Diplomates à la rescousse

En juillet 1938, à Évian, Golda Meir assiste, effarée, à une conférence interétatique voulue par le président Roosevelt. Trois mois après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie et alors que la persécution des juifs prend une ampleur affolante en Europe, celle qui est alors représentante de l’agence juive pour la Palestine, ne peut que constater qu’il s’agit, entre autres défaillances, de ne pas froisser Hitler. « Être assise là, dit-elle alors, dans cet endroit magnifique (l’hôtel Royal ci-contre, ndlr), à écouter les représentants de trente-deux nations expliquer, chacun leur tour, à quel point ils aimeraient accueillir de nombreux réfugiés et combien ils sont malheureux de ne pas pouvoir le faire est une expérience effroyable ». Et de poursuivre: « Ceux qui n’auront pas vécu ça, auront du mal à comprendre ce que je ressens ici, à Évian. Un mélange de douleur, de frustration et d’horreur. » Le Mémorial de la Shoah revient, jusqu’au 8 mai prochain sur cette catastrophe, en prenant comme angle original l’activité diplomatique. Une exposition édifiante dans les deux sens, entre ceux des chancelleries qui ont aidé et ceux qui ont collaboré car il en fut.

L’un des plus connus est Aristides de Sousa Mendes. C’est un consul portugais en poste à Bordeaux en 1940. Il désobéit aux ordres de António de Oliveira Salazar, alors chef d’État du Portugal, en délivrant systématiquement des visas à ceux qui lui en font la demande. Il sera traduit pour cela devant un conseil de discipline. Au risque de compromettre leur carrière, de nombreux diplomates ont ainsi fait acte de désobéissance. La panique des juifs a également encouragé, c’est ce que nous explique une scénographie fort bien faite, des diplomates à faire de « bonnes » affaires, comme le directoire des douanes cubaines. Ainsi le 13 mai 1939, des réfugiés embarquent à Hambourg en direction de Cuba. Mais les papiers de débarquement sont bidons et la plupart des porteurs seront refoulés. Y compris de Floride où leurs espoirs seront douchés. L’époque était bien désinvolte voire cynique puisque le bateau (le Saint-Louis) devra regagner l’Europe, continent de tous les dangers. Sur les 619 passagers qui en effet, trouveront refuge en Angleterre, en Hollande, en France ou en Belgique, 583 furent finalement assassinés par les nazis.

Émouvante mais aussi captivante, cette exposition lève le voile sur des aspects géographiques inattendus, comme celui de la ville de Shanghai qui disposait d’un statut semi-colonial avec des territoires sous le régime concessionnaire. Ce port, capitale économique de la Chine, comptait alors un million d’habitants (70 millions aujourd’hui pour l’agglomération), ne réclamait pas de visa d’entrée. Ce qui fait nous dit-on que 20.000 juifs européens y trouvèrent refuge jusqu’à la prise du pouvoir par les communistes en 1949.

Une exergue étrangère au champ diplomatique mais pas à celui des sauf-conduits, nous est également proposée à travers un personnage étonnant nommé Adolfo Kaminsky. Il dut à sa nationalité argentine de pouvoir sortir du camp de Drancy en 1943. Il se met tout de suite au service de la Résistance en fabriquant des faux-papiers pour les juifs. Il y consacra tout son temps au point de déclarer: « En une heure, je fabrique 30 faux papiers. Si je dors une heure, 30 personnes mourront. » Il prolongera ce sacerdoce après-guerre, notamment sous la dictature des colonels en Grèce, mais aussi en Afrique ou en Amérique du Sud.On peut voir sa photo sous forme d’auto-portrait qu’il avait pris, afin de tester son appareil.

Intitulée « Les diplomates face à la Shoah », l’exposition éclaire ce domaine mal connu de la diplomatie et singulièrement ceux qui étaient en état d’agir au moment des périls. Pas seulement en délivrant des visas, mais aussi, pour ceux qui étaient en poste en Allemagne ou dans différents pays de l’Est, en apportant dès 1931, des informations capitales sur les persécutions et plus tard, sur le processus d’extermination. De télégrammes en rapports circonstanciés, beaucoup ont alerté avant d’agir tel Chiune Sugihara, consul du Japon en Lituanie ou encore Raoul Wallenberg, un Suédois réputé pour avoir sauvé des milliers de personnes en détresse à Budapest.

Face au mur des « Justes » qui attend le visiteur à l’extérieur, on ne peut qu’avoir une pensée pour tous ceux qui n’y figurent pas. Diplomates ou simples citoyens, ils sont restés anonymes, absents des annuaires. Leur révolte, leur opposition, leur action, sont restées dans l’ombre. Aux côtés de ceux qui sont -justement- recensés, les non-répertoriés sont l’honneur invisible de l’humanité.

PHB

« Les diplomates face à la Shoah » du 8 février au 8 mai 2022, Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffroy Lasnier 75004 Paris
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10 réponses à Diplomates à la rescousse

  1. Bouiges dit :

    Merci pour ce rappel et cet hommage. D’autant plus émouvant que le sort des « lanceurs d’alerte » , comme on les appellerait aujourd’hui, Chiune Sugihara et Raoul Wallenberg que vous citez à juste titre (sans jeu de mots) n’ont guère été récompensés pour leur humanisme.
    Sugihara qui, rappelé par son gouvernement, jetait du train des visas en blanc pour continuer d’aider jusqu’au bout, a terminé sa vie désavoué par son administration et en vendant des ampoules électriques au porte à porte. Quand à Wallenberg, si son pays l’a soutenu, il n’en a pas moins disparu dans des conditions pour le moins suspectes. Pour avoir séjourné quelques années à Budapest, au moins j’ai pu noter que sa mémoire était honorée dans la ville à plusieurs endroits.
    Le devoir de mémoire s’accompagnera toujours de tristesse, voire de désespoir.

  2. Pierre DERENNE dit :

    « Quel que soit le Drapeau, il y a toujours, dans la piétaille, la même proportion de bons zigues et de salopards »
    Jacques Perret (1901-1992)

    • Philippe PERSON dit :

      Je reconnais là bien ce que je n’aime pas dans Jacques Perret…
      pourquoi la piétaille… Cet homme très anar de droite aurait pu nous dire ce qu’il en était de l’élite : en nombre de collabos, c’était bien au-delà de la proportion de français collaborateurs…
      La preuve justement : combien de diplomates étrangers en France en 1940 ? Et un seul consul portugais courageux !

      • Simple caporal, puis simple résistant, J.Perret donnait justement le point de vue de la piétaille dont il s’honorait de faire partie, et a eu l’occasion par ailleurs de manifester son opinion sur les gens du dessus.

        • Nicole MalvineBEX-DALAYEUN dit :

          Etonnante cette distinction concurrentielle de bons zigues et de salopards selon des appartenances catégorielles à
          « de la piétaille » – d’entrée disqualifiant et insultant – et « gens du dessus » – d’entrée qualifiant ce superlatif systématique ? Les deux appartenant à cette même espèce, la seule qui tue non pas par la nécessité de la survie mais par avidité et pour le plaisir.

      • Pierre DERENNE dit :

        « Bien sûr, unité, universalité, c’est un vieux rêve, une noble hantise ; et sur le plan temporel elle sert de caution à toutes les entreprises d’hégémonies, à toutes les tyrannies autocratiques et doctrinaires » Le même

  3. Philippe PERSON dit :

    je ne sais pas comment est présenté Adolfo Kaminsky dans cette exposition. Mais le combat de cet humaniste a été bien plus universel, puisqu’il a aidé tous les mouvements de libération nationale, du FLN à l’OLP en passant par les militants antipartheid. Il a fait des faux papiers pour tous ceux qui se battaient contre l’oppression coloniale. Il faut le dire en ces temps où les nostalgiques du tirailleur Banania sont à l’oeuvre et où proclamer des sympathies pour le clan révolutionnaire, même du passé, vous expose à la haine en ligne…
    Avant d’être éducateur de rues en banlieue parisienne, il vivra quelques années dans l’Algérie indépendante. Il était à la fois très mal vu des autorités françaises et israéliennes, mais a bénéficié de la « clémence » de ces dernières qui, on le sait, emploie des méthodes radicales contre ceux qui se battent pour les droits des palestiniens.
    il dit que la seule fois où il a craint pour sa vie, c’était quand il aidait les militants anti-apartheid, le régime raciste d’Afrique du Sud supprimant systématiquement tous ses « ennemis » à l’étranger.
    Cerise sur le gâteau, Kaminsky est cité dans un roman de Modiano qui le fréquentait dans sa jeunesse. Je suppose (mais c’est une théorie personnelle) qu’il a peut-être fait des faux papiers pour le père du prix Nobel…
    Mériterait le Panthéon !

  4. Lise Bloch-Morhange dit :

    Le nom de ma mère figure sur le Mur des Justes, et il faut rendre hommage à Lucien Lazare, historien franco-israélien, qui a établi le premier « Dictionnaire des Justes de France » en 2003 (co-éditon Fayard-Yad Vachem).

    • Brocard Yves dit :

      Merci Lise de faire mention de ce dictionnaire. Je viens de l’acheter, pour 4,50€…
      Je vais pouvoir voir si mon grand-père y figure. Il fut résistant et aida notamment des intellectuels et artistes juifs (dont Chagall) à être exfiltrés de France, en leur envoyant, avec la complicité de la postière de Vichy, de fausses invitations à venir faire des conférences dans des grandes universités américaines. Dénoncé il fut emprisonné et condamné à mort. Il fut gracié in extrémis, car il figurait dans l’annuaire des diplomates…
      Quand j’étais petit, il parlait peu de ses faits de guerre, qui viennent seulement d’être déclassifiés sur le site de la Légion d’honneur. Mais je me souviens que, pendant son séjour de huit mois à la prison à Fresnes, et longuement interrogé, il me disait que pour impressionner les Allemands, il suffisait de gueuler plus fort qu’eux. C’est vrai que, quand il élevait la voix (ce qu’il ne faisait pas très souvent), cela s’entendait.

  5. Lise Bloch-Morhange dit :

    Bonsoir Yves,
    ma mère ne figure pas dans cette première édition du « Dictionnaire des Justes de France » car elle a été nommée Juste en 2007, et je ne sais pas si Fayard procède à des actualisations, je vais d’ailleurs le leur demander.
    Comme vous le verrez, il n’y a pas de Brocard nommé Juste dans ce dictionnaire de 2003, mais pour être nommé Juste il faut que la ou les personnes juives qui doivent la vie à un non juif envoient leur témoignage bien étayé à Yad Vachem.

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