Broadway à Paris

Le musical “Black Legends” arrive au 13e Art ! Sous ses airs on ne peut plus américains, cette comédie musicale qui raconte un siècle de culture afro-américaine à travers des reprises de chansons culte et de grands standards musicaux, et a fait un tabac la saison dernière à Bobino, est, en réalité, une production française. Écrite et mise en scène par un Toulousain, Valéry Rodriguez, elle réunit une vingtaine d’artistes d’origine principalement martiniquaise, guadeloupéenne ou africaine, et comprend un seul Américain, arrivé en France dans les années 80. Mais si Valéry Rodriguez a étudié au Conservatoire de Toulouse, c’est au London Studio Center qu’il a poursuivi sa formation et appris la comédie musicale. Les shows anglo-saxons n’ont ainsi aucun secret pour ce comédien-chanteur fasciné par la culture afro-américaine et caribéenne. “Black Legends” en est la magistrale démonstration.

Curieuse sensation que de se rendre dans un centre commercial pour voir un spectacle. Disons que le charme n’est pas forcément au rendez-vous. L’esplanade d’Italie 2, en travaux de surcroît, comme le reste de Paris, n’a pas l’attrait de Times Square et le 13ème Art n’a rien du Palace Theatre ou tout autre théâtre mythique de Broadway. Mais une fois les formalités d’entrée effectuées et confortablement installés dans cette ancienne salle de cinéma, peu importe le décorum, nous direz-vous. Place au spectacle ! Un spectacle qui, dès le premier tableau, nous transporte dans un autre espace, à une autre époque : 1685, et le tristement célèbre Code noir. Retour aux origines de l’esclavage en Amérique du Nord et petite parenthèse historique : aussi incroyable que cela puisse paraître aujourd’hui, ce code définissait l’esclave en tant que “meuble”, c’est-à-dire une chose susceptible d’être acquise par un maître au même titre qu’un bien. Promulgué tout d’abord aux Antilles par Louis XIV en 1685, il fut introduit en Louisiane en 1724. Fin de la parenthèse.

Alors que des silhouettes voûtées et enchaînées défilent devant nous, travaillant sous la surveillance d’un gardien dans ce que l’on imagine être une plantation de coton, l’une d’elles se détache, tombe, puis se relève pour devenir, quelques instants plus tard, un danseur du Cotton Club, ce célèbre club de jazz des années 20 du quartier de Harlem, à New York. Changement radical de décor avec l’apparition d’une monumentale pyramide d’échafaudages métalliques, clin d’œil on s’en doute à “West Side Story”, un orchestre live avec batterie, piano, guitare, basse, trompette et saxo, et d’éblouissantes lumières colorées.

Ainsi, en un peu moins de deux heures, vont se succéder à un rythme effréné une trentaine de tableaux pour nous conter en musique l’histoire de la culture afro-américaine sur près d’un siècle: du Cotton Club donc, à l’élection d’Obama, en passant par l’avant-guerre et la lutte pour les droits civiques. Jazz, gospel, soul, funk, disco, R&B, hip-hop…toute la musique noire américaine y passe, dans une débauche d’énergie, de costumes et de lumières ! De Cab Calloway (“Minnie The Moocher”) à Beyoncé (“Crazy In Love” ; “Run The World”), en passant par Ray Charles, James Brown, Tina Turner, Aretha Franklin ou encore Stevie Wonder, les morceaux s’enchaînent à toute allure dans un véritable tourbillon ! Le show, époustouflant, mêle avec maestria musique et Histoire, artistes survoltés et grands moments d’émotion. L’évocation du Ku Klux Klan nous glace les sangs et le “Strange Fruit” de Billie Holiday, cette chanson de 1939 dénonçant les lynchages des Noirs dans les états racistes du Sud, n’en est que plus terrible… Au fil des tableaux, nous suivons la violente injustice de la ségrégation, la lutte pour les droits civiques, l’“affirmative action” et un espoir fou enfin réalisé avec l’élection à la Présidence des États-Unis de Barack Obama en 2008. Le rappel des grandes figures politiques telles que Martin Luther King, Malcolm X, Rosa Parks ou encore Bobby Kennedy ponctuent avec émotion le spectacle, et la voix de Martin Luther King, projetée en off, énonçant son “I have a dream” (1963) nous fait monter les larmes aux yeux.

Ce show est une merveille ! Visuelle et musicale puisqu’à chaque époque correspond un style musical et vestimentaire. Saluons à cet effet les merveilleux costumes de Sami Bedioui et Sabrina Gomis-Vallée, ainsi que les somptueuses lumières de Christophe Mazet. L’émerveillement est total et le spectateur ne sait où donner de la tête tant les chorégraphies sont dynamiques et le plateau, en effervescence. Les vingt danseurs, chanteurs et musiciens, qui semblent cent, déploient sur scène une énergie joyeuse et communicative sans pareille. Dire qu’ils sont tous bourrés de talent est en deçà de la réalité. Le public, conquis, n’hésite pas à se lever et à battre la cadence. Avec “Black Legends”, Paris prend indubitablement des airs de Broadway.

Isabelle Fauvel

“Black Legends” jusqu’au 28 janvier 2024 au 13ème Art, Centre commercial Italie 2 Place d’Italie 75013 Paris

Photos: © Nicolas Friess – Agence Hans Lucas

 

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