Une affaire de langue vivante

Voilà un timbre qui ne vaut plus grand-chose. Sa cote est estimée à quarante centimes sans oblitération, dix centimes avec. En 1989 il valait deux francs et vingt centimes et il avait été conçu afin de célébrer le 450e anniversaire de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts (Aisne). Qui faisait du français la langue écrite officielle, via un document signé par le roi de France François Ier. Ce timbre ci-contre, résonne d’un double écho. D’une part parce que c’est jeudi 19 octobre que La Cité internationale de la langue française sera officiellement ouverte (finalement inaugurée le 30 octobre ndlr) après quelques années de travaux et, d’autre part, clin d’œil tragique de l’histoire, il a été oblitéré à Arras, là où la semaine dernière un professeur de français, Dominique Bernard, a été poignardé à mort par un terroriste. Il est bien possible et même souhaitable que jeudi, journée de ses obsèques, l’image de cet homme dont on a dit qu’il avait la passion de son métier chevillée au corps, soit dans tous les esprits.

Bien plus qu’un château en tout cas, celui de Villers abrite le premier de tous les patrimoines, la langue d’une communauté. Celle qui fait qu’éloignés de leur patrie, les migrants peuvent en quelques mots se reconnaître et resserrer l’esprit du clan.

À propos de migrants d’ailleurs, quiconque a un jour donné des rudiments de langage à des expatriés afin qu’ils puissent se débrouiller dans la vie ordinaire, ne peut que botter en touche le jour où il faut leur expliquer ce qu’est l’écriture inclusive. Mission presque impossible alors qu’ils auront affaire, notamment dans les municipalités militant pour le pluriel des genres, à des documents paradoxalement exclusifs par effet d’obstruction et de saturation. Peut-être que Dominique Bernard savait expliquer cette épineuse question avec méthode et la bienveillance dont il avait la réputation, mais on nous l’a tué.

De ce que l’on en sait, la Cité proposera au premier étage du logis royal, à travers quinze salles et trois sections, l’aventure de notre langue, ses emprunts, ses évolutions, ses particularismes. Et le tout sera traduit en deux langues (anglais, allemand), tandis qu’une application se chargera des autres conversions y compris en chinois. Comme l’on peut de nos jours en deux secondes adresser un texto en mandarin à un correspondant de Pékin, rien de bien étonnant dans ces conditions à ce que les visiteurs soient ainsi choyés. À Villers-Cotterêts, on leur rappellera avec un brin de vantardise que « Le Petit Prince », la brillante nouvelle d’Antoine de Saint-Exupéry, a été le deuxième ouvrage le plus traduit dans le monde après la Bible, avec quelque 450 versions (davantage encore avec les dialectes) ce qui est assez stupéfiant.

Il paraît par ailleurs qu’un dispositif sonore permettra d’entendre les voix plus ou moins authentiques selon les possibilités, de personnages comme Jeanne d’Arc, ou Léopold Sédar Senghor en passant inévitablement par François Ier dont on s’impatiente d’entendre le timbre sonorisé après qu’il a été dûment oblitéré. C’est un peu le côté gadget de l’affaire mais il faut bien occuper l’immense château et justifier les grosses dépenses. Et donc, pour faire bonne mesure, il sera également possible de tester son orthographe juste avant, pour clore la deuxième section, d’avoir affaire à la langue de Molière qui fait encore les beaux jours de l’Académie et de la Comédie française tellement elle est vivante. Mentionnons qu’il y eut une époque où s’exprimer en alexandrins était encore possible et l’on aura une pensée pour Racine et ses quelque 1500 vers en douze pieds qu’il coucha sur le papier afin d’achever « Bérénice ». C’est d’ailleurs un moyen de tromper le cafard que de verbaliser en alexandrins les échanges de la vie courante, à l’exception notable des automates téléphoniques qui ne comprennent presque rien et qui nous font raccrocher à en casser l’appareil de rage.

En tout cas, cette Cité de la langue française est au moins à louer pour partie dans ses intentions défensives. Notre langage a émergé au Moyen Âge prenant avantage sur le latin, au moment-même d’ailleurs, où elle était déjà d’usage courant à la Cour d’Angleterre (une exposition sur le sujet s’est tenue jusqu’au mois de juillet à ce propos à l’Hôtel de la Marine). La barrière linguistique des deux côtés de la Manche n’a jamais été parfaitement étanche et les deux populations ont ainsi intégré différents mots, syntagmes et phonèmes variés sans que cela ne tourne en affaire d’État et malgré les réprobations des autorités conservatrices. On se gausse souvent des réformateurs et et des conservateurs mais ils se doivent mutuellement l’existence, tout comme la gauche et la droite.

PHB

Cité internationale de la langue française – château de Villers-Cotterêts 1, place Aristide Briand 02600 Villers-Cotterêts (à dix minutes de la gare)

Photo: ©PHB
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4 réponses à Une affaire de langue vivante

  1. Philippe PERSON dit :

    Cher Philippe
    un petit méli mélo mathématique dans cette question de français
    Le timbre valait neuf (sans oblitération) 2, 20…. francs… Il vaut aujourd’hui 40 centimes… d’euros..; Il faut donc multiplier par… 6,59 cette dernière somme pour faire la comparaison…Le timbre vaut donc aujourd’hui 2, 63 francs… Soit un plus de 43 centimes en francs . Ce n’est pas la fortune, mais ce n’est pas rien…

  2. Lise Bloch-Morhange dit :

    Un vaste collectif de linguistes, enseignants, universitaires et personnalités de la culture ont publié hier une tribune dans Le Monde sur le thème « Il est urgent de mettre à jour notre orthographe ». Ils se réfèrent à l’orthographe rectifiée de 1990, qui donne lieu à d’incessants débats. Le nouveau musée de Villers-Cotterêts s’intéresse-t-il à la question du jour?

  3. Ramuntcho Iturralde dit :

    Bonjour, une amie m’a transféré cet article, je souhaiterais m’abonner aux Soirées de Paris. Comment faire ?

  4. Ne jouons pas les apprentis-sorciers !
    La langue évoulue très bien d’elle-même !

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