Festival d’Avignon 2023 (Partie 2) : quelques merveilleux seuls en scène

Pléthore dans le off, les seuls en scène, à la scénographie souvent dépouillée, nous offrent parfois de grands moments de virtuosité. Retour sur quelques coups de cœur.
Pierrette Dupoyet (ci-contre) est une valeur sûre du Festival d’Avignon où elle présente ses spectacles depuis 40 ans. Son hommage à Sarah Bernhardt (1844-1923) est là encore habilement construit, fort instructif et remarquablement interprété et, qui plus est, un cri d’amour à l’art théâtral. Par petites touches, le portrait de “La Divine” y est subtilement brossé. Comme à son habitude, la fougue et la nature comique de l’interprète font merveille. Brillant ! Autre “monstre sacré” : Jean-Claude Drouot, 84 ans, campant un Jaurès (1859-1914) à l’imposante carrure et à la barbe grisonnante. À partir de textes, discours et correspondances de l’homme politique, l’inoubliable interprète de Thierry La Fronde fait entendre, avec un savoir-faire remarquable, une parole humaniste qu’il est urgent de se remémorer. “La République est un acte de confiance” nous dit-il. L’acteur, en parfaite osmose avec son personnage, respire l’intelligence et la bonté. Plaidoyer contre la peine de mort, défense des plus faibles, lutte pour la paix, importance d’une instruction bien menée … sa parole est salutaire.
C’est dans un univers tout autre que nous convie Myriam Boyer, accompagnée de la présence masculine du comédien Philippe Vincent, avec “Juste un souvenir”. Sur un quai de gare, dans une atmosphère bleutée et brumeuse de petit matin, une femme un peu perdue se retourne sur son passé. Non sans nostalgie, elle nous parle de sa vie. Ses mots, extraits de textes de chansons, ont été ciselés par des poètes : Prévert, Vian, Carco… Chantés par d’autres autrefois (Fréhel, Cora Vaucaire, Germaine Montéro…), ils cheminent dans les tréfonds de notre mémoire et, mis bout à bout, forment ici un long monologue poétique où l’humour et l’esprit le disputent à la mélancolie. “La chose (Les Ratés de la bagatelle)”, “La Dame de Monte-Carlo”, “Est-ce ma faute à moi ?”… Myriam Boyer, avec sa belle voix éraillée, se montre bouleversante d’émotion.

Autre interprétation magistrale, celle de Christine Murilllo dans “Pauline & Carton”. La comédienne y campe de manière savoureuse Pauline Carton (1884-1974), actrice populaire connue pour ses rôles de concierge, femme de ménage et serveuse de bistrot, notamment chez Guitry. La nature comique de Murillo sied comme un gant à la personnalité succulente de Carton. Jubilatoire ! Le spectacle se jouera à La Scala Paris du 7 octobre au 17 décembre.

C’est à une performance périlleuse que s’est livré le comédien Xavier Marchand en interprétant à la scène “Le temps retrouvé”. Ces pages ultimes de La Recherche constituent la quintessence du grand-œuvre de Marcel Proust (1871-1922). L’auteur y expose ses considérations sur le temps et l’urgence de le fixer dans sa “cathédrale” littéraire, puisque c’est par l’art que le temps perdu est retrouvé, par l’écriture proustienne. Le spectacle débute au moment où, longtemps éloigné des salons mondains du fait de sa maladie, le Narrateur se rend à une matinée chez la Princesse de Guermantes et s’étonne de voir vieillis ceux qu’il a si souvent côtoyés, au point de ne pas les reconnaître, prenant ainsi conscience du temps passé. Marchand, méconnaissable sous une apparence de dandy apprêté, est excellent, campant un Narrateur habité et profond. Son élocution impeccable se coule à merveille dans la phrase proustienne qu’il manie avec aisance, en restituant toute la finesse. Petit bémol concernant l’utilisation de vidéos avec des personnages filmés, le Narrateur se suffisant à lui-même. Et saluons l’utilisation fort judicieuse du maquillage dans son rapport au temps. Une interprétation virtuose à ne pas rater !

C’est à un fascinant exercice d’introspection que nous invite William Mesguich avec l’adaptation scénique du récit autobiographique de Sylvain Tesson “Dans les forêts de Sibérie”(1). Le comédien qui nous avait habitués à un jeu plus démesuré, fait preuve ici d’une grande sobriété et c’est avec conviction que nous partageons la vie d’ermite du personnage, dans une cabane au bord du lac Baïkal, par moins 30 °C. Le héros y expérimente une existence de lenteur et de simplicité, en lien avec la nature, entouré de ses livres, laissant libre cours à ses pensées. Saluons la performance tout en profondeur et sensibilité de William Mesguich ainsi que la beauté du décor.

À 26 ans, Benjamin Voisin, étoile montante du cinéma français qui a notamment tenu l’affiche dans “Eté 85” de François Ozon et “Illusions perdues” de Xavier Giannoli, nous offre un moment de bravoure artistique en interprétant un texte inédit de Céline (1894-1961), “Guerre”. Faisant montre d’une palette de jeu impressionnante, le jeune homme nous livre l’expérience traumatisante d’un soldat pendant la guerre de 14-18. Attention chef-d’œuvre ! Le spectacle se jouera à Paris, au Théâtre du Petit Saint-Martin, du 12 septembre au 21 octobre.

Nous ne saurions terminer ce tour de table sans mentionner l’émouvant “Jean Zay, l’homme complet”(2) d’après le journal de captivité de Jean Zay (1904-1944). Xavier Béja y incarne avec talent cette figure emblématique du Font Populaire dont les actions et la vision humaniste résonnent aujourd’hui, là encore, de manière salutaire.

Isabelle Fauvel

(1) Dates de tournée “Dans les forêts de Sibérie”
(2) Dates de tournée “Jean Zay, l’homme complet”

Crédits photos dans l’ordre: « Sarah Bernhardt » (dr) « Le temps retrouvé » © Eric Reignier « Guerre » © Clément Puig

 

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Une réponse à Festival d’Avignon 2023 (Partie 2) : quelques merveilleux seuls en scène

  1. Pannier dit :

    Merci beaucoup de votre sélection. Cdlt

Les commentaires sont fermés.