjou, a été célébré cette année encore, dans la chapelle expiatoire située 29 rue Pasquier, à Paris. Celle-ci est édifiée à l’emplacement de l’ancien cimetière de la Madeleine où avaient été transitoirement inhumés les corps de Louis XVI et de Marie Antoinette. La lignée Orléans s’est réunie, elle, dans la chapelle royale de Dreux. Henri, l’aïeul de la famille, a poussé l’hommage jusqu’à décéder le 21 janvier 2019, rejoignant ce jour là, son lointain cousin.

Une autre cérémonie a lieu à la même période, de nos jours beaucoup plus discrète qu’auparavant : le repas de la tête de veau…. En 1794, un pamphlétaire dénommé Romeau proposa d’organiser chaque 21 janvier un banquet républicain où serait servie une tête de porc farcie, les caricaturistes ayant souvent représenté Louis XVI sous la forme d’un cochon. Le caractère blasphématoire de la démarche eut un vif succès, et la participation à ces agapes fut un brevet de républicanisme. L’usage passa le Directoire, le Consulat, le 1er Empire, la Restauration…. Jusqu’à la Monarchie de Juillet ou semble-t-il, en 1848, la tête de veau pris la place de celle de porc. Gustave Flaubert y fait une brève allusion dans « L’éducation sentimentale ». Les partisans de cette modification se seraient inspirés d’un club anglais, composé initialement des partisans de Cromwell, les Roundheads, ainsi désignés du fait de leurs cheveux courts, en opposition aux longues boucles des aristocrates À la suite de la décollation de Charles 1er Stuart, le 30 janvier 1649, ils s’étaient fait un bonheur de le moquer en festoyant autour de ce plat à chaque anniversaire… On ne saurait leur donner tort, car, effectivement, d’un point de vue strictement gustatif, une tête de veau pommes vapeur sauce gribiche ou ravigote s’avère plus attractive que celle de porc. Cette dernière reste acceptable toutefois sous la forme du presskopf à l’alsacienne, mais alors la forme symbolique de la tête entière a disparu.

Cette année encore plusieurs restaurants prévoient de placer une tête de veau sur leur carte fin janvier, permettant aux lointains successeurs des Sans-culottes de communier dans une ardeur républicaine partagée. Les statistiques manquent pour mettre en évidence une augmentation de cette préparation culinaire chez les tripiers, mais on peut aussi se réjouir de la chute de l’Ancien Régime à la table familiale. Député de la 7ème circonscription de la Seine-Saint-Denis, membre du mouvement La France Insoumise, le citoyen Alexis Corbière nous le déclare sur son blog : «le 21 janvier, je mange de la tête de veau». Avec du persil dans les narines ?

Jean-Paul Demarez

 

(1) Quoique proche des Girondins, Mailhé échappera à la guillotine, sera, sous l’Empire, membre de Conseil d’Etat, puis se ralliera à Louis XVIII, ce qui ne lui évitera pas d’être exilé avec les autres régicides. Ouvrira un cabinet d’avocat fort prospère en Belgique, pour revenir en France en 1830, et mourir en 1834 à 83 ans. Une vie bien remplie.

Illustration d’ouverture: Louis XVI en costume de sacre, huile sur toile d’Antoine-François Callet (1779) (Domaine public)

 

 

 

 

 

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2 réponses à Commémos

  1. Michèle Puyserver dit :

    Merci de ne pas écrire tâche (avec un accent circonflexe) alors que vous voulez dire tache, comme dans faire tache !!!
    Et merci pour ce rappel mémoriel du lancement de la tête de veau.

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