Keith Haring vibrations

Sa façon de s’occuper de ses parents, ses actions en faveur des enfants, sa capacité à donner des œuvres à côté de celles qui se vendent plusieurs millions de dollars, font de Keith Haring un personnage très attachant.  Sa carrière météorique a laissé dans son sillage beaucoup de poussières cosmiques. Inhalées au hasard d’un documentaire qui doit être diffusé bientôt sur Arte, elles font l’effet d’une drogue procurant l’impérieuse envie de brûler la chandelle par les deux bouts ainsi que le déclarait l’artiste. Il faut bien dire que Keith Haring avait de bonnes raisons de mettre les bouchées doubles. Il n’a même pas eu le temps de fêter ses trente-deux ans, victime du Sida en 1990. Sa voix portée dans le documentaire dit qu’il guettait chaque matin la tache fatale trahissant l’apparition du sarcome de Kaposi, le signe avant-coureur d’une maladie qui devait notamment ravager la communauté gay. Et le jour où il la vit, il décida d’appuyer sur l’accélérateur et de produire, produire et encore produire, soit pas loin de 10.000 œuvres et encore parle-t-on ici des répertoriées. Le dernier dessin qu’il fit est poignant de fragilité. Une fois son dernier souffle rendu, le film de Ben Anthony (2020) ne le précisant pas, ses cendres seront en partie répandues par Yoko Ono, devant l’hôtel Ritz à Paris.

Le documentaire va vite, tout comme Keith qui aimait la vélocité, que ce soit sur les autoroutes allemandes ou à bord du Concorde. Les images qui défilent sont vivifiantes, rafraîchissantes, on se laisse sans résistance happer par le récit de sa vie hors normes. Du jour où enfant de dix ans, il écrivit dans une lettre montrée par son père et lue à l’écran: « Quand je serai grand, j’aimerais être un artiste en France. La raison c’est parce que j’aime dessiner. J’aurai mon argent des peintures que je vendrai. J’espère que je le deviendrai. » Et c’est ce qui arriva sauf qu’avant il fera une longue étape fondatrice dans le New York déglingué des années soixante-dix. Ses croquis de soucoupes volantes, aussi étranges que exquis, seront à la fois une révélation et son point d’envol. New York fut une ville à sa démesure. L’un de ses exploits récurrents consista à investir les couloirs du métro et plus précisément tout espace disponible, afin de tracer à la craie des dessins éphémères (qu’il fera photographier) avec une rapidité et une précision déconcertantes. C’est dans cette cité également, que le petit gars de Pennsylvanie, put laisser s’épanouir son homosexualité à partir de lieux mythiques comme le Paradise Garage et le Club 57. Il y brûla sa santé ce qui lui fera peindre un jour sur un panneau mural, en 1986, « Crack is wack ». On en revient là encore à ce côté attachant de Haring quand il cherche à protéger les autres, ce qu’il concrétisera également à travers un grand panneau pour inciter les personnes concernées à se protéger du Sida: « Ignorance = fear », « Silence = death. »

Le documentaire est alimenté par des interventions plutôt bienveillantes comme celle de son amie de l’École des arts visuels Samantha McEwan, ou tout bonnement le témoignage d’une de ses sœurs dont le regard s’embue à l’évocation de son frère. L’ancien « petit binoclard complexé » ainsi qu’il se confie, n’avait à l’évidence, pas laissé beaucoup de temps à ses proches pour profiter de la vie ensemble. Le documentaire n’est certes pas à charge mais il s’en dégage une forme de sincérité. Même si comme tout le monde, Keith Haring avait probablement ses failles, laissant lui-même entendre que les facilités de la notoriété et de l’argent facilement gagné, n’avaient pas toujours été sans conséquences sur sa vie personnelle. Néanmoins, si l’on en reste strictement à la matière artistique, la caméra est généreuse, elle nous le montre souvent au sol, pinceau en main, sur un mur intérieur ou en extérieur, à exécuter ses œuvres avec une dextérité et une inspiration édifiantes.

La France était l’une de ses destinations de prédilection. Il a d’ailleurs laissé à l’hôpital Necker, à proximité du bâtiment de chirurgie infantile, une fresque monumentale (réalisée en 1987 depuis une nacelle), afin de distraire les enfants malades. Elle a failli disparaître mais a finalement été restaurée en 2017. Son style si particulier, hautement vibratoire, partageant des territoires avec Fernand Léger, Jean Dubuffet ou l’art aborigène, s’y reconnaît de loin.

Fin octobre Arte diffusera sur la même durée, jusqu’en janvier 2024, un autre documentaire sur Roy Lichtenstein à l’occasion du centenaire de sa naissance (1923-1997). Une autre occasion de comprendre comment c’est aux États Unis que s’était déportée depuis l’Europe et singulièrement depuis la France, une scène artistique dont on cherche aujourd’hui avec impatience le prochain épicentre.

PHB

« Keith Haring Street Art Boy », Arte, du 29/10/2023 au 27/01/2024
« Roy Lichtenstein. Comment le pop art a révolutionné l’art » du 29/10/2023 au 26/01/2024

Illustration et photo: ©PHB

 

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Une réponse à Keith Haring vibrations

  1. anne chantal dit :

    Pas de commentaire, je vous remercie pour cet hommage à Keith Haring, tout simplement .

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