Un voyage des plus lunaires

Nous avons la chance, nous les Français, qu’un fils de chantre de synagogue allemand, un émigré nommé Jacob puis Jacques Offenbach, soit arrivé à 14 ans à Paris, ville où un musicien juif pouvait alors s’épanouir. Doué de génie musical et d’une oreille lui donnant un sens suraigu de la langue française, «le petit Mozart des Champs-Elysées» selon Rossini sut enchanter le public du Second Empire. Intraitable avec ses librettistes comme Meilhac et Halévy, il savait orchestrer et composer sur leurs paroles des airs à l’égal des plus grands. Nous avons vraiment de la chance, parce qu’après la défaite de Sedan, le génial Offenbach (1819-1880), traité volontiers de «Juif prussien», s’il dut s’exiler, daigna revenir les choses un peu calmées, pour se lancer dans les «opéras-fééries». Il composa d’abord un «Roi Carotte» de six heures, puis «Un voyage dans la lune» de la même durée, inspiré par Jules Verne qu’il oublia de prévenir. Le succès fut énorme, au point de considérer ces œuvres et d’autres comme des «blockbusters» oubliés. Il se joue en ce moment même à l’Opéra Comique.
Nous avons aussi la chance d’avoir le metteur en scène Laurent Pelly qui doit détenir à 62 ans le record offenbachien, avec une quinzaine de ses opéras bouffes (et non de ses opérettes) montés à travers le monde. Quand le patron des lieux, alors Olivier Mantei, lui demande une œuvre pour la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique, Pelly n’a pas d’hésitation : pour cette soixantaine d’apprentis aux arts du spectacle, âgés de 8 à 25 ans, ce sera «Le voyage dans la lune» avec son royaume terrien peuplé d’enfants, tout comme celui des Sélénites, les habitants de la lune. Bien entendu, sa complice de toujours, Agathe Mélinand, adaptera et modernisera les dialogues. Dès l’ouverture, nous voilà plongés dans cette alchimie faite de trépidation et de tendresse alternées que connaissent si bien les fans, ne manquant pas de reconnaître en leitmotiv le fameux air «Scintille diamant, miroir où se prend l’alouette» des «Contes d’Hofmann» (air qui sera ajouté puisque le maestro est mort avant d’avoir achevé son chef d’œuvre tragique).

Chez les Terriens, la terre n’est pas en très bon état, réduite à une sorte de basse-fosse ludique entourée d’amas colorés de bouteilles et autres déchets en plastique, décor unique imaginée par Barbara de Linburg. Si cela vous rappelle quelque chose…  Et voilà le roi Vlan régnant sur ce peuple d’enfants de d’adolescents : «Vlan, Vlan, je suis Vlan, C’est moi le roi Vlan, Vlan ! Vlan ! Vlan ! Rataplan ! Je suis le roi Vlan !»  Nous sommes bien chez Offenbach, car où trouverions-nous ailleurs un roi nommé Vlan, interprété par Franck Leguérinel, offenbachien confirmé depuis longtemps ? Longue silhouette aux cheveux gris et seul adulte, Vlan se fait vieux et ne songe qu’à transmettre sa couronne rutilante à son fils Caprice. Mais Caprice n’a aucune envie de succéder à son père, et adresse une romance à la lune qui s’inscrit dans le ciel. Cette première romance toute de poésie est interprétée par le jeune Arthur Roussel, ancien de la Maîtrise, un peu cueilli à froid, qui va s’améliorer.

D’autant que chez Offenbach, il faut savoir jouer autant que chanter. Ô merveille, le prince Caprice demande la lune à son père et l’obtient ! Mais comment aller dans la lune ? Branle-bas de combat, affairement dans tous les sens des chœurs de la Maîtrise tantôt courtisans en costume moderne, tantôt astronomes loufoques, tantôt forgerons frénétiques alternant danse et chant, courant partout, tenant leur partie malgré leur jeune âge, et soutenus à la note près par la cheffe Alexandra Cravero. Jusqu’à ce que sur scène, trône un gros canon noir qui va propulser dans la lune le roi Vlan, son fils Caprice et le conseiller Microscope au son d’une musique pétaradante évoquant cette autre invention moderne, l’arrivée en gare du train au début de la «La vie parisienne».

L’acte II, avec l’atterrissage sur la lune, la découverte des Sélénites et les péripéties qui s’ensuivent est du pur Pelly, le tout baignant dans un blanc lumineux et une atmosphère de féérie rigolote servie par des décors dépouillés et des costumes blancs irrésistibles. On sait que Laurent Pelly dessine toujours les costumes, et qu’il sait allier comme personne poésie et humour : le roi Cosmos, énorme, est comme gonflé à l’hélium, sa fille Fantasia, la tête surmontée de deux pompons godiches, est vêtue d’un tutu trop ample, tout comme les courtisanes et courtisans qui s’ébattent avec des gestes saccadés et déclinent pompons variés, cerceaux divers, et culottes bouffantes pour les courtisans…

Naturellement, le prince Caprice va tomber amoureux de la princesse Fantasia, mais les Sélénites ne connaissant pas l’amour il va lui faire…croquer la pomme ! (Inverse de «l’homme à la pomme» de «La Belle Hélène» !) L’ariette de la princesse «Je suis nerveuse, je suis fiévreuse, ma tête bout !», avec ses vocalises périlleuses, est brillamment chantée par l’ancienne élève de la Maîtrise Ludmilla Bouakkaz, très applaudie. Il s’en passe de drôles sur la lune : terrible chute de neige, pluie de cendres, volcan en fusion, pour finir par un…clair de terre, puisque nous sommes chez Offenbach !

Lise Bloch-Morhange

Opéra-Comique, «Le voyage dans la lune», Jacques Offenbach, joué jusqu’au 3 février 2023, reprise à l’Opéra National Grec les 12 et 13 juillet 2023
Opéra-Comique, la Maîtrise Populaire se produira dans différentes productions, dont «L’Inondation», Francesco Filidei, du 27.2. au 5.3.2023, et «Carmen», de Georges Bizet, du 24 avril au 4 mai 2023

Photos: ©Stefan Brion

 

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2 réponses à Un voyage des plus lunaires

  1. Catherine dit :

    À u vu d cet article, moi je préférerais aller sur la lune avec Offenbach plutôt qu avec Elon Musk!!!!!

    Catherine

  2. KRYS dit :

    Merci Lise et Catherine. Oui, partons dans la lune avec Bach. Je dirai même plus, avec Offenbach !

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