Noir c’est noir

Non seulement Arte est la meilleure chaîne télévisée culturelle française, non seulement elle propose sur son site des centaines de films, concerts, opéras, documentaires, émissions, mais elle est aussi une grande pourvoyeuse de séries, plaisir coupable chez nous alors que s’y concentre la créativité depuis une quinzaine d’années au détriment du grand écran. La chaîne hautement culturelle n’a pas raté le tournant des séries scandinaves, qu’on appelle le «Nordic Noir». Comme le savent les amateurs, le «Nordic Noir» fut précédé par la grande vague d’auteurs de polars scandinaves : le norvégien Jo Nesbo et son inspecteur Harry Hole, le suédois Henning Mankel et son inspecteur Kurt Wallander, et bien d’autres. La loi est la même sur le grand comme sur les petits écrans : tout commence par la qualité du scénario. Leçon retenue pour les scénaristes télévisés, attachés comme leurs confrères écrivains à révéler l’envers du rêve suédois, norvégien, islandais, et autres régions nordiques.

Le phénomène est né avec la série danoise «The Killing» («Forbrydelsen», littéralement «Le crime», image d’ouverture), diffusée de 2007 à 2012 sur place, puis reprise par Arte dès mai 2012, qui daigne nous en faire profiter encore aujourd’hui. Soit 40 épisodes de 55 minutes sur trois saisons, imaginés par le romancier danois Soren Sveistrup et son équipe. La recette s’est révélée imparable : au début de chaque saison, un crime horrible, puis les efforts de la brigade criminelle de Copenhague avec à sa tête, pour héroïne, une jeune femme nommée Sarah Lund, les répercussions du drame sur la famille concernée, et parallèlement, une intrigue au sein du milieu politique. Trois milieux imbriqués les uns aux autres, vie professionnelle et privée mêlées, chaque épisode correspondant à une journée d’enquête, soit 20 jours pour la première saison. Le tout baignant dans une atmosphère des plus sombres, des plus glauques, comme s’il ne faisait jamais jour à Copenhague. Seuls des regards bleus, sous la lumière crue des flashs et des lampes, trouent la pénombre.

Saison 1, épisode 1 : au tout début, pendant quelques secondes, une jeune fille en sang et combinaison déchirée est lancée dans une course éperdue en pleine forêt et en pleine nuit, et ces quelques secondes ne nous quitteront plus. Qui est-t-elle et qui la poursuit ?
Un rythme lent, couplé avec la brièveté et la multiplicité des scènes et des milieux, nous permet de nous attacher à des personnages complexes, grande vertu des séries par rapport au cinéma : Sarah, jeune inspectrice (une femme pour une fois !) qui ne sourit jamais, en queue de cheval, jeans et pull, d’aspect banal mais visiblement douée d’intuition, de flair et d’empathie ; le jeune aspirant maire très séduisant qui semble cacher bien des secrets ; les parents Larsens bientôt en proie au pire des chagrins et capables de tout. De quoi alimenter bien des hypothèses, bien des fausses pistes, d’autant que la série a permis de former toute une génération de jeunes comédiens scandinaves d’excellence, dont la brillante et tourmentée Sarah alias Sophie Grabol, et le mystérieux aspirant maire alias Lars Mikkelsen. On l’a dit : seuls leur regard bleu éclaire les ténèbres environnants.

Les télévisions anglaises et américaines vont copier la formule en l’adaptant à leur pays, tandis que le «Nordic noir» poursuivra sur sa lancée. Et sur Arte bien sûr, qui nous propose actuellement, parmi d’autres, deux séries illustrant la diversité du genre. La série norvégienne «Acquitted» met en scène Aksel, la quarantaine, revenu à Lifjord
après vingt ans d’absence en homme d’affaire ayant fait fortune en Asie. Réussite trompeuse, car s’il a été acquitté du meurtre de sa petite amie il y a vingt ans, les habitants le tiennent toujours pour coupable. Alors pourquoi est-il revenu ? Il ne cesse de se poser la question.  En deux saisons de 10 et 8 épisodes, le passé se referme sur lui, et le beau thème du retour au pays s’assombrit de plus en plus. Notons que contrairement à «The Killing» nimbé d’obscurité, la série «Acquitted» nous balade sans cesse dans le fjord, les collines environnantes, la mer et la vraie ville de Lifjord. Serait-ce pour la lumière qu’Aksel est revenu ?

La dernière nouvelle série visible sur Arte s’appuie elle aussi sur un thème bien connu, celui du syndrome de Stockholm. Mais comme elle se déroule dans la capitale finlandaise, elle s’appelle «Le syndrome d’Helsinki» (8 épisodes), et débute par la prise en otage de quatre journalistes d’un grand journal finlandais par un entrepreneur très excité, très bien préparé, et très persuasif (le grand acteur Peter Franzen). Au début de chaque épisode, un bandeau s’inscrit sur l’écran : «Cette série a été inspirée par les événements liés à la crise bancaire finlandaise des années 1990.» Il faut attendre le sixième épisode pour que la réalité nous prenne complètement par surprise.

Les séries scandinaves n’ont pas fini de nous révéler l’envers du décor des terres nordiques.

Lise Bloch-Morhange

Arte.tv : «The Killing», «Acquitted», «Le syndrome d’Helsinki»

 

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3 réponses à Noir c’est noir

  1. Philippe PERSON dit :

    Bravo, Chère Lise,
    moi qui ne supporte pas ces gros pavés (nordiques), et ces séries (scandinaves) aussi ennuyeuses qu’une épreuve de combiné nordique suivie sur L’Equipe 21, je vous trouve beaucoup de courage (et d’érudition) pour nous les vanter !
    J’aurais simplement voulu rappeler que le principal fautif, avec qui tout a commencé, est le grand cinéaste Bo Widerberg.
    A l’actif de ce chaînon manquant entre Ingmar Bergman et Ruben Ostlund, le premier polar suédois d’envergure : « Le Flic sur le toit ». Il sera suivi quelques années plus tard d’un autre film policier moins connnu : »L’homme de Majorque »
    De toute façon, Widerberg est à redécouvrir. Ce n’est pas un hasard, si Bergman rangeait deux de ses films dans la liste de ses dix films préférés…

    • Lise Bloch-Morhange dit :

      Cher Philippe,

      votre maitre en personne, Ingmar Bergman, a commis une minisérie de 6 fois 50 minutes en écrivant et dirigeant pour la télévision « Scènes de la vie conjugale ».
      Certaines histoires sont mieux adaptées pour le grand écran et d’autres pour le petit, et les créateurs de tout poil l’ont compris depuis longtemps, mais en France les spectateurs retardent!

      • Philippe PERSON dit :

        Chère Lise,
        vous aviez compris que je parlais de séries policières. Mais vous avez peut-être raison « Scènes de la vie conjugale », au fond, c’est une enquête policière sur le couple !

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