La toile de Pénélope

Le cas est improbable mais mieux vaut être paré. Si quelqu’un à table trouve une double amande dans un sachet distribué lors d’un repas de fête, il la donne à son voisin ou à sa voisine de table. Dans un second temps l’auteur de la trouvaille devra convenir avec la personne qu’il a désignée, d’un jour et d’une heure ultérieurs. Et ce jour-là, à l’heure dite, le premier qui dira « Bonjour Philippe » ou « Bonjour Philippine » aura gagné l’enjeu (secret) défini préalablement. Les « Philippines », constituent à l’heure actuelle un divertissement totalement oublié. En 1937 cela faisait partie des choses à savoir au point que le Mémento Larousse en mentionnait l’affaire après les règles stipulant la bonne façon de porter un toast et le le moyen le plus convenable de tirer les rois. Ainsi était conçu en un seul volume le Mémento Larousse, comme une « encyclopédie de la vie pratique ». On y apprenait autant le moyen de se débarrasser des punaises de lit (d’actualité) que le respect de la langue française (en cours de déclassement).

La lecture en est singulièrement instructive dans la mesure où l’on constate soit le progrès soit la régression. Le Mémento donnait par exemple quelques notions de droit expliquant entre autres choses que les « incapables » (d’accomplir les tâches de la vie administrative), étaient dans l’ordre l’épouse, le mineur, le fou et le prodigue (celui qui ne peut s’empêcher de dépenser). On s’accordera à penser que la situation a évolué  en faveur des femmes du moins dans ce qu’il est convenu d’appeler les démocraties occidentales.

Bien plus distrayante est la partie consacrée aux proverbes utiles à chaque moment de la journée et de la semaine, sauf que là encore on s’aperçoit que l’usage du proverbe s’est asphyxié sur l’autel des nouvelles vertus et des néo-doxas. Sisyphe et son rocher s’inscrivant mal dans un contexte domestique, on préférait alors dire à sa concierge débordée par le courrier à monter et les escaliers à faire, « C’est la toile de Pénélope », soit un recommencement perpétuel de la tâche. Il en est qui nécessitent le dictionnaire tel celui prétendant que « La caque sent toujours le hareng« . La caque étant la barrique où l’on entassait le poisson tandis que la formule signifiait que l’on ne se débarrassait pas facilement des mauvaises impressions de jeunesse. C’est sur cette vérité par ailleurs que la psychanalyse prospère. Néanmoins il en est des toujours utiles de nos jours comme « Remettre le clocher au centre du village » ou bien « Les tonneaux vides font le plus de bruit ». Dans ce dernier cas cela voulait dire que les sots et les ignorants sont ceux que l’on entend le plus.

Bien plus agréable à lire était la page des symboles comme le caducée (dieu du commerce), la femme debout sur une roue (la fortune) ou encore la harpe, emblème de la poésie sacrée. Mais le mieux c’était encore le langage des fleurs avec environ deux cents références. L’acanthe était pour les arts, l’azalée pour la joie d’aimer, le muguet pour la coquetterie discrète, le mûrier pour la prudence, la myrte pour la force du cœur, la myrtille pour la trahison ou encore l’orchidée pour la ferveur. Sachant qu’un peu de safran signifiait « n’abusez pas ».

Le Mémento Larousse avec ses 900 gravures, était donc un ouvrage bien pratique pour l’existence quotidienne, une vraie réserve d’instructions permettant de parer à bien des soucis de la naissance à la mort. La vie pouvait se conjuguer au plus-que-parfait, soit un temps exprimant « une chose passée relativement à une autre également passée ». Pour pallier ces définitions un peu abstraites les rédacteurs y accolaient un exemple soit dans ce dernier cas: « J’avais fini mon devoir quand vous vîntes ». Bel exemple de langage courant, n’est-il pas.

Le comité de rédaction de ce vade-mecum s’était entendu sur certaines choses indispensables à la culture générale d’une personne de bien comme le fait de savoir que Nabopolassar était un satrape du roi d’Assyrie s’étant allié aux Scythes et au roi de Mèdes, Cyaxarès. Il s’était emparé de Ninive et fonda le second empire babylonien. C’est avec ce genre de bagage que l’on gagnait encore au jeu des mille francs dans les années dites glorieuses.

Pour en finir avec les proverbes il y en avait tout de même d’obscurs dont un à tester face au premier venu selon lequel « Ce qui vient par la flûte s’en retourne au tambour ». Ce qui voulait dire que bien mal acquis ne profite jamais. L’avantage de la première version de nos jours, est que l’on peut l’articuler à voix haute face à ceux qui chapardent (petit voleur ou administration fiscale) sans qu’ils n’en prennent ombrage. Ce guide pratique millésimé 1937 peut encore faire de l’usage.

PHB

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6 réponses à La toile de Pénélope

  1. « Remettre le cocher au centre du village » ???
    Le clocher, oui, plutôt ! À moins que mon tonneau soit vide…

  2. Parisianne dit :

    Bonjour,
    Merci de cet article qui fait ressurgir la « Philippine » de mon enfance et me donne une folle envie d’aller inspecter le grenier pour voir si ce mémento ne serait pas au milieu des n tomes de l’encyclopédie Larousse, reliée de ce cuir vert, qui était dans le bureau de mon grand-père, à l’aide de laquelle j’ai préparé de nombreux devoirs pour l’école !
    Anne

  3. Ibanès Jacques dit :

    Avec votre « Bonjour Philippine », voilà que vous avez ravivé un souvenir qui date de mes 17 ans. Il avait été convenu avec une ravissante Micheline que lors de notre prochaine rencontre celle ou celui de nous deux qui prononcerait la formule magique verrait son souhait réalisé. Le mien était d’ordre érotique, bien sûr, mais je ne revis jamais la belle. Comme cela se déroulait au cours des trente dites « glorieuses », il y a peu de chance qu’elle s’en souvienne…

  4. Françoise Masson dit :

    Merci Philippe
    Je retrouve avec grand plaisir vos posts ou chroniques : j’avais déserté les colonnes des soirées de Paris depuis plusieurs années !
    Ah que j’aimerais consulter ce mémento de 1937 ! Avez-vous une piste pour rendre possible cette consultation ?
    Merci

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