L’actualité de la jeune pensionnaire Rebecca Marder (1) semble fort à propos illustrer les relations entretenues par le Français avec le 7ème art, actuellement mises en avant à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé. À travers une sélection d’archives (extraits de films, photographies, affiches, costumes, bustes…), l’exposition “Comédie-Française et Cinéma. Aller-Retour (1908-2022)” met en lumière cette relation parsemée de va-et-vient qui unit depuis plus d’un siècle la Maison de Molière au cinéma : pièces de théâtre devenues films, scenarii inspirés ou adaptés de pièces du Répertoire, scènes cadrées par l’œil d’une caméra, réalisateurs mettant en scène les Comédiens-Française en leur Maison… Les combinaisons sont multiples et ne cessent d’évoluer. Par le prisme des interprètes, ces comédiens de théâtre se faisant acteurs de cinéma ou acteurs intégrant la prestigieuse institution, quand ils ne mènent pas concomitamment les deux carrières, l’exposition s’avère avant tout une véritable déclaration d’amour aux comédiens.
Au rez-de-chaussée, de belles affiches anciennes estampillées “Le film d’art” présentent des “pièces cinématographiques”. Celles-ci ont pour titre “La Tosca”, “L’assassinat du Duc de Guise”, “Le retour d’Ulysse” ou encore “Les précieuses ridicules”. Les auteurs, lorsqu’ils ne sont pas de grands classiques, sont mentionnés comme appartenant à l’Académie Française, et les interprètes principaux (Paul Mounet, Charles le Bargy, Cécile Sorel, Béatrix Dussane…), à la Comédie-Française, dont ils sont alors les acteurs notoires. Nous voici à l’origine de la relation unissant la Maison de Molière à cet art naissant qu’est le cinématographe (2).
L’histoire commence véritablement en 1908, tout d’abord avec la création du Film d’art, puis, deux ans plus tard, de la S.C.A.G.L. (Société cinématographique des gens de lettres). Le Film d’art, dont le metteur en scène et directeur artistique André Calmettes et l’auteur Henri Lavedan sont les principaux piliers, s’assure, pour ses productions, du concours d’auteurs contemporains et d’artistes de théâtre, et fait éditer ses premiers films par Pathé. La S.C.A.G.L., société satellite de Pathé, est calquée sur le modèle du Film d’art. Elle participe à la création du studio de Vincennes, délègue ses opérateurs de prises de vues, choisit les scenarii, pour beaucoup écrits par des hommes de lettres, et emploie des comédiens de théâtre, parmi lesquels ceux de la Comédie-Française. Le cinéma, qui n’en est encore qu’à ses balbutiements, rehausse ainsi son prestige en s’appuyant sur la renommée de comédiens professionnels, et tout particulièrement des Comédiens-Français, et assure sa promotion grâce à eux. Pour le dire crûment, il ne serait alors rien sans ses acteurs.
Le premier étage est d’ailleurs tout entier consacré à la figure de l’acteur, clé de voûte de cette relation cinématographique. Extraits de films, photographies, affiches, costumes, bustes… nous plongent avec curiosité, et non sans nostalgie parfois, au cœur de cette troupe peu commune. Madeleine Roch, Jeanne Delvair, Léon Bernard, René Alexandre, Berthe Bovy, Gabrielle Robinne…, vedettes en leur temps, s’avèrent être des découvertes pour les spectateurs d’aujourd’hui. Mais si les acteurs des années 10, 20 et 30 nous sont pour la plupart inconnus, quel bonheur de retrouver Micheline Boudet et Jean Piat sur le tournage du “Mariage de Figaro” (1959), de contempler l’une des tenues de Pierrot, désormais mythiques, portées par Jean-Louis Barrault dans “Les Enfants du Paradis” de Marcel Carné (1945), de découvrir les visages juvéniles de Madeleine Renaud et Gisèle Casadesus ou encore le passage éclair de Raimu par l’Illustre Maison. Car si certains font le choix de quitter le Français pour poursuivre une carrière cinématographique, tels Isabelle Adjani ou Pierre Niney, d’autres, tels Raimu ou Jean Marais, y entrent déjà auréolés d’une gloire cinématographique. Et d’autres encore, à l’instar de Denis Podalydès et de Laurent Lafitte, par exemple, parviennent à ménager les deux parcours.
La Troupe actuelle, comme le montre l’exposition, est d’ailleurs extrêmement présente au cinéma. Seconds rôles ou véritables têtes d’affiche, ils ne sont plus des exceptions, les congés étant accordés plus volontiers que par le passé, et leurs visages sont désormais connus du grand public. Certains se sont même fait connaître au cinéma avant d’appartenir à la grande famille de la Comédie-Française. Dominique Blanc et Didier Sandre en sont ainsi de parfaits exemples. D’autres sont partis, puis revenus : Danièle Lebrun fit ainsi un bref passage de 1958 à 1960 pour revenir en 2011 ou encore, plus récemment, Marina Hands qui réintégra la Troupe au printemps 2020 après y avoir été une première fois pensionnaire de janvier 2006 à septembre 2007. Le sociétaire Guillaume Gallienne alla même jusqu’à passer derrière la caméra, réalisant trois films dont “Oblomov” (2017), une adaptation de la pièce qu’il avait jouée auparavant à la Comédie-Française.
Comme on le voit, le cinéma et la Maison de Molière ont ainsi toujours fait bon ménage. Depuis les années 70, des mises en scène ont, par ailleurs, été confiées à des réalisateurs : de Franco Zefirelli (“Lorenzaccio”, 1977) à Arnaud Desplechin (“Père” en 2015 et “Angels in America” en 2020), et Christophe Honoré (“Le Côté de Guermantes”, 2020), en passant par Youssef Chahine (“Caligula”, 1992).
Les écrans s’invitent aussi de plus en plus sur scène. Constitutifs de l’esthétique même du spectacle, en tant que décors ou procédés de mises en scène, ou bien d’un simple usage ponctuel, la caméra et l’écran sont désormais un mode d’expression théâtral, donnant lieu à des projections, quand ils ne sont pas utilisés en prises directes. On pense notamment à “La Règle du jeu” (Christiane Jatahy, 2017) et aux “Damnés” (Ivo van Hove, 2017) (3). Ces deux spectacles firent d’ailleurs énormément parler d’eux pour une autre raison également: la nouveauté que représentait l’entrée de scenarii au Répertoire de la Comédie-Française.
La Comédie-Française a également su réinventer ses rapports avec la caméra à travers sa collection de “Films originaux”, en demandant à des réalisateurs de filmer, avec leur esthétique propre et la distribution du Français, les pièces du Répertoire. Mathieu Amalric (“L’Illusion comique”, 2010), Valeria Bruni-Tedeschi (“Les Trois Sœurs”, 2015), ou encore Vincent Macaigne (“Dom Juan et Sganarelle”, 2016) s’y sont, par exemple, essayés.
Depuis 2016, l’expérience du Pathé Live a encore apporté du nouveau à cette dimension cinématographique du Répertoire qui n’a plus rien à voir avec la captation télévisuelle de jadis. Chaque année, des spectacles sont ainsi projetés en direct de la Salle Richelieu grâce à un système très perfectionné de vidéotransmission. Diffusées dans un large réseau de salles de cinéma, en France comme à l’international, les pièces peuvent alors être vues dans des conditions optimales par un public plus large, notamment éloigné. Cette saison 2021-2022, “Le Malade imaginaire”, “Le Tartuffe ou l’Hypocrite”, “L’Avare” et “Le Bourgeois Gentilhomme” permettront ainsi à certains de profiter de l’année Molière malgré la distance.
Cet incessant aller-retour entre la Comédie-Française et le 7ème art exposé à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé s’avère des plus passionnants. Mais s’il fonctionne aussi bien, on l’aura compris, c’est avant tout grâce à sa Troupe dont l’excellence n’est plus à démontrer. Une exposition en si agréable compagnie n’est pas à négliger.
Isabelle Fauvel
(1) Rebecca Marder, 26 ans, pensionnaire de la Comédie-Française depuis 2015, est actuellement à l’affiche du premier film de Sandrine Kiberlain “Une jeune fille qui va bien” tout en ayant eu concomitamment une activité intense à la Comédie-Française : Fanny dans “Fanny et Alexandre” (jusqu’au 30/01), Ania dans “La Cerisaie” (jusqu’au 06/02) et Angélique dans “George Dandin ou le mari confondu” (jusqu’au 07/02).
(2) La première séance publique de l’histoire du cinéma remonte au 28 décembre 1895 avec le film des frères Lumière “La Sortie de l’usine Lumière à Lyon”.
(3) Voir ma critique de la pièce
“Comédie-Française et Cinéma. Aller-Retour (1908-2022)” jusqu’au 16 avril à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé 73 avenue des Gobelins 75013 Paris
Photos: ©Isabelle Fauvel (la 3e est celle du costume de Jean Piat)
Quel bonheur de découvrir que la Comédie Française a participé aux premiers
balbutiements du cinéma muet.
Le mariage comédie française/cinéma n’a pas toujours été aussi heureux que vous le laissez supposer… Il fut un temps où faire du cinéma condamnait les jeunes pensionnaires à la démission…
Il fut un autre temps où on ne signalait plus l’appartenance à la maison de Molière dans les génériques. La tradition n’a été rétablie qu’il y a assez peu. Du temps de Murielle Mayette ? Je pose la question car je ne suis pas sûr de la réponse.
Enfin, il faudrait étudier la période du cinéma français académique (celui dénoncé par Truffaut). La présence de comédiens du Français prouvait à coup sûr que le film était une adaptation boursouflée d’un classique… C’était l’époque des Balpêtré, des Jean Debucourt, des Aimé Clariond, des Louis Seigner, des Pierre Dux
J’ai bien peur que tout ça ne fasse pas l’objet d’une grande attention dans cette rétrospective…