Le jardin d’agronomie tropicale se désespère

Quoique bien défraîchie, cette porte chinoise fait encore bonne figure à l’entrée du Jardin d’agronomie tropicale, partie prenante du Bois de Vincennes. Elle n’est pas sans rappeler « Le Voyage de Chihiro » le film de Miyazaki, lequel racontait dès 2001 l’aventure fantastique d’une famille, au sein d’un parc d’attractions abandonné. C’est bien le sujet d’ailleurs. Hormis quelques pavillons bien traités, l’ancien jardin d’essai colonial, créé à la fin du 19e siècle, pleure misère. Bien que l’ensemble soit classé et inscrit aux monuments historiques, on ne peut que constater de nombreux désastres, depuis la dernière chronique parue dans ces colonnes (1). Des serres abandonnées, des pavillons en partie effondrés, des intérieurs tagués: la moitié de ce lieu, propriété de la Mairie de Paris (depuis 2003), souffre de délabrement. Négligence coupable tant cet espace pourrait n’être qu’émerveillement. Reliquat du colonialisme il n’est peut-être pas, pour cette raison, en odeur de sainteté.

Pourtant, au sortir du RER de Nogent-sur-Marne, le franchissement des grilles d’entrée augure bien de la suite des événements. Cette porte chinoise nous prédispose à la flânerie d’un autre siècle, celui où l’on se proposait de chercher comment il serait possible d’améliorer l’agriculture, en Cochinchine, en Afrique ou en Guyane. On venait ici pour y « déguster du thé d’Annam » tout en admirant les lotus et les nénuphars du plan d’eau, ainsi que nous l’expliquent les différents panneaux qui jalonnent le parcours.

À condition de ne pas approcher les édifices de trop près, la promenade est bien agréable, c’est une oasis de calme. Ainsi, nous ne pouvons qu’être charmés par les allées conduisant à l’esplanade du Dinh, dont chaque détail évoque subtilement l’Extrême-Orient. Mais derrière la façade, c’est la catastrophe. Le toit est effondré et les ouvertures accessibles au regard dévoilent un chaos bien triste où la végétation a repris ses droits. Même désolation du côté des serres où les portes brisées, les carreaux cassés, trahissent le peu d’intérêt des propriétaires. Lesquels pour notre gouverne, nous expliquent sur un panneau que la grande serre, haute de cinq mètres, a été bâtie en 1889. Elle était (ce qui est toujours le cas) entourée de deux édifices plus modestes, résultant d’un don des industriels Hamelle et Menier et provenant de l’exposition universelle du Trocadéro. On y faisait pousser des cacaoyers, des caféiers et plus tard de la canne à sucre. Désormais, les amateurs d’orties, de ronces et de végétation sauvage sont comblés.

Pauvre René Dumont, l’un des premiers écologistes (1904-2001) dits politiques, qui enseigna ici. Il n’aimerait pas voir ça. Une plaque gravée nous rappelle que cet « agronome politique » fut enseignant dans ce jardin. Comme il a été incinéré, il n’est pas possible de l’entendre se retourner d’indignation dans sa tombe (en synchronisation avec Malraux), mais c’est tout comme. L’institut National d’agronomie tropicale date de 1921 et c’est en 1984 qu’élèves et et enseignants déménagent à Montpellier.

Hormis les ruines à l’état intérieur déplorable comme on peut le voir ci-contre, et quelques œuvres contemporaines en guise de cache-misère, la déambulation n’est pas que désolation. Certaines pièces ont tenu le coup et n’ont pas été affectées par les amateurs de saccage. C’est vrai d’un petit pont tonkinois, de quelques monuments aux morts au style dépassé, du pavillon de la Tunisie rénové et converti en restaurant. Ça l’est un peu moins d’une statue de femme décapitée ou encore du Temple du souvenir indochinois, dont l’une des faces, à peine refaite, a déjà été barbouillée de messages variés. Ici, l’art et l’histoire paient un certain tribut.

Il ne faut pas se leurrer. Le délabrement bien trop avancé de certains pavillons les exclut de tout projet de sauvegarde. Le péril de ces vestiges n’est plus en cours, il est consommé. C’est la marque d’une époque: laisser pourrir afin de mieux justifier l’inévitable arasement.

PHB

Photos: @PHB

(1) Voir aussi l’article de Lottie Brickert en septembre 2019

 

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7 réponses à Le jardin d’agronomie tropicale se désespère

  1. Hormis les ruines à l’état intérieur déplorable comme on peut le voir ci-contre, et quelques œuvres contemporaines en guise de cache-misère, écrivez-vous.
    Des œuvres ????? J’en doute.
    Cache-misère ????? Pareillement.

  2. Yves Brocard dit :

    Qui est le « propritéaire » du Bois de Vincennes? La ville de Paris. Alors on ne peut guère s’étonner de cette volonté de laisser ce patrimoine se délabrer.
    Bonne journée et votez bien.

  3. Alain S dit :

    Triste cohérence d’une politique municipale très « cancel ». Le délabrement programmé est d’une tristesse infinie. Et malgré tout cela, merci encore une fois Philippe pour vos billets qui nous enchantent chaque matins.
    PS : le lien vers l’article précédent ne fonctionne pas

  4. Philippe PERSON dit :

    Qui attend son heure, pour installer son siège social « écologique » ici ?
    Bernard A a pu s’accaparer le jardin d’acclimatation, avec destruction du musée des arts et traditions populaires… Vincent B (ou Xavier N, ou Patrick D) doit rôder autour du Jardin de Vincennes. Pour rembourser sa campagne électorale désastreuse (à moins de 5 %, les candidats doivent tout payer), Madame H sera bien disposé une fois de plus. On se rappelle aussi de Roland-Garros…

    • Jean Rentmeester dit :

      Que ça plaise ou non à Mme H. elle est est bel et bien LA responsable de la disparition d’un Paris ou il est bien vivre.

  5. Brocard Yves dit :

    J’en profite pour vous signaler le livre de Didier Rykner « La Disparition de Paris » qui fait le recensement des saccages de la capital. Je n’ai pas souvenir de l’avoir vu mentionné sur ce site. Il a fait l’objet de nombreux articles dans la presse et d’interview. Didier Rykner anime aussi un site fort documenté et très engagé sur le sauvetage du patrimoine : https://www.latribunedelart.com/ A tel point que la Mairie de Paris de l’invite plus aux visites de presse dans le domaine de patrimoine. Mais il a des « suiveurs » qui savent bien le renseigner.

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