Phaléristique

Pour une fois, la police et les organisateurs s’accordaient sur le même effectif : deux millions de participants avaient déambulé de la République à la Nation, pour cette marche citoyenne. Ce 11 janvier 2015, à l’exception de quelques asociaux chroniques et des irréductibles opposants à l’idée même de consensus, tout le monde était Charlie.
Marchant en tête du cortège, le Président Hollande se sentait investi Grand Consolateur. L’État devrait répondre à l’intense émotion populaire par «un geste très fort». D’abord État gendarme, puis État providence, Il se ferait compassionnel ! Tiens, les enfants des victimes décédées pourraient prétendre au statut de Pupille de la Nation. Mieux, ces dernières recevraient la plus haute distinction disponible : la Légion d’Honneur. Ainsi fut fait. La promotion du 1er janvier 2016 comporta une rubrique spéciale dédiée aux «personnes impliquées dans les attentats de janvier 2015». Étaient nommés chevaliers six des journalistes tués, le 7 janvier, lors de la conférence de rédaction de Charlie Hebdo (Wolinski et Bernard Maris étaient déjà antérieurement décorés pour d’autres motifs). S’ajoutaient un agent de maintenance et un visiteur du journal, pris dans la nasse.

Figuraient sur la même liste les quatre clients du super marché cacher de Vincennes, assassinés, eux, le 9 janvier.  Plus trois agents de police morts, à ces moments là, dans l’exercice de leur fonction. Pour faire bonne mesure, outre ces distinctions posthumes, cinq concernaient des survivants : trois gaillards ayant mis hors d’état de nuire l’assaillant du Thalys Amsterdam-Paris, le 21 août et deux rescapés de l’assaut fatal mené contre l’imprimerie de Dammartin-en-Goële, dernier refuge des terroristes, le 9 janvier.
Ces décisions présidentielles parurent judicieuses, mais les limites de l’exercice ne tardèrent pas à apparaître. Certes, les policiers répondaient au critère classique d’attribution de la décoration, «mérites éminents acquis au service de la Nation». Ayant affronté un individu lourdement armé, les voyageurs du train pouvaient également prétendre. En tordant un peu le concept, les journalistes frappés la plume à la main s’incarnaient combattants de la liberté d’expression. Ce, même si, de leur vivant, l’expression de leur liberté était loin de satisfaire l’opinion publique. Mais quid des autres tombés par la faute à pas de chance, et des deux otages n’ayant eu, comme préjudice, que la trouille de leur vie ?

Il convenait également de prendre en considération certains aspects comptables. Car l’actualité n’allait pas s’arrêter là. Le 13 novembre 2015, une série de fusillades et d’attaques suicides menée à Paris causait 130 morts et 413 blessés. La logique des meurtriers de masse est d’en occire un maximum, y compris parfois eux-mêmes. Mais si l’indice mortifère des terroristes apparaissait en constante augmentation, le contingent annuel de rubans rouges à distribuer reste, par nature, très limité. Le maintien de la logique décorationnelle préconisée par François Hollande n’était pas tenable. Sauf à trier. Mais alors se créait une inégalité devant le malheur. Pourquoi davantage distinguer les tués que les blessés ? Devait on appliquer pour ceux-ci une IPP plancher, comme cela se pratique en matière d’accidents médicamenteux ? Si oui, à quel taux ? Comment intégrer la blessure psychique d’un sujet apparemment indemne ? Fallait-il prévoir une commission d’experts ? Sans oublier que toute Légion d’Honneur décernée pour conséquence de terrorisme serait autant de moins à l’intention des bénéficiaires statutaires. D’où un possible mécontentement des élites, privées de leur récompense favorite.

Alors quelqu’un eut l’éclair de génie : créons une nouvelle médaille ! destinée aux tués, blessés ou séquestrés, nationaux comme étrangers, lors d’actes terroristes commis contre la France, en quelque pays que ce soit… de façon rétroactive, à partir du 1er janvier 1974… On n’allait pas barguigner… Le décret du 12 juillet 2016 annonça la bonne nouvelle. Il était juste temps, deux jours plus tard, à Nice, un camion bélier remontait la promenade des Anglais, ajoutant au lugubre bilan 86 morts et 458 blessés.

La médaille nationale de reconnaissance des victimes du terrorisme ne manque pas de charme : une sorte de fleur à cinq pétales, un rond central représentant la statue de la place de la République, le tout appendu par une couronne d’olivier à un ruban blanc. Blanc comme un pansement sur la plaie, blanc comme le drapeau du même nom, blanc comme la toge des martyrs. Le 8 mars dernier, une huitième attribution portait à 922 le nombre des récipiendaires.

Le mélange des genres est ainsi évité. D’un côté, la récompense, de l’autre l’hommage. Aux uns la Légion d’Honneur comme couronnement de 20 années de carrière méritoire, aux autres la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme pour saluer tous ceux qui étaient, par hasard, au mauvais endroit au bon moment.

Jean-Paul Demarez

 

Ndla: La phaléristique est une science ayant pour objet l’étude des ordres, décorations et médailles
Crédits images: (1) PHB (2) Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur
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2 réponses à Phaléristique

  1. Marie J dit :

    Quelle étrange idée que cette médaille au design tout en innocence….

  2. Philippe PERSON dit :

    Ce qui est encore plus curieux, c’est que c’est une médaille que personne ne cherchera à avoir ou à convoiter…
    D’ordinaire, les médailles se portent principalement vivants pour un fait positif, un mérite quelconque…
    J’imagine qu’il y aura des collectionneurs. Ils devront l’acheter à des survivants ou à des héritiers de morts. C’est morbide.
    Ne pouvait-on pas imaginer une autre manière de distinguer les victimes du terrorisme ?

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