Au hasard

Le Larousse définit ainsi le mot «sérendipité»: capacité de faire une découverte, scientifique notamment, par hasard. D’origine anglo-saxonne, le néologisme apparaît pour la première fois dans une lettre adressée par Horace Walpole, le 28 janvier 1754, à son ami Horace Mann. Celui-ci lui avait envoyé le portrait d’une vénitienne, Bianca Cappello, pour sa collection de peintures. Dès réception, Walpole s’était précipité sur un traité de héraldisme, pour constater la présence d’une fleur de lys dans le blason de cette famille: la marque du mariage de Bianca avec François 1er de Médicis. Il rendit compte de sa trouvaille à son correspondant, comme étant «presque de l’espèce de ce que j’appelle serendipity», en référence à une histoire lue dans son enfance, intitulée «Les trois princes de Serendip». Tout part donc d’un conte d’origine persane, narrant les aventures de trois frères venus de Serendip ( pays aujourd’hui nommé Sri Lanka). La plus connue a trait à un chameau que l’on recherche. Interrogés par le sultan, ils décrivent parfaitement un animal qu’ils n’ont jamais vu, mais dont ils ont suivi le cheminement. De menus détails remarqués leur permettent de préciser qu’il boite, est borgne, avec une dent manquante, le bât chargé de miel d’un côté, et de beurre de l’autre. Tant et si bien qu’ils sont accusés d’avoir volé la monture, et près d’être exécutés pour ce forfait. Lorsqu’un voyageur ramène ce chameau qui s’était égaré.

Bien plus tard, le même schéma narratif s’installera dans la littérature policière. Ainsi Sherlock Holmes, au simple examen d’une pipe oubliée en décrit le propriétaire au bon docteur Watson: «un gaucher, solidement bâti, avec une excellente dentition, mais peu soigné, et ne se trouvant pas contraint d’être économe». Car, à la différence de son commensal, Holmes possède l’art d’interpréter des signes pourtant visibles de tous. Son imaginaire mouline, de façon inconsciente, les informations qu’il recueille, pour in fine produire des explications cohérentes. Sans avoir besoin d’un long tâtonnement de la pensée. Sur cette trame, reproduite à chaque épisode, Conan Doyle construira une œuvre complète. Ce type de raisonnement s’apparente à la méthode dite du «faisceau d’indices» des juristes, ensemble qui, par ses convergences, permet de concrétiser un fait. Mais il ne décrit pas exactement le sens contemporain de la sérendipité.

Dans l’histoire des sciences, domaine où il fleurit particulièrement, le hasard fait souvent bien les choses. C’est Henri Becquerel découvrant la radioactivité naturelle grâce à un aléa climatique, Wilhelm Röntgen repérant les rayons X suite à un défaut de son appareillage, Alexander Fleming identifiant la pénicilline à partir d’une culture microbienne souillée. D’ordinaire, les préparations souillées, on les jette. Fleming, lui, en tirera le prix Nobel de médecine 1945. Bien sûr, en remodelant sa géniale intuition dans le format préétabli de la démonstration pharmacologique. Et la liste peut s’allonger, dans bien des domaines ou le hasard a présidé, du Velcro de Georges de Mestral au Post’it de Spencer Silver.

Si Claude Bernard avait remarqué: «les idées expérimentales naissent très souvent par hasard et à l’occasion d’une observation fortuite», Louis Pasteur ajoutait: «le hasard ne favorise que les esprits préparés», ce petit quelque chose en plus qui va tout changer. Souhaitant prendre place dans le vaste marché de la cardiologie, le laboratoire Pfizer met en développement le sildenafil, une molécule identifiée comme vasodilatatrice. Les résultats sont médiocres. Mais des volontaires ayant participé aux essais cliniques viennent redemander du produit pour leur usage personnel. Interrogés sur le motif de cette démarche, ils avouent avoir trouvé par sa consommation un intérêt certain pour leur vie sexuelle. Un nouveau développement commence, non plus comme anti-angineux, mais dans le traitement des dysfonctionnements érectiles. Jackpot, car cette classe thérapeutique est déserte, abandonnée à des remèdes improbables: corne de rhinocéros, testicules de tigre, mouches cantharides, et autres placebos discutables, ou à de très désagréables injections intra-caverneuses au moment du passage à l’acte. En 1998, le Viagra vient de naître, une clientèle mondiale l’attend. Et pour la firme, des bénéfices sans commune mesure avec ce qu’elle aurait pu espérer au départ.

La sérendipité: c’est aussi savoir discerner que sa découverte accidentelle est plus intéressante que ce que l’on cherchait initialement. Ce qui pourrait advenir, par exemple, lorsqu’un égyptologue, sur la trace de la momie d’une princesse de la IVème dynastie, croise, au bar de son hôtel, une jeune femme qui n’est même pas archéologue.

 

Jean-Paul Demarez

 

Lire à ce propos: Sylvie Catellin « Sérendipité: du conte au concept » Seuil 2014

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Anecdotique. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Au hasard

  1. Ibanès Jacques dit :

    Merci pour ces intéressants rapprochements et l’humour du clin d’œil final ! On entend souvent dire :  » il n’y a pas de hasard ». Pour ma part, je pense que « le hasard nous ressemble », ce qui rejoint d’une certaine façon la jolie formule de Pasteur que vous citez.

  2. Dans le genre : au lieu d’un libraire, se trouver en face d’un simple taulier.
    Mon fils s’étant entiché de Sherlok Holmes, il me tanait pour que je l’emmène au Bleuet, la célèbre librairie banonaise encore à ses débuts, je dois le préciser.
    Là, pour ne pas perdre trop de temps à chercher dans ce véritable labyrinthe, nous annonçons que nous cherchons Sherlock Holmes. Et quelle ne fut pas la réponse du libraire :  » Pardon, c’est du policier ?  »
    Je sais bien, personne n’est parfait !…

Les commentaires sont fermés.