Teutatès en salle de réunion

Les bas-reliefs c’est un peu comme pour les photos, on les comprend mieux avec une légende. Celui-là date du 2e siècle après Jésus-Christ, il a été découvert vers la fin du 19e siècle encastré dans une maison rémoise. Et au milieu des trois effigies figure Teutatès, ancien dieu de la guerre, protecteur, à l’époque gallo-romaine et donc un peu d’actualité par effet de translation. Le commanditaire du bas-relief eut la sagesse de ne pas miser uniquement sur un dieu celte puisqu’il avait fait encadrer Teutatès (plus connu sous le nom de Toutatis) par le dieu Esus à gauche, grimé en Mercure et coiffé d’un pétase (chapeau). À droite le visage féminin symbolisait peut-être la déesse Rigani dont l’attribution et les fonctions ne sont pas absolument limpides, ce qui est un euphémisme, relativement à une époque où l’affabulation avait au moins autant de valeur que la vérité. Le tout figure en bonne place au sein de l’abbaye Saint-Remi de Reims, devenue un délectable musée. Un assortiment de représentations divines comble la salle capitulaire, laquelle servait de lieu de réunion aux religieux. Cet espace magnifique bordant en partie le cloître extérieur témoigne des origines moyenâgeuses de l’abbaye vers le 12 siècle.

Et il est vrai que lorsque l’on a la guerre en tête (et comment pourrait-on y échapper en ce moment), le musée Saint-Remi, évoque beaucoup le thème en question à travers ses collections. C’est l’histoire qui veut ça. La section gallo-romaine rappelle tout de même une invasion majeure qui fit que coule en nous beaucoup de sang gallo-romain et que par ailleurs, le nom de Teutatès n’est plus vraiment employé comme juron dans les embouteillages, surtout quand il faut se faire comprendre d’autrui.

Chaque époque a ses armements et derrière chaque vitrine, selon les périodes, on passe de la hache au mousqueton en passant par les glorieuses épées des chevaliers. Il y a toujours un moment où l’on va chercher le sabre ou le fusil au grenier pour défendre sa patrie ou plus directement sa famille. Parfois c’était le roi qu’il fallait protéger comme en atteste ici une inscription sur un mousquet à mèche du 17e siècle qui menaçait ainsi: « Pour maintenir la foy suiz belle et fidel, aux ennemiz du roy, suiz rebelle et cruel. » On le sait suffisamment, la paix n’est qu’une pause entre deux guerres et il faut se féliciter qu’en France, la pause s’éternise encore, tandis qu’un à un des foyers belliqueux forment au loin un arc inquiétant.

La grosse différence avec le temps de Teutatès est que nous ne pratiquons plus le conflit avec en tête l’image des divinités formant gouvernement. C’est dommage car il en était de plus subtils que d’autres et il se trouve que justement, dans la salle capitulaire, on peut admirer le visage de Minerve. Tant qu’à se battre autant le faire pour quelqu’un de bien et celle-là, féminine donc, avait pour attributs celui de la pensée élevée, de la sagesse et de la stratégie élaborée. Elle était le moyen de faire comprendre qu’il n’était pas interdit de réfléchir et l’on connaît moult auteurs ayant réfléchi à la guerre, d’une part au moyen de l’éviter et d’autre part à la façon de la gagner. Même dans la vie domestique, certains préceptes du genre peuvent s’avérer extrêmement utiles.

Nietzsche (1844-1900) pensait dans « Le gai savoir » que naissait au démarrage d’un conflit une « volupté secrète » chez les belligérants « les plus nobles d’un peuple » et qu’ils éprouveraient même une sorte de « ravissement » en se précipitant vers le danger, les abstrayant au passage des servitudes du quotidien. Il est permis d’en douter en regard de ce qui défile actuellement sur nos écrans de télévision. Et l’on préférera Karl von Clausewitz (1780-1831) dans son fameux texte qui considérait plus prosaïquement tout conflit armé comme « une simple continuation de la politique », la guerre n’étant plus alors qu’un « moyen ». Minerve (ci-contre) aurait approuvé.

La visite du musée Saint-Remi peut aboutir à ce genre de réflexion. Cependant la bonne ville de Durocortorum  (le nom latin de Reims) rappelle heureusement aux oublieux que l’on se trouve aussi au milieu des vignobles champenois. Et que le champagne est fait pour égayer la vie et non pour la ternir. Le guerrier qu’était Churchill en buvait sans arrêt soit pour se récompenser en cas de victoire soit pour se consoler en cas de défaite. Une citation en ce sens est d’ailleurs restée. Buvons donc à la santé de Minerve et de Teutatès en les priant au passage de veiller sur nos cépages. Sans quoi nous sortirions les mousquetons.

PHB

Musée Saint-Remi 53 Rue Simon, 51100 Reims (2,2 kilomètres de la gare)

Photos: ©PHB
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Une réponse à Teutatès en salle de réunion

  1. jmc dit :

    A la santé des vignobles et de la littérature, cher Philippe !

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