Hô Chi Minh ne portait pas de moustaches

Il portait un chapeau oui, mais pas de moustaches. En revanche, à en croire cette fiche de renseignements établie par le ministère des Colonies entre 1919 et 1920 (dont on voit ici un détail), le futur chef de l’État vietnamien suscitait déjà la méfiance des autorités françaises. Hô Chi Minh (1890-1969) était décrit comme quelqu’un changeant facilement de nom (Nguyễn Sinh Cung puis Nguyễn Ái Quốc), cachait son « origine véritable » et pouvait contrefaire son accent. Ce document tout à fait étonnant figure en bonne place au sein de l’exposition consacrée à l’immigration asiatique au Palais de la Porte Dorée. Lequel s’appelait autrefois le Musée des colonies avant de devenir celui de l’histoire de l’immigration ce qui est une façon de rendre une thématique parfaitement circulaire. Cette très intéressante exposition, peut-être davantage que les précédentes, nous emmène depuis la guerre de l’opium aux environs de 1860 jusqu’à nos jours où le « péril jaune » avait pris la forme d’un virus incontrôlable. Elle concerne certes quelques personnalités comme Hô Chi Minh -dont la fameuse fiche est consultable aux Archives nationales (1)- mais surtout ces milliers d’anonymes ballotés de continents en continents au fil des tragédies de l’histoire.

L’histoire des migrations Est et Sud-Est asiatiques vers la France ne s’est pas arrêtée. Elle est toujours en cours et le musée nous apprend que 6% de la population immigrée vient en effet de de Chine mais aussi du Vietnam, du Cambodge, du Japon, de Corée, du Laos, de la Thaïlande ou des Philippines. Sans qu’il soit besoin d’une exposition d’ailleurs, les Parisiens ont vu progressivement apparaître, issus de ce phénomène, des restaurants puis des quartiers entiers, dans le treizième arrondissement ainsi qu’à Belleville.

En suivant la chronologie de ces migrations on s’aperçoit que bien souvent il s’agissait auparavant de réfugiés fuyant la guerre ou des nouveaux régimes qui ne leur voulaient pas de bien. Mais l’on apprend également que la main-d’œuvre asiatique a aussi été engagée plus ou moins volontairement afin de participer aux deux guerres mondiales. On voit par exemple des travailleurs en train de polir des obus dans une usine du sud de la France au moment du premier conflit planétaire. Et la scénographie nous montre même des douilles d’obus gravées par des travailleurs chinois avec des symboles qui ne trompent pas comme des tigres, des fleurs de lotus ou des dragons. À noter que le parcours propose systématiquement des explications sur fond rouge spécialement destinées aux visiteurs les plus jeunes mais suffisamment instructives pour que les adultes en profitent aussi.

Plutôt fascinante et longue période où la France décidait beaucoup du destin de ses administrés asiatiques comme ce jeune prince de treize ans, Hàm Nghi (1871-1944) accédant au trône d’Annam (Vietnam) puis devenu résistant prié de s’installer à Alger où il prendra goût aux beaux-arts avant de devenir lui même artiste et de fréquenter Rodin. Quelle destinée!

Moins connus sont les itinéraires des anonymes dont les témoins sont toujours en vie ce qui fait par exemple que l’on peut voir et entendre une femme, Trang Coeugnet, racontant l’arrivée de sa famille dans un village de France (Cognin-les-Gorges en Isère), chacun ayant été séparé relativement aux possibilités d’accueil. Elle avait quinze ans alors et raconte que la famille se rassemblait en fin de semaine et que chaque dimanche soir la séparation était toujours teintée d’une forte émotion. Des prises de parole qui ne peuvent que susciter la compassion des visiteurs.

On est agréablement surpris de tomber sur une toile de Foujita (1886-1968), artiste japonais qui fit l’essentiel de sa carrière en France. Cet homme était vraiment prédestiné ayant décidé de lui-même de venir en France faire une carrière de peintre en promettant à sa famille de revenir se marier au pays. Rencontrant Picasso le lendemain de son arrivée, il fera rapidement partie des avant-gardes et rencontrera en 1917 une française qu’il épousera plus tard et dont Modigliani fera le portrait. Il y a des personnages comme cela dont le destin prend grand soin. Après pas mal de zigzags interplanétaires, il finira par s’installer définitivement en France avant de mourir en Suisse. Il en est d’autres, heureux ou malheureux qui ne quittent jamais leur village, ce sont les dés qui roulent et ce n’est pas seulement la question d’avoir la main heureuse ou pas.

Sur les quais du port de Marseille jusqu’aux couloirs transparents du tout nouvel aéroport de Roissy en 1974 en passant par des embarcations précaires où guettaient maints périls, la migration des populations asiatiques imprègne notre histoire. Et la sobriété tout autant que la richesse avec lesquelles le sujet a été traité par le Musée de l’histoire de l’immigration mérite bien des compliments.

 

PHB

« Immigrations est et sud-est asiatiques depuis 1860 » jusqu’au 18 février 2024. Palais de la Porte Dorée, 293 Avenue Daumesnil, 75012 Paris

Consulter le dossier de surveillance de Hô Chi Minh aux Archives nationales

Photos: ©PHB
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4 réponses à Hô Chi Minh ne portait pas de moustaches

  1. Yves Brocard dit :

    Juste une précision : Foujita n’a pas rencontré Picasso le lendemain de son arrivée à Paris, le 7 août 1913, mais six mois plus tard, 10 février 1914, emmené par Diego Rivera. Foujita, dans ses mémoires, à embelli à son avantage sa biographie, comme tant d’autres.
    Cela n’a aucune importance, mais j’ai la manie de rétablir la réalité des choses.
    Bonne journée.

  2. Annie T dit :

    Le souvenir de l’immigration chinoise est présent à Montargis, dans ce cas immigration pour étudier, pas pour demeurer.
    http://www.montargis.fr/Le-musee-chinois
    https://www.christophemouton.com/Douce-France/Centre-Val-de-Loire/LOIRET-Val-de-loire/Montargis/Montargis-Hutchinson/
    Où l’on apprend que Deng Xiaoping changeait volontiers de nom.

    Merci pour ces articles que j’attends chaque jour.
    Annie

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