Beau parleur

Placé dans le dictionnaire entre porte-parapluie et porte-plume, le porte-parole se range, par nature, dans la catégorie des ustensiles. Son usage, en notre monde particulièrement sensible à l’information, consiste à séduire les médias, et, au travers d’eux, à toucher l’opinion. Porte-parole s’écrit au singulier, même s’il peut pratiquer le double langage. De la nature de ses commettants dépendra la tonalité de son expression verbale. Ainsi, le porte-parole du comité de grève s’exprimera en langue de granit, et son vis-à-vis représentant le patronat lui opposera la langue de béton. Du moins jusqu’à la fin du conflit, avant que chacun reprenne son usuelle langue de caoutchouc. Le porte-parole des nos seigneurs les évêques parle la langue de buis (béni), celui du Front d’Action prolétarienne la langue de plomb, leur homologue mandaté par les écologistes la langue de bois vert. Toutefois, n’exposant jamais un point de vue personnel, le porte-parole proscrira la langue de vipère, la langue de guimauve comme la langue de pute.

On ne naît pas porte-parole, on le devient ! Au prix de douloureux «training» (en français: entraînement), sous la férule d’un «coach» (en français : cocher). Celui-ci exerce, le plus souvent, dans l’audiovisuel. Il associera, à l’attention du porte-parole, les bons éléments de langage, lui apprendra à déjouer les pièges de ses confrères. Moyennant un cacheton substantiel. La pratique d’une telle activité mercenaire se nomme, en argot professionnel, «faire des petits ménages».

À notre époque, par temps calme comme en période de crise, toute structure un tant soit peu conséquente dispose d’un porte-parole. Celui du gouvernement apparaît, chaque mercredi, tel le coucou de la pendule. Il monologue en langue de coton. Ses outils ? le truisme, la tautologie, la litote, l’euphémisme et la fausse évidence.

Le poste est crée le 20 juin 1969 par Jacques Chaban-Delmas. Impétrant initial, Léo Hamon. Le Premier Ministre souhaitait ainsi remplacer le ministère de l’Information, incompatible avec sa «Nouvelle Société». S’associe souvent au porte-parolat un autre portefeuille. L’actuel tenant du titre s’orne également du titre de «ministre délégué chargé du Renouveau Démocratique». Les mauvais esprits ne manqueront pas d’identifier cette charge au fameux «secrétariat d’État aux Choux Farcis» dans lequel le Président Chirac rangeait «les os sans viande que le prince donne à ronger aux gens de cour».

Le porte-parolat siège à l’hôtel de Castries, charmante bâtisse XVIIIème située à deux pas de Matignon. L’Excellence en charge rend officiellement compte, hebdomadairement, des décisions du conseil des ministres comme des activités du gouvernement devant les journalistes accrédités . Le point presse s’effectuant sur un mode très ritualisé, l’appréciation des auditeurs porte davantage sur la forme que sur le fond. Lesquels auditeurs vont s’exercer à percevoir le non-dit, démêler dans le discours, le vrai du faux, car un gros mensonge gagne toujours à s’accompagner d’un peu de vérité. Au reste l’orateur ne parle-t-il jamais en son nom propre. Le cas échéant, il lui incombe de recadrer un ministre qui dérape, lancer un ballon d’essai au risque du démenti, tenter d’apaiser une crainte populaire ou reprendre un message mal compris. La formule classique «peut être aurait on pu formuler autrement ?» s’interprète immanquablement, sur les réseaux sociaux, comme un aveu de faiblesse. Sans pitié, les chaînes d’actualité à jet continu permettent de repasser facilement les retours en arrière et les contradictions, images à la clef.

Sa mission en fait l’intervenant obligé des matinales télé. Nécessité de bien prendre la lumière. Le poste peut échoir à un vétéran, ou constituer le test d’un jeune espoir. Ce dernier aura l’occasion de faire ses armes comme on monte au front. De son habileté oratoire et de son art de l’esquive dépendront sa progression dans l’exécutif. Quoiqu’il en soit, selon Luc Chatel, porte-parole du gouvernement Fillon II, il s’agit «d’un poste à emmerdes». Un bon porte-parole en dit toujours moins qu’il n’en sait. Il n’ignore pas que le «bien entendu c’est off !» a vocation à se retrouver dans un hebdomadaire satirique paraissant le mercredi. Il doit se montrer habile dans le rétro pédalage, bannir le second degré et connaître le poids des mots. Car, constatait Olivier Véran, l’actuel titulaire, (France info, 17 avril 2023) «chaque mot peut être mal interprété, j’aurais dû être plus vigilant». Question vocabulaire, Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement Philippe I avait trouvé une bonne formule : «ne jamais ouvrir une porte si l’on n’est pas sûr de ce qu’il y a derrière». Dans ce cadre, le plantage en direct ne pardonne que très rarement.

Informant Jean François Coppé, nouvellement nommé, Jean Pierre Raffarin lui avait ainsi tracé sa fiche de poste : « les bonnes nouvelles, c’est pour moi, les mauvaises pour toi » On ne saurait être plus clair.

Jean-Paul Demarez

Illustration: ©PHB
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2 réponses à Beau parleur

  1. Marie-José Sélaudoux dit :

    Savoureux ! On peut commencer la journée avec le sourire.

  2. Pierre P. dit :

    Merci pour ce texte, effectivement fort savoureux, dont l’humour fait grand bien et permet de dire des choses … bonnes à dire !

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