Focus sur l’estampe au Petit Palais

La chose est peu connue : l’estampe tient une place de premier rang dans les collections du Petit Palais. Pour son exposition de rentrée, l’institution a ainsi tenu à rendre hommage à son cabinet d’arts graphiques en sortant des réserves des œuvres qui, par leur fragilité, ne peuvent être exposées de manière permanente à la lumière, contrairement aux peintures et sculptures. Parmi les 20.000 estampes que compte la collection d’arts graphiques, l’exposition “Trésors en noir & blanc” nous dévoile près de 200 de ses plus belles pièces, signées des grands maîtres de l’estampe : Dürer (ci-contre), Callot, Rembrandt, Goya… L’inauguration du musée de l’Estampe moderne en 1908 au sein du Petit Palais a, par ailleurs, permis d’y faire entrer l’estampe contemporaine. C’est donc un véritable panorama de l’histoire de l’estampe qui s’offre à notre regard, depuis la Renaissance jusqu’au début du XXe siècle, un panorama à la fois technique, stylistique et iconographique qui permet également de comprendre le processus créatif et ses différentes techniques : la gravure sur bois, l’eau-forte, le burin, la lithographie… Présentées dans une scénographie aussi limpide que didactique, ces œuvres d’une remarquable délicatesse font de ce focus sur l’estampe un réel enchantement.

Pour qui croyait connaître le Petit Palais, la découverte est d’importance : sur les 50.000 œuvres que comporte le musée, 30.000 proviennent du cabinet d’arts graphiques. C’est dire… Et ce grâce au don que fit en 1902, à l’ouverture du musée, un dénommé Auguste Dutuit. Celui-ci légua à la ville de Paris l’intégralité de la collection qu’il avait constituée avec son frère Eugène et sa sœur Eloïse : 20.000 œuvres, dont 12.000 gravures anciennes. Un autre personnage est à mentionner ici : Henry Lapauze, premier conservateur et directeur du musée, et créateur du musée de l’Estampe moderne. En 1907, celui-ci lança une collecte et recueillit pas moins de 3000 estampes ; par la suite, l’ensemble continua de croître. L’exposition “Trésors en noir & blanc” est donc indirectement le reflet du goût de ces différents protagonistes.

L’exposition s’ouvre sur la présentation d’une sélection des plus belles feuilles de la collection Dutuit, autour de la figure de l’éminent spécialiste Eugène Dutuit, et de quatre maîtres des techniques de l’estampe : Dürer, Rembrandt, Callot et Goya. “Le Rhinocéros” (1515, gravure sur bois) et “Melencolia I” (1514, burin) ou encore “Saint Jérôme dans sa cellule” (1514, burin) y côtoient des œuvres moins célèbres du grand maître de l’école allemande Albrecht Dürer (1471-1528), mais tout aussi exceptionnelles. Ponctuant le parcours, des points de médiation expliquent les techniques de la gravure sur bois et du burin avec présentation des outils utilisés tels canif, ciseau à bois, gouges, rouleau encreur, burin, brunissoir, coussin de cuivre et autre chiffon de tarlatane.

Puis, c’est tout un univers de fêtes populaires et de figures issues de la Commedia dell’arte que convoque le célèbre maître lorrain de l’eau-forte Jacques Callot (1592-1635). Plusieurs séries mettent ainsi en scène des comédiens et des danseurs, telle celle des “Trois Pantalons” (vers 1618-1619). Mais le prodige de Callot réside principalement dans sa capacité à créer dans de minuscules estampes des récits spectaculaires fourmillant d’une multitude de détails et de personnages, ainsi cette remarquable suite “Les Grandes Misères de la guerre” (1633) racontant tantôt la dévastation d’un monastère, tantôt l’attaque d’une diligence ou encore le pillage d’une ferme.

Eugène Dutuit considérait l’œuvre de Rembrandt (1606-1669) comme le joyau de sa collection. Le peintre-graveur hollandais y fait preuve d’une grande maîtrise du clair-obscur et ses autoportraits, tel ce remarquable “Rembrandt appuyé” (1639, eau-forte sur papier filigrané), sont saisissants de vérité. Cette première section se termine sur un ensemble d’œuvres de Goya (1746-1828) avec notamment une série sur la tauromachie dans laquelle l’artiste espagnol a l’art de combiner les techniques de gravure à l’eau-forte et à l’aquatinte. La seconde partie de l’exposition est consacrée au musée de l’Estampe moderne et nous brosse, à travers des œuvres signées Toulouse-Lautrec, Steinlen ou encore Edgar Chahine, un Paris tout aussi festif qu’en pleine mutation.

Si elle n’a pas notre préférence, l’estampe en couleurs fait également son apparition en fin de parcours avec des œuvres de la 2e moitié du XIXe et du début du XXe siècle, figurant des paysages, en une forme d’imitation d’aquarelles ou de pastels. Mais c’est incontestablement la “Lettre sur les éléments de la gravure à l’eau-forte” (1864, eau-forte sur papier vergé) d’Adolphe-Martial Potémont (1827-1883) qui clôt avec humour cette brillante exposition. Constituée de quatre planches, cette fausse lettre forme un petit traité illustré de la technique de l’eau-forte ainsi qu’un manifeste dans lequel l’artiste proclame : “ressuscitez Callot, Israël (ndlr, Israël Silvestre, 1621-1691, graveur lorrain) ou Rembrandt ! ” On ne saurait que lui donner raison…

Isabelle Fauvel

Exposition “Trésors en noir & blanc. Dürer, Rembrandt, Goya, Toulouse-Lautrec…” jusqu’au 14 janvier 2024 au Petit Palais Avenue Winston Churchill 75008 Paris, du mardi au dimanche de 10h à 18h ; nocturnes les vendredis et samedis jusqu’à 20h.

 

Image 1: Albrecht Dürer, Melencolia I,1514, burin, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris
© Paris Musées / Petit Palais
Image 2: Jacques Callot, Les Trois Pantalons, Le Zani ou Scapin, Troisième numéro d’une suite de 3 pièces, vers 1618-1619, eau-forte, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris
©Paris Musées / Petit Palais
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Une réponse à Focus sur l’estampe au Petit Palais

  1. Maho dit :

    C’est en effet une très belle exposition, étant graveur moi même j’ai pu apprécier toutes ces estampes ma foi très bien conservées.
    Pour certaine gravures de Dürer il aurait été judicieux de faire des reproductions agrandies afin d’en apprécier tous les détails.
    Merci pour votre article.

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