Cœur de lion

Ce n’était sûrement pas tous les jours que l’on devait occire des lions aux abattoirs parisiens de la Villette (19e arrondissement) et pourtant ce sont bien ces fauves qui ornent la vaste fontaine de l’entrée. Peut-être avaient-ils été sculptés pour induire en erreur les moutons et les vaches qui venaient ici en troupeaux et enfin leur laisser croire que l’abattoir ne concernait ni les ovins ni les bovidés afin d’atténuer leur inquiétude. Tandis qu’aux ex-abattoirs de Vaugirard (15e arrondissement) on trouve de multiples œuvres sculptées y compris celle de Georges Brassens qui a donné son nom au parc, mais pas de lion. En revanche là où coulait autrefois le sang est installé un marché aux livres d’occasion et sur l’étal d’un des bouquinistes cette année, se trouvait un livre fort original intitulé « Paris est une ville pleine de lions ». Original parce que l’auteur Geneviève Dormann, ne s’était intéressée dans cet ouvrage paru  en 1991 chez Albin Michel, qu’à tous ces lions sculptés, innombrables, que l’on trouve un peu partout dans la capitale. Incomplète mais écrite avec humour, cette recension nous donnait un aperçu inattendu du sujet.

Tout ça parce que l’entrée de l’immeuble où elle habitait boulevard Saint-Germain, était gardée par deux lions. Ce qui ne pouvait qu’impressionner la petite fille déjà sensible qu’elle était au mitan des années trente. Surtout quand son père député n’était pas là pour la protéger. Comme l’Assemblée nationale était à deux pas et parce que le lieu s’appelle aussi la Chambre des députés, la petite fille en avait fait une synthèse en la rebaptisant « la chambre de Papa ».

Pour cette singulière pérégrination dans Paris, Geneviève Dormann s’était fait accompagner de la photographe Sophie Bassouls, longtemps connue pour ses portraits d’écrivains. Le seul lion qu’elle n’a pas aimé cadrer fut celui de la place Denfert-Rochereau pour des raisons pas forcément limpides. Pas de problème en revanche pour le bestiau du pont Alexandre III qui ravissait derechef la petite fille puisque le sculpteur Jules Dalou n’avait pas omis en 1898, de détailler avec un grand soin du détail, l’appareil reproducteur de la bête. Ce qui fait que la nounou de l’auteur, qui devait venir de Germanie ou de contrée équivalente, lui disait: « C’est pas choli Chenefièfe! »

La Geneviève en question qui devait publier plus tard nombre de romans à succès et une biographie gastronomique de Guillaume Apollinaire, terrassait par ce livre et pour l’occasion la question des lions parisiens. En soulignant entre autres choses qu’il n’y avait plus de lions en Europe depuis deux mille ans sauf ceux ramenés d’Afrique pour subir l’amertume de la captivité ou en tant que burger servi tout chaud et vivant dans les arènes, comme celles de Lutèce sans doute.

À Paris la rue des Lions-Saint-Paul (3e arrondissement) rappelle que les rois de France disposaient d’une ménagerie depuis Charles VI et que Henri IV ne détestait pas lâcher les fauves de temps à autre dans les forêts environnant Paris afin de pimenter les plaisirs de la chasse. Mais l’auteur aime surtout repérer ces lions de pierre que l’on voit sur la façade des immeubles, aux carrefours et aux fontaines. « Paris est une ville pleine de lions » justifie bien son titre. Et il y en a partout, de la place Saint-Sulpice jusqu’aux culasses des vieux canons exposés aux Invalides.

Étonnant de constater combien le symbole de cet animal fascine y compris dans l’industrie (l’emblème de Peugeot) la publicité (Publicis) ou la banque (Le Crédit Lyonnais) et même un certain cœur de camembert. Tout cela incite à réfléchir et de réflexion en réflexion on en vient à avoir envie de voir un lion pour de vrai. L’adoption récente du code animal devrait aboutir d’ici à 2028 à ce que l’on n’en trouve plus dans les cirques et encore moins dans les cages où les fauves, le mufle presque écrasé sur la grille de leur prison, rêvent à des histoires de savane et de gazelles ramenées de la chasse par les lionnes. Il paraît que les chasses truquées avec des lions d’élevages en Afrique du Sud vont elles aussi se raréfier. En existe-t-il encore de vrais spécimens sauvages? Pas sûr. À constater le nombre de documentaires animaliers sur le thème, le lion de brousse actuel doit en effet composer avec le caméraman et le metteur en scène, lesquels sont susceptibles de demander à l’animal de refaire la prise quand l’effroi du gibier n’estt pas bien net sur l’écran de contrôle.

Les pauvres ne sont pas éternels c’est à craindre, sauf justement et par exemple, le lion du monument à Cuvier à l’angle de la rue du même nom où le noble animal, roi du genre, côtoie une femme figurant l’histoire naturelle en « grand décolleté ». De nos jours on dit crop-top ou topless, c’est ainsi que le temps file.

PHB

Photos: ©PHB
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Une réponse à Cœur de lion

  1. Ibanès Jacques dit :

    Dans ma ville de Narbonne, les lions sont légion sur les façades des maisons, alors que seule la présence d’un tigre avait été répertoriée pour les temps préhistoriques. Du coup, je suis parti un jour à la chasse dans le but de les dénombrer afin d’enrichir le petit livre que j’écrivais alors (« Le Promeneur narbonnais »). Cela n’a pas manqué d’intriguer une dame qui m’observait depuis un bon moment et qui finit par m’aborder (ce qui ne m’arrive pas tous les jours !). Selon elle, la présence des fauves sur les façades des maisons serait la signature des riches (« des nobles » m’a-t-elle dit plus précisément) familles juives et figurerait le lion de Juda.
    Quant à Geneviève Dormann, elle m’avait raconté qu’elle vivait dans le même immeuble que celui qu’habita Apollinaire. Là encore, j’ai pris pour argent comptant ce qui m’a été dit sans plus vérifier…

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