La sortie au cirque

Dans “Portraits-Souvenir” (1935), évoquant son enfance, Jean Cocteau (1889-1963) chante “la grande odeur merveilleuse” du cirque, indissociable de ses jeunes années. “Certes, on la savait faite de crottin de cheval, de tapis-brosse, d’écuries, de sueurs bien portantes, mais elle contenait, en outre, quelque chose d’indescriptible, un mélange qui échappe à l’analyse, mélange d’attente et d’allégresse qui vous saisissait à la gorge, que l’habitude levait en quelque sorte sur le spectacle et qui tenait lieu de rideau. Et la richesse profonde du fumier d’enfance, poursuit-il, m’aide à comprendre que cette odeur de cirque est un fumier léger qui vole, une poudre de fumier dorée qui monte sous le dôme (…), irise les globes de lumière, met une gloire autour du travail des acrobates, et retombe, aidant puissamment les clowns multicolores à fleurir.” Cette belle odeur de cirque à l’ancienne se retrouve aujourd’hui encore sous le chapiteau de la famille Gruss. Ici pas de clowns, pas de Foottit et Chocolat, mais des numéros spectaculaires autour de l’art équestre et de la haute-voltige. Sur la piste ronde, chevaux, écuyers, acrobates et jongleurs réalisent des prodiges pour émerveiller petits et grands. Et, en ces temps troublés, quel meilleur moyen de préserver chez les enfants la magie de Noël et d’oublier, pour quelques heures, les horreurs du monde que de céder aux joies du cirque ?

C’est une institution. Qui n’a jamais entendu parler de la Compagnie Gruss ? Des numéros nous reviennent pêle-mêle en mémoire ainsi qu’une féérique “Flûte enchantée”. La Compagnie célèbre d’ailleurs cette année un triple anniversaire : ses 50 années de création à Paris, et autant de spectacles, les 170 ans de la dynastie et les 80 ans de son patriarche, Alexis Gruss. Cet hiver, le nouveau spectacle, “Les Folies Gruss”, met en piste trois générations de cette famille de saltimbanques : Alexis et Gipsy Gruss (née Bouglione), leurs enfants, Stephan, Firmin et Maud, et les enfants de ceux-ci : Charles et Alexandre, les jumeaux de Stephan, Célestine et Gloria, les filles adolescentes de Firmin et Maud, et, la petite dernière, Venicia, 8 ans, dont ce sont les débuts. Svetlana, Kaylie et Olivia ont rejoint la troupe en épousant les hommes du clan. Car ici le cirque est une histoire de famille ; la transmission et le passage de témoin générationnel semblent aller de soi. Et c’est émouvant de voir cette lignée ainsi unie dans une même performance artistique, tout en sachant qu’elle est vouée à continuer dans le temps.

Le show est éblouissant, même si décor, costumes et lumières sont parfois un peu trop kitsch. Le plus souvent, ce kitsch, inhérent à l’univers du cirque, est tout à fait plaisant. Ainsi ce tableau dans lequel Alexis et Gipsy effectuent des tours de piste sur leurs montures, lui tout de blanc vêtu, tel un Prince charmant, elle, arborant une somptueuse robe d’amazone violette largement déployée autour d’elle, dans une lumière jouant des correspondances. Une cinquantaine de chevaux plus magnifiques les uns que les autres se succèdent sur la piste. Dressés à la perfection, ils se prêtent à toutes sortes de prouesses et chorégraphies, dansant, franchissant des obstacles ou sautant à la corde avec leur cavalière.

Les artistes, pour la plupart, cumulent les talents d’écuyer, d’acrobate, d’équilibriste et même de jongleur ! Les figures, en solo ou à plusieurs, sont incroyables de complexité et l’adresse des artistes force le respect et l’admiration. Effectuer de délicats portés à deux, sauter par-dessus des rubans tendus tout en retombant sur un cheval au trot -avec le sourire ! -ou traverser un cercle de feu semblent ici un jeu d’enfant. Mais ils savent aussi nous émerveiller sans recourir à leur palefroi. Sur terre, dans les airs ou même dans l’eau, rien ne les arrête ! Maud, talentueuse fildefériste, va et vient sur son fil avec un monocycle, Firmin joue les équilibristes avec une échelle d’un seul tenant, et Stephan semble multiplier les massues de jonglage à l’infini… Un étonnant numéro de lasso nous montre, par ailleurs, les inépuisables possibilités qu’offre cette simple lanière.

Le tout s’effectue bien évidemment en musique avec un orchestre live disposé sur une scène surélevée en forme de fer à cheval. Des chansons et une narration avec deux personnages fictifs, Louise et Piotr, servent de fil rouge et d’introduction à l’univers du cirque et de la famille Gruss. Si cet argument dramaturgique semble plaire aux plus jeunes, les chansons leur rappelant sans doute le style des films Disney, les adultes y sont peut-être moins sensibles. Mais passons outre…

“Suivez-moi sous le chapiteau/ Vite, allons voir tous les numéros /C’est trop facile de rester chez soi /Quand les artistes nous invitent autour de la piste” nous dit le refrain. Et nous ne saurons que lui donner raison. Le spectacle se termine sur une standing ovation avec un public conquis et heureux. Petits et grands ont succombé à la magie du cirque, tel le poète de 7 ans autrefois.

Isabelle Fauvel

 “Les Folies Gruss” jusqu’au 25 février 2024 au Carrefour des Cascades 75016 Paris (Bois de Boulogne), les vendredis à 21h (pré-show à 19h), samedis à 15h (pré-show à 12h30) et 21h (avec pré-show) et dimanches à 15h (avec pré-show)

Photos: © Olivier Brajon

 

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4 réponses à La sortie au cirque

  1. Marie-José Sélaudoux dit :

    Bel article qui donne vraiment envie de se précipiter au cirque Gruss pour y voir la « poussière de fumée dorée qui monte… et retombe… » et se réchauffer au sein de cette sympathique et talentueuse tribu qui se distingue dans un monde égocentrique et frelaté.

  2. Marie-José Sélaudoux dit :

    pardon, j’ai écrit « fumée » au lieu de « fumier »

  3. Gilles Bridier dit :

    Kitsch… c’est vrai, mais ce kitsch-là participe aussi à créer l’éblouissement chez les enfants autant émerveillés par la scénographie des numéros de voltige que par la prouesse technique. Et cet émerveillement enchante parents et grands parents!

    • biernat dit :

       » Oh oui ! c’était très beau mais c’est dommage que c’étaient pas de vrais
      Messieurs ! » Propos recueillis par mes parents après un superbe spectacle de trapézistes au Cirque d’Amiens il y a bien longtemps, j’étais encore petite !
      Quand la réalité dépasse la fiction…

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