Festival d’Avignon 2023 (Partie 1) : des bonheurs de scène

L’édition 2023 du Festival d’Avignon fut source de nombreuses joies artistiques. Retour sur quelques coups de cœur du off qui, espérons-le, seront bientôt partagés dans d’autres lieux par un plus large public encore. Le titre intriguait : “Pourquoi les vieux, qui n’ont rien à faire, traversent-ils au feu rouge ?” (1). Prix du Public au Festival Mimos de Périgueux 2021, ce spectacle de théâtre masqué (ci-dessus) aborde avec humour et tendresse la période du grand âge. Dans un univers burlesque et poétique à la Tati, où la gestuelle est reine, la parole utilisée avec parcimonie, bougonnée, noyée par des chansons radiophoniques ou répétée en boucle, nous suivons la vie de quelques résidents en EHPAD. Dans cet espace confiné où ils tournent en rond comme des poissons dans un bocal, chacun tente de faire avec la solitude et la déchéance physique. Les facéties et maladresses s’enchaînent. Les personnages sont attachants, remarquablement interprétés, le rythme enlevé, et le propos traité avec subtilité. Sous la comédie pointe la tragédie, et nous rions pour ne pas pleurer. Brillant !
À travers le récit de Wilhelm Uhde, le collectionneur et marchand d’art allemand qui l’a découverte et soutenue toute sa vie, “Ma Séraphine” de Patrice Trigano relate l’incroyable histoire de Séraphine de Senlis (1864-1942), femme de ménage et peintre autodidacte de talent. Dans un espace scénique délimité par un habile jeu de lumières, nous naviguons entre présent et passé, récit et scènes vécues dans l’atelier de Séraphine. Saluons la délicate mise en scène de Josiane Pinson et l’interprétation magistrale des deux comédiens. Laurent Charpentier incarne avec beaucoup de raffinement cet esthète homosexuel, opposant au régime nazi, convaincu que la folie n’empêche pas le génie. Marie-Bénédicte Roy campe une Séraphine aux multiples facettes, simplette, mystique, mégalo et schizophrène. Leur histoire à tous deux est bouleversante.

C’est dans un univers tout autre, loufoque à souhait, que nous convie “Le Syndrome de Stendhal”, en référence au trouble émotionnel ressenti par l’écrivain en 1817 face aux chefs-d’œuvre italiens et théorisé depuis, pour nous parler d’art contemporain. Dans une scénographie baignée de rose où le kitsch est roi (ci-contre), une succession de saynètes revisitent les discours sur l’art et la perception que nous en avons. Une comédie conceptuelle originale et débridée, jouée avec talent. Mention spéciale à Matthieu Welterlin pour son histoire du Louvre, superbe numéro qui nous rappelle de loin celui de Bob Dylan dans “Subterranean Homesick Blues”.

Avec “Le huitième ciel”, Jean-Philippe Daguerre nous offre, une fois encore, un spectacle réjouissant d’une grande sensibilité, en nous contant l’histoire d’une businesswoman à la réussite professionnelle éclatante qui, par les hasards d’une rencontre, se voit amenée à aider des migrants et à s’ouvrir aux autres. Bien rythmée, la pièce dose intelligemment comédie et émotion. Une belle leçon d’humanité portée par d’excellents comédiens avec, en tête, Florence Pernel. Le spectacle se jouera à Paris, au Théâtre Actuel – La Bruyère, à partir du 12 septembre.

Comédie d’un autre genre : “Barbe-Bleue”. C’est avec infiniment d’humour et de fantaisie que la metteuse en scène Frédérique Lazarini a adapté le roman d’Amélie Nothomb, qui elle-même revisitait Perrault. Des décors astucieux et rigolos, avec table monumentale, lit à roulettes, couleurs acidulées, dorures à profusion, robes de princesse… un clin d’œil à “Peau d’âne”, un autre à “La Belle et la Bête”, et nous voilà plongés dans l’univers enchanté du conte version 21e siècle. Léger et pétillant !

C’est à une tout autre esthétique, enneigée et poétique, que fait appel “La dernière allumette” (2), une histoire imaginaire, au croisement d’Hugo et d’Andersen, de Sarkis Tcheumlekdjian. Alors que la petite marchande tient sa dernière allumette, l’arrivée inopinée de Gavroche empêche l’inéluctable. Lui-même sera écarté des barricades. Beauté du récit, de la scénographie (ci-contre) et des costumes confèrent à ce spectacle une atmosphère magique.

Pour finir, mentionnons trois magnifiques spectacles musicaux. Ambiance cabaret expressionniste pour le Cirque des Mirages, 20 ans d’existence, et sa “Boîte de Pandore”, son dernier opus. Le singulier et talentueux duo piano-voix nous offre un florilège de chansons drôles, poétiques, insolentes et débridées. Réjouissant ! (Les dates de tournée sont à retrouver sur le site du Cirque des Mirages). Chant, guitares, cajón, percussions, contrebasse, piano et danse sont réunis pour porter au plus haut l’art d’un flamenco joyeux et festif avec “Flamenco vivo baro drom” de Luis de la Carrasca. D’une incroyable virtuosité ! Lise Martin et Valentin Vander ont eu la merveilleuse idée de porter à la scène la voix du poète Vladimir Vissotsky (1938-1980) et d’adapter ses chansons en français. Dans une belle atmosphère ouatée, une rangée de lampes épiscopes à l’avant-scène, accompagnés d’une guitare et d’un ukulélé, les deux artistes chantent la guerre, la mort et l’amour. Leurs voix, d’une grande douceur, s’entremêlent et se répondent harmonieusement. “Presque un cri” est bien plus qu’un hommage. D’une poignante beauté ! (Les dates de tournée sont à retrouver sur le site de Contrepied Productions).
La suite demain…

Isabelle Fauvel

(1) Dates de tournée  “Pourquoi les vieux, qui n’ont rien à faire, traversent-ils au feu rouge ?”
(2) Dates de tournée  “La dernière allumette”

Crédits photos dans l’ordre: Pourquoi les vieux… © Neal Mc Ennis Le syndrome de Stendhal © cie brut montage La Dernière Allumette © David Anémian
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