Les Vénus du Trocadéro

Celle-là a 17.000 ans et l’artiste qui est en l’auteur, n’a pas cru bon de laisser un petit mot pour en expliquer l’usage ou la destination. Elle se trouve dans une sombre mezzanine du Musée de l’Homme, baptisée et pour cause, salle des trésors. On connaît son âge car jusqu’à 50.000 ans, la datation au carbone 14 fonctionne. Le marquis Paul de Vibraye, qui l’a trouvée en 1864, l’a baptisée « La Vénus impudique ». Sculptée en ivoire de mammouth, c’était la première du genre à faire surface, ce qui fait que par la suite, les autres statuettes féminines ou silhouettes peintes sur des parois, allaient être dénommées des Vénus. Plus globalement, c’est une survivante du paléolithique supérieur, c’est à dire bien longtemps après (3 millions d’années environ) la conception des premiers outils. Cette Vénus n’était pas, selon toute vraisemblance, un ouvre-boîte ou un décapsuleur. Si elle garde tout son mystère, toute cette grâce fragile, c’est tant mieux. Le message qu’elle porte, diffus, magique, n’en est que mieux conservé.

Voilà ce qui arrive lorsque l’on se rend au Musée de l’Homme afin de découvrir une exposition sur le bien connu auteur de bande dessinée, Enki Bilal. Un homme qui s’obstine à voir loin, lui, dans un avenir complètement dégénéré où il est dit que « l’hybrimutantech » est un « être vivant hummamifère subissant une mutatranshybridation en néo-être partiellement technologisé ». Si quelqu’un retrouve un de ses dessins dans 17.000 ans, au moins aura-t-il la notice qui manquait à notre Vénus du paléolithique.  L’exposition en question (qui fait sans complexes la promotion du tome III de sa série « Bug »), laisse un peu le visiteur sur sa faim. Et c’est ce qui a conduit ledit visiteur, on l’aura compris, à nourrir sa curiosité auprès des collections permanentes du musée dont l’agencement général s’est bien éloigné de ce que l’on pouvait voir, notamment dans « L’homme de Rio ». C’est devenu moderne, propre, didactique, convenable, et pour tout dire, très contemporain.

L’intérêt n’en est que plus grand une fois gagné la pénombre bleutée de la salle des trésors. Cette Vénus miraculeuse brille comme une petite étoile et c’est notre passé vertigineux qui scintille avec elle. Sa forme délicate témoigne d’une part de la sensibilité artistique qu’un être humain pouvait avoir il y a 170 siècles et d’autre part, elle nous invite à la modestie. Tout comme sa voisine la « Vénus de Lespugue », aux fesses extravagantes, conçue 5000 ans avant la première et mise au jour par un certain René de Saint-Perrier au fond de la grotte des Rideaux à Lespugue. C’est de l’art, si pur, qu’on en reste bouche-bée et même songeur par rapport à certains sculpteurs du 20e siècle qui ont cru naïvement avoir inventé un style.

Des trésors du même tonneau et d’époque comparable il n’y en a pas tant que ça dans la salle des trésors du Musée de l’homme, c’est ce qui fait leur valeur. On peut tout de même voir entre autres merveilles, un bâton percé en bois de renne garni d’animaux comme des phoques ou des serpents. Cette pièce exhumée dans les Charentes, a 15.000 ans. Le même âge qu’une plaque en ivoire de mammouth dénichée en Dordogne en 1867. Sa découverte avait prouvé la coexistence de l’homme et des animaux, encore qu’il faille de bonnes lunettes pour les déceler, peut-être en raison d’une exécution un brin sommaire ou trop usée.

Et toujours dans les mêmes millésimes, si l’on peut dire, il y a cette assez étonnante confrontation de deux bouquetins (ci-contre). Et là, les enquêteurs ont cru en savoir davantage puisque, selon eux, il s’agirait d’un objet ayant servi à « propulser les sagaies lors de la chasse ». Les deux têtes manquent à l’appel, mais l’idée est restée, ce qui n’est pas le cas de la dernière sagaie tirée par l’engin, partie buter on ne sait quel animal du côté de Montesquieu-Avantès, en Ariège.

Depuis cette époque si lointaine, comprenant l’immense pouvoir qu’il avait entre les mains, l’homme a multiplié les objets, utiles ou décoratifs, ce qui fait que l’on peut plaindre celui qui sera chargé d’en faire l’inventaire dans 17.000 ans. À l’instar des sneakers qui font aussi l’objet d’une expo temporaire au sein du même palais. Mais peut-être que tout aura en partie disparu, été désintégré, comme le prophétise Enki Bilal avec son « Bug », sur une Terre gagnée par le désert, agitée par des épais vents de sable et privant conséquemment l’humanité de la vision du ciel. Tout à leur chasse, cueillette et activités artistiques, nos plus anciens aïeux, ne voyaient-ils probablement pas aussi loin. Place du Trocadéro, jeudi 17 mars, tout avait l’air encore assez normal, hormis un chantier municipal en forme de chaos annonciateur.

 

PHB

Photos: ©PHB
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Une réponse à Les Vénus du Trocadéro

  1. Thierry Bouiges dit :

    La lecture de cet excellent post, et comme souvent empreint d’humour, une vieille question me revient en mémoire. Je me demande encore si les fesses extravagantes de l’émouvante venus de Lespugue relevaient d’un simple fantasme de son sculpteur, un peu comme aujourd’hui Zadkine lui aurait moulé des fesses cubiques, ou si elles étaient bien représentatives des canons de la beauté féminine du paléolithique, un peu à l’image de la malheureuse Saartjie Baartman. Toute lubricité mise à part bien sûr.

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