En un mot comme en cent

C’est un rituel sur les réseaux sociaux. Dès qu’une célébrité passe de vie à trépas, l’acronyme « RIP » fuse. Pour ceux qui ne parlent pas l’anglais cela signifie « rest in peace » ou encore « repose en paix ». Et non référendum-d’initiative-partagée comme une lecture trop rapide pourrait le faire croire. « RIP » c’est fait pour les gens pressés avec une pointe de branchitude. Condoléances, c’est un peu ringard sans parler du « je vous présente mes condoléances attristées », expression réservée « aux vieilles badernes » qui défendent la langue française comme on a pu le lire dans une tribune publiée récemment. « RIP » est donc une façon un peu cavalière d’expédier le sujet nécrologique. Cela induit l’idée que l’on veut passer à autre chose, avec un temps de deuil réduit aux acquêts.  Et sans forcément avoir conscience de raviver ainsi le métier de brachygraphe, c’est à dire celui qui écrivait par abréviation. La brachygraphie est en vogue sans que la plupart des locuteurs en aient conscience, presque tout le monde sait maintenant ce que signifie NTM (nique ta mère), MDR (mort de rire) ou encore le très élégant PTDR (pété de rire).

Il ne faudrait pas croire que cette manie de tout réduire à des initiales (soit pour gagner du temps soit pour ne se faire comprendre que des initiés) soit récente. C’est bien au contraire une tendance probablement venue dès les premières écritures. Ce qui pouvait se comprendre quand il s’agissait de graver le code civil dans la pierre, comme le fit un jour un anonyme sur la stèle d’Hammurabi (1792/1750 av JC) à Babylone. Il s’agissait alors tout aussi bien, en diminuant le labeur, d’éviter une arthrite précoce que de hâter l’heure du dîner. Précisons quand même que l’utilisation d’un langage abrégé sur cette stèle de basalte est une supposition réclamant une expertise. Avec l’usage de la plume, on peut gager que c’était aussi devenu un moyen de gagner de la place et d’économiser ainsi le parchemin. De nos jours c’est plus complexe. Beaucoup savent que l’abréviation 49.3 est un moyen commode de réduire les débats, que le gens du 36 peuvent vous emmener en prison et quand on se rend au 55 c’est une manière de dire qu’on se rend à l’Élysée tout en laissant entendre que l’on fait partie du clan des clans.

Le procédé est si ancien qu’en 1846, chez Cornemillot éditeur, était sorti le « Dictionnaire des abréviations latines et françaises, usitées dans les inscriptions lapidaires et métalliques, les manuscrits et les chartes du Moyen Âge ». Un vrai titre pour un ouvrage qui faisait précéder sa matière d’une « explication de la méthode brachygraphique employée par les graveurs en lettres, les scribes et les copistes du 5e au 16e siècle ». Un vrai projet utile puisque, comme on pouvait lire dans la réédition du livre en 1980 aux  éditions du Sancey, les abréviations étaient des fausses amies exposant « chaque jour des savants à commettre des méprises grossières ». Sans compter les mots latins raccourcis comme test. pour testibus (les témoins), ce que nous faisons toujours aussi régulièrement, par exemple en désignant le dico en lieu et place du dictionnaire. Aujourd’hui on sait ce qu’il en est mais demain, il faudra bien d’autres paléographes pour rétablir des significations oubliées.

C’est fascinant d’observer à quel point le réflexe de faire court sous la surveillance d’un chronomètre virtuel reste ainsi dans les usages. Les deux pires contractions étant « pose question » ou « pose problème ». La suppression de l’article indéfini chez l’adulte viendrait-elle de l’enfance quand l’on suggère aux petits enfants de faire (un) pipi ou de faire (un) popo ? Ce n’est pas impossible.

Au jeu des gens pressés de mourir, car c’est inconsciemment de cela qu’il pourrait s’agir, les Anglais sont très forts avec leur inénarrable « ASAP » (as soon as possible) expression que les Français ont vite adoptée, surtout chez les cadres qui veulent ainsi souligner qu’ils n’ont pas l’après-midi devant eux au vu de leurs importantes responsabilités. Cela marche de la même façon dans les messages officiellement courts que sont les textos avec des abréviations de légende comme « WTF » (what the fuck), « LOL » (laughing out loud) et surtout « YOLO » (you only live once), ce dernier module étant, ce qui est rare, porteur de l’explication en soi, celle justifiant de faire vite en toutes choses.

Car prendre une feuille de papier, décapuchonner le stylo (graphe), s’assurer que le niveau de la cartouche d’encre est suffisant, est une façon de souligner par la plume que l’une des vertus de la relativité est de pouvoir étirer le temps. Cette vertu qui permet de remettre à demain ou après-demain, en tout cas à plus tard, l’échéance ultime consistant à aller définitivement reposer en paix.

PHB

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3 réponses à En un mot comme en cent

  1. Jacques Ibanès dit :

    CQFD ! merci cher PHB de nous réjouir si brillamment de bon matin.

  2. Marie-José Sélaudoux dit :

    Les expressions « pose question » et « pose problème » m’ont toujours fait hurler, alors merci de souligner leur aberration. Tout l’article est d’ailleurs réjouissant.

  3. Le sigle R.I.P. signifie : requiescat in pace. Cette inscription latine, qui signifie «qu’il/elle repose en paix » ou « qu’ils/elles reposent en paix » (avec requiescant) est parfois inscrite sur les sépultures chrétiennes ou sur les faire-part de décès (requiescat, du verbe requiescere, « prendre du repos, se reposer », au subjonctif présent, et de in pace, en paix).

    En savoir plus sur : https://www.laculturegenerale.com/rip-signification-definition/ ©

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